Disparu d’Europe depuis le XVIIᵉ siècle, l’ibis chauve retrouve aujourd’hui le chemin de la migration. Grâce à l’association WaldrappTeam, près de 300 oiseaux sont de retour dans nos ciels.
Des ibis guidés par des ULM
L’image a de quoi surprendre : une trentaine d’ibis chauves fendent l’air, guidés par de petits avions qui les escortent de l’Allemagne à l’Andalousie. Cette migration assistée est pourtant au cœur d’un projet scientifique inédit en Europe, destiné à réintroduire cet oiseau disparu du continent depuis le XVIIᵉ siècle.
L’histoire débute dans les années 1990. Le biologiste autrichien Johannes Fritz travaille alors sur sa thèse, lorsqu’il observe que les ibis chauves, bien qu’encore capables de voler, partent dans toutes les directions et meurent en tentant de migrer.
Des ibis chauves au programme de conservation Überlinger Waldrappe 2020 © R. Beck
« Nous avions observé que ces oiseaux avaient une capacité de migration, mais ignoraient où aller. À ce moment-là, il y avait ce célèbre film hollywoodien, Fly Away Home, où une jeune fille vole avec des bernaches du Canada. Et cela a été pour nous une source d’inspiration », précise le spécialiste à La Relève et la Peste.
Le pari est audacieux : guider les oiseaux grâce à des avions ultralégers motorisés (ULM). C’est la première fois qu’une telle technique est appliquée à un programme de conservation.
Johannes Fritz
Des débuts semés d’embûches
Le projet démarre sans expérience préalable. Johannes Fritz doit même passer sa licence de pilote pour pouvoir voler avec ses protégés. Les essais sont nombreux, et les échecs aussi.
« Le premier défi – qui reste d’actualité – est l’élevage : les oiseaux doivent s’attacher à des parents adoptifs humains, sinon ils ne suivent pas l’ULM. L’autre difficulté concernait l’appareil lui-même : nous pensions que les ibis volaient à 50-60 km/h, alors qu’en réalité leur vitesse est de 40-45 km/h. Ce n’est qu’en 2006 que nous avons trouvé l’ULM adapté, celui que nous utilisons encore aujourd’hui ».
Fait remarquable : même plusieurs années après, les ibis reconnaissent encore les humains qui les ont guidés lors de leur premier voyage.
Maman adoptante avec un ibis chauve © AG Schmalstieg
L’Europe avait perdu l’ibis chauve depuis le XVIIᵉ siècle, éradiqué par la chasse et la destruction de son habitat. L’espèce s’était maintenue uniquement dans quelques régions d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, et dans les zoos européens.
Aujourd’hui, grâce au projet WaldrappTeam, environ 300 ibis réapprennent à parcourir le ciel d’Europe centrale, de l’Italie jusqu’à l’Espagne.
Mais la menace demeure : « En réalité, ils n’ont pas perdu leur instinct migratoire. L’explication est simple : ils ont été éradiqués par les humains, et donc ont disparu. Avec leur extinction en Europe, la tradition migratoire a été interrompue et perdue », précise Johannes Fritz.
Ibis chauve à Seekirchen, troisième jour de vol libre des jeunes, le 12 juin 2021. © Moser Albert
Une première pour une réintroduction
À cette fragilité s’ajoute aujourd’hui la crise climatique : migrations plus tardives, traversées alpines plus périlleuses, nouveaux itinéraires à trouver.
« Nous étions en bonne voie de conclure avec succès ce projet de réintroduction. Mais nous faisons désormais face à un impact croissant du changement climatique ».
Le programme bénéficie du soutien du financement européen LIFE, essentiel selon Fritz. Il s’étend désormais sur six pays : Allemagne, Autriche, Italie, Suisse, France et Espagne. « Cela représente environ 600 000 km², c’est devenu un vaste projet de conservation », précise le spécialiste.
Vol HLM Tyrol du Sud © H. Wehner
Aujourd’hui, environ 300 ibis migrent déjà dans la nature, et depuis 2011 certains parviennent à accomplir ce voyage sans aucune assistance humaine.
« J’aime voler avec eux, bien sûr, mais ce que j’adore, ce sont les ibis qui se reproduisent seuls dans la nature et qui migrent par eux-mêmes. C’est formidable. C’est la première fois qu’une espèce d’oiseau migrateur est réintroduite de cette façon ».
Migration 2023 © L. Pahnke
Face à la disparition accélérée des grands migrateurs, l’expérience pourrait inspirer d’autres programmes de sauvegarde.
« Elle pourrait être appliquée à d’autres grands oiseaux migrateurs vivant en groupe : ibis, grues, cigognes, oies… Beaucoup de ces espèces sont de plus en plus menacées.
Je pense que, dans l’avenir, nous aurons urgemment besoin de méthodes comme la migration assistée pour les aider à survivre dans un environnement qui change très vite », conclut Johannes Fritz.
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