La récente affaire des coupes d’arbres illégales à Perles-et-Castelet, en Ariège, montre que les forêts françaises subissent une prédation renforcée, à une époque où la concurrence entre les pays et la demande de bois sont en augmentation.
Des coupes illégales
Le vol d’arbres ayant le plus défrayé la chronique, cette année, a eu lieu en Ariège, à Perles-et-Castelet, petite commune située à une trentaine de kilomètres de l’Andorre, dans les Pyrénées. En février dernier, une douzaine de propriétaires ont découvert avec stupeur, l’un après l’autre, que certaines de leurs parcelles boisées — souvent les plus belles et préservées — avaient été dévastées par de mystérieux bûcherons.
Opérant en toute illégalité, de préférence la nuit, ceux-ci avaient procédé à des coupes de grumes choisis pour leur qualité et leur ancienneté : chênes centenaires, épicéas de 30 mètres de haut, sapins de près de 50 ans d’âge…
En quelques semaines, des centaines d’arbres sont passés sous le fil des tronçonneuses et ont été enlevés vers une destination inconnue.
Sur plusieurs parcelles, des ruisseaux ont été détournés par le passage des machines et des camions ; sur d’autres, des chemins et des murets ont été saccagés, des bidons d’essence abandonnés, ou du matériel…
« C’est à pleurer, a déclaré Hélène Rameil à France Bleue, quelques jours après le méfait. Il y a un gros ravage écologique, et on ne pourra jamais nous dédommager à ce titre. »
Très vite, les plaintes affluent. Une enquête pour « vols avec dégradations et en réunion » est ouverte par le procureur de la République de Foix, préfecture du département de l’Ariège. Puis une piste se précise : une entreprise forestière espagnole, de Vielha en Catalogne, aurait été embauchée près de Perles-et-Castelet et se serait servie au passage sur d’autres parcelles.
Abattus en Ariège par des bûcherons provenant des pays de l’Est, mais employés par un exploitant espagnol, les arbres auraient ensuite été revendus en Espagne, où le marché du bois, comme partout ailleurs, est en tension depuis longtemps.
Le bois vaut cher (une cinquantaine d’euros le mètre cube de chêne centenaire) et la France, quatrième plus grande surface boisée d’Europe, en regorge. Par ailleurs, les pillards peuvent profiter d’un espace Schengen offrant une très grande liberté de déplacement — et une certaine impunité.
Un phénomène en augmentation
Orgeix, Le Pla, Le Bousquet, Marsa : après l’épisode tragique de Perles-et-Castelet, d’autres communes d’Ariège, d’Aude et des Pyrénées orientales, trois départements proches de l’Espagne, ont déclaré avoir subi des coupes illégales similaires ces dernières années, sur de petites parcelles appartenant à des propriétaires privés.
Le phénomène pourrait paraître anodin. Il arrive bien souvent que les propriétaires ne s’aperçoivent pas tout de suite du larcin. À Perles-et-Castelet, par exemple, certains d’entre eux ont été avertis par la gendarmerie, qui a entrepris un repérage des zones déboisées par drone.
« Cela fait une quinzaine d’années que je suis là et c’est la première fois qu’on a une aussi grosse affaire sur le département et, que je sache, sur les départements voisins, dit à FranceInfo l’adjudant Yann Surplie, de la brigade de recherche de Pamiers. Il y a des victimes derrière qu’il faut réussir à apaiser. Je pense que ce ne sont pas des gens qui en sont à leur premier coup d’essai. »
Mais cette ignorance ou cet éloignement des terrains n’empêchent pas que, cumulées, toutes ces petites parcelles représentent un abattage et un ramassage à échelle industrielle, ainsi qu’une atteinte profonde aux tentatives de reboisement et de préservation de la nature : en une nuit, des intérêts économiques privés détruisent le travail de plusieurs générations.
Dans toute la France, les coupes d’arbres illégales et le pillage de récoltes seraient en augmentation depuis des années. Ces derniers mois, le massif forestier de Garche, qui s’étend d’Hettange-Grande jusqu’aux limites de Cattenom, en Moselle, a lui aussi été victime de coupes rases sur des terrains identifiés comme « vacants et sans maîtres » par la municipalité de Thionville. Le bois aurait ensuite été expédié en Asie où la demande est très forte. Impossible, donc, de retracer son itinéraire.
En février 2020, à Isômes dans le sud de la Haute-Marne, ce sont des arbres fruitiers qui ont été volés à des agriculteurs produisant des confitures, des sirops et des liqueurs de fruits.
Parfois, les propriétaires eux-mêmes effectuent des coupes illégales : récemment, les habitants de Quincy-Sous-Senart, dans l’Essonne, se sont élevés contre l’abattage intempestif des arbres de la forêt de Senart. Bien que ces terrains appartiennent à deux propriétaires privés, le massif forestier se situe dans un espace boisé protégé, où les coupes sont réglementées. Mais la loi n’y change rien.
De lourdes peines, mais peu de moyens
S’ils étaient retrouvés par la police et jugés, les pillards de Perles-et-Castelet encourraient sept ans de prison et de très lourdes amendes, proportionnelles à la surface des terrains déboisés. Ce serait alors, non pas une atteinte à l’environnement comme on pourrait le croire, mais la qualification de vol aggravé et organisé qui serait retenue.
Malgré cet arsenal juridique, les trafiquants de bois jouissent d’une grande impunité. En cause : le manque de moyens et d’effectifs placés dans cette lutte qui ne semble intéresser personne, sauf les victimes.
C’est du moins l’opinion de la Fédération nationale des Communes forestières de l’Aude, qui déplore la réduction drastique de ses agents chargés de surveiller les parcelles, passés de dix à trois au fil des années.
Les actes de vandalisme dans les Pyrénées ou d’autres régions mettent à mal le système même de traçabilité européen, censé garantir l’origine non controversée des bois et fonder la légitimité de toute la filière. En matière d’exploitation forestière, les arbres étant le bien commun par excellence, à l’égal de l’eau, des règles de déontologie minimales sont nécessaires, sans quoi la défiance s’installe et mine les rapports entre les usagers.
À Perles-et-Castelet, les propriétaires victimes des coupes sauvages se sont constitués en association. Alors que l’enquête est toujours en cours, l’entreprise espagnole serait revenue dans les environs afin d’effectuer de nouvelles coupes, légales cette fois-ci.