Disparues depuis des décennies, les moules d’eau douce réapparaissent dans la Seine, en plein centre de Paris. Une résurrection inattendue qui témoigne d’une eau plus saine et d’un écosystème en renouveau.
Des moules dans la Seine
On les croyait disparues à tout jamais, englouties à l’époque où la Seine servait d’égout à ciel ouvert. Pourtant, trois espèces de moules d’eau douce – à savoir : la mulette épaisse, la mulette des rivières et l’anodonte comprimée – viennent d’y refaire surface. Cette découverte réjouit les scientifiques.
Comment le sait-on ? Grâce au laboratoire grenoblois Spygen qui a révélé leur présence via l’ADN environnemental – une technique permettant de repérer les espèces à partir des traces qu’elles laissent dans l’eau. Pour rappel : nous perdons, en tant qu’humains, 500 millions de cellules cutanées chaque jour.
À l’été 2024, quelques prélèvements près de l’île de la Cité et de l’île Saint-Louis ont suffi à révéler une petite révolution : 25 espèces de moules recensées, dont trois rares et menacées qu’on croyait disparues du bassin parisien.
« Je ne m’y attendais pas une seconde », admet, un brin médusé, Vincent Prié, spécialiste des mollusques et directeur de projets au laboratoire Spygen, pour La Relève et La Peste. « Ces espèces sont très sensibles à la qualité du milieu. Le fait de les retrouver à Paris indique un bouleversement positif de l’écosystème ».
Dans les années 1960, alors que la Seine suffoquait sous les rejets domestiques et industriels, seules quelques espèces tolérantes survivaient. Aujourd’hui, la donne a changé : on recense deux fois plus d’espèces de moules dans la Seine et la Marne qu’il y a trente ans.
Des méduses, des éponges et des crustacés… dans la Seine !
Les plus grandes espèces de moules, les fameuses naïades, sont de véritables stations d’épuration miniatures : chacune peut filtrer jusqu’à 40 litres d’eau par jour. Mais elles n’acceptent de vivre que dans une eau claire, oxygénée, débarrassée de ses excès chimiques. Leur retour dans la Seine atteste donc des progrès accomplis en matière de dépollution.
Ces dernières années, près de 1,4 milliard d’euros ont été investis pour dépolluer la Seine. Projet emblématique de cet effort colossal : le bassin de stockage d’Austerlitz, vaste réservoir souterrain conçu pour retenir les eaux usées lors des pluies.
Pour Vincent Vignon, écologue et directeur de projets chez Alkïos – Office du génie écologique, tout cela enclenche une dynamique positive, un cercle vertueux.
« Quand on rétablit des fonctionnements naturels, la qualité du milieu s’améliore en cascade. On est passé de trois espèces de poissons dans les années 1960 à plus de trente-cinq aujourd’hui, et désormais ce sont les moules qui témoignent de cette reconquête. Les herbiers aquatiques, visibles le long des quais, abritent poissons, crustacés, éponges ou méduses d’eau douce : tout un monde qui renaît en plein Paris ».
Une biodiversité sous pression
Si la redécouverte de la mulette des rivières – dont on pensait qu’il ne restait que deux populations en France, près de Troyes et dans l’Oise – a de quoi surprendre, les chercheurs appellent à la prudence.
« Les analyses ADN montrent que ces espèces ne sont pas de simples individus isolés : on les retrouve sur plusieurs kilomètres », précise Vincent Prié.
Mais leur survie reste fragile. Certaines espèces invasives, comme l’anodonte chinoise, commencent déjà à coloniser la Seine et pourraient concurrencer les espèces indigènes. « Cette espèce est en cours d’installation, et elle risque d’évincer les moules patrimoniales », s’inquiète Vincent Prié.
Le réchauffement climatique, les résidus de pesticides agricoles et l’artificialisation des berges constituent d’autres menaces. Vincent Vignon souligne qu’« une reconquête des berges, à l’image de ce qui a été tenté à Lyon, permettrait de recréer des habitats plus naturels et de renforcer la résilience des populations ».
La Seine abritait à peine trois espèces de poissons dans les années 1960. Aujourd’hui, elles sont plus de quarante, dont des migrateurs comme la grande alose. La dynamique est similaire pour les moules, mais leur histoire reste encore largement méconnue.
« On ne sait rien de leur trajectoire sur cinquante ans », admet Vincent Vignon. « Ce que l’on constate aujourd’hui, c’est une diversité impressionnante qui témoigne d’une qualité d’eau en nette amélioration ».
Certains scientifiques espèrent même revoir un jour la grande mulette (Margaritifera auricularia), l’un des bivalves les plus rares au monde, dont il ne subsiste que six stations, dont cinq en France. « Si on la retrouvait dans la Seine, ce serait un événement majeur », rêve Vincent Prié.
La Seine, autrefois symbole de pollution, devient ainsi un laboratoire grandeur nature du retour de la biodiversité en milieu urbain. Les moules, discrètes mais essentielles, rappellent que dépolluer un fleuve n’est pas qu’un enjeu de baignade estivale : c’est redonner vie à un écosystème entier.
Et pour ceux qui rêveraient déjà de moules-frites made in Seine, Vincent Prié coupe court : « Même pendant la guerre on n’en mangeait pas. C’est amer, franchement pas bon ».
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