Les industriels veulent forer les fonds marins pour trouver les minerais qui viennent à manquer sur terre. Face à la plus grande menace qui ait jamais pesée sur les Océans, une alliance d’États, de parlementaires et de citoyens exige un moratoire contre l’exploitation minière des fonds marins.
Deep-sea mining : le pillage des fonds marins
« Nous sommes actuellement confrontés à un état d’urgence des océans » a déclaré le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, lors de l’ouverture de la Conférence des Nations Unies sur les Océans (Unoc) qui a lieu cette semaine à Lisbonne.
Et pourtant, les industriels s’apprêtent à piller l’une des dernières zones inoccupées par l’humain : les fonds marins qui couvrent 65% de la surface de la planète. L’exploitation minière en eaux profonds, ou deep-sea mining, consiste à aller chercher dans les sous-sols de l’Océan des minéraux et terres rares, notamment du nickel, du cobalt, du cuivre et du manganèse, qui entrent dans la composition de différents appareils électroniques et de nouvelles technologies.
« Pour récupérer ces minerais, il faut déployer des engins dévastateurs. Non seulement l’extraction minière détruirait les espèces et les écosystèmes des grands fonds, mais elle aurait aussi des conséquences dramatiques sur le stockage du carbone, indispensable pour notre lutte contre le réchauffement climatique. C’est une folie venue du passé. » dénonce Claire Nouvian, fondatrice de l’ONG Bloom
Plus de 600 experts scientifiques et acteurs politiques ont déjà lancé l’alerte contre l’exploitation minière en eaux profondes, car elle pourrait anéantir encore plus la biodiversité marine et causer des dommages irréversibles au fonctionnement des écosystèmes sur plusieurs générations. Le danger qui pèse sur l’Océan est immense.
Pour l’heure, l’exploitation minière en eaux profondes n’a pas encore débuté, mais trente-et-un permis d’exploration ont déjà été accordés par l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) à plusieurs pays dont la Chine, la Corée, le Royaume-Uni, l’Allemagne et la Russie sur une zone d’environ 1,5 million de km2, équivalent à la taille de la Mongolie, dans l’Atlantique, le Pacifique et l’océan Indien.
Si jamais ces contrats venaient à être convertis en licences d’exploitation, comme c’est leur but, cela créerait la plus vaste exploitation minière jamais entreprise dans l’histoire de l’humanité.
La France est l’un des pays les plus actifs dans cette voie. Elle a déjà obtenu deux permis d’exploration de l’AIFM dans le Pacifique et compte bien exploiter les 9,5 millions de km2 d’eaux profondes de sa Zone Economique Exclusive.
« La position de la France est ambiguë et ambivalente, extrêmement problématique par rapport à la situation actuelle. La stratégie nationale pour l’exploitation et l’exploration des grands fonds a été publiée par Castex en mai dernier, en même temps que l’IUCN à Marseille, et confirmée par la stratégie 2030 de besoins de ces ressources. Mais cette position a été contredite par le rapport du Sénat publié la semaine dernière qui dit qu’aller vers l’exploration n’est pas possible au vu des connaissances scientifiques et des enjeux géopolitiques. Il y a un vrai problème de cohérence et de bluewashing : la France ne peut pas soutenir un traité ambitieux sur la scène internationale permettant la création de 30% d’Aires Marines Protégées (AMP) en 2030 et en même temps aller vers l’exploitation des océans avec une politique extrêmement productiviste de cet écosystème et une vision extractiviste archaïque. » pointe François Chartier, chargé de campagne océans et fossiles chez Greenpeace France
Un moratoire pour sauver l’Océan
Réunis à Lisbonne pour l’Unoc, plusieurs États insulaires du Pacifiques (Fiji, Samoa et Palao), le Pérou, la Nouvelle-Zélande, le Chili et 72 parlementaires de 35 pays demandent l’adoption d’un moratoire international sur l’exploitation minière des fonds marins.
Leur demande est appuyée par de nombreux acteurs de la société civile, qu’il s’agisse d’ONGs ou de citoyens comme l’activiste Camille Etienne qui a participé à la création de la campagne #LookDown, visant à interpeller les députés fraichement élus pour leur demander de signer eux aussi la déclaration internationale.
« On demande aux politiques d’écouter la parole des scientifiques et des populations qui dépendent de l’Océan. Dans le passé, la France a déjà réussi à arrêter un projet qui voulait ouvrir l’Arctique, en tant que grande puissance maritime on a donc un rôle de prescripteur à jouer. » explique l’activiste Camille Étienne, l’une des auteures de notre livre-journal Générations
Car le temps presse : l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) veut élaborer un Code minier qui pourrait être adopté dès juillet 2023, rendant l’exploitation minière en eaux profondes possible dès juin 2023.
« En d’autres termes, il ne nous reste qu’un an pour mettre fin à cette course irrationnelle et protéger les océans avant qu’il ne soit trop tard. Il faut arrêter de déléguer au secteur privé des décisions fondamentales sur la gestion de nos communs, c’est pour cela que cette union entre société civile et politiques est fondamentale pour permettre une reconquête du pouvoir décisionnaire citoyen sur le sujet. » explique l’eurodéputée EELV Marie Toussaint
Pire, la gouvernance de l’AIFM pose de nombreuses questions déontologiques, tant son fonctionnement est opaque.
« La gouvernance de l’AIFM est une catastrophe, elle doit être revue et réformée. L’AIFM se réunit deux fois : fin juillet/début août et en novembre, on ne peut pas bâcler un code minier dans seulement deux petites réunions. On leur a demandé de reporter la réunion de cet été car, pour des raisons pratiques, les observateurs ne pourront pas envoyer plus d’une personne et ne seront pas en contact avec les élus, pareil pour les Etats qui ne peuvent pas envoyer d’experts sur le sujet. On vise a minima un report de cette réunion pour avancer sur ce moratoire. On ne peut donc pas adopter un code minier d’une telle envergure avec une institution pareille, il faut se donner les moyens d’avoir un débat qui implique toute la société. » explique François Chartier, chargé de campagne océans et fossiles chez Greenpeace France
Ironie de l’histoire, c’est la demande officielle de la République de Nauru de commencer à exploiter les ressources des grands fonds marins, émise en 2021, qui explique la hâte de l’AIFM à bâcler ce code minier. Or, le troisième plus petit pays du monde a un jour été l’un des pays les plus riches avant de sombrer dans la misère et les déchets, suite au tarissement de ses mines de phosphate. Si Nauru est la première à forer les fonds marins, cette déchéance risque fort de se répéter.
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Pour imposer un moratoire, les politiques et citoyens peuvent compter sur des soutiens de poids : le Parlement Européen s’est positionné en faveur de ce moratoire, et la Commission Européenne s’est aussi engagée. Plus inattendu, un collectif d’industriels (comprenant BMW, Volvo et Google) a déclaré qu’ils n’achèteraient pas de minerais prélevés sur les fonds marins ni ne financeraient des projets d’extraction tant que l’impact environnemental de cette pratique ne sera pas « complètement déterminé ».
« L’enjeu, c’est d’éviter que ça commence pour éviter que tout le monde se mette à faire ça » résume l’eurodéputée Marie Toussaint. Leurs deux armes : mobiliser les États pour une législation nationale et se positionner dans les instances internationales pour l’interdire dans les zones de haute-mer. Une course contre la montre est engagée.
Plus d’informations sur le sujet : Déclaration parlementaire mondiale pour un moratoire sur l’exploitation minière des grands fonds marins
Crédit photo couv : Nautilus Minerals