Grâce à leur persévérance, des habitants du département francilien des Yvelines ont contribué à mettre à jour une filière d'exportation illégale de bois vers le continent asiatique. Plus de 350 arbres, en majorité des chênes issus d’espaces boisés classés, auraient été coupés pour être envoyés en Chine.
Des arbres rasés dans des « Espaces boisés classés »
Difficile d’y croire tant l’histoire paraît rocambolesque, et pourtant : grâce à la vigilance de citoyens, inquiets de voir les forêts des Yvelines « massacrées », une filière d’exportation illégale de bois entre les Yvelines et la Chine a été révélée au grand jour en mars dernier.
Retour à l’automne 2022. A cette époque, dans la forêt de Septeuil (Yvelines), des habitants remarquent des coupes d’arbres « anormales » sur des parcelles privées où la société d’exploitation forestière Euro Bois intervient.
Sur certaines parcelles, d’ailleurs classées « Espaces boisés classés » (EBC), « les coupes, qui visaient essentiellement des chênes, étaient autorisées, puisque des demandes d’autorisation de coupe avaient été déposées en mairie et que les propriétaires des parcelles avaient donné leur accord, rembobine Virginie Meurisse pour La Relève et La Peste.
Mais alors que la société disait effectuer des coupes sanitaires, elle ne coupait que des arbres sains, continue la présidente de Sauvons La Tournelle, une association dédiée notamment à la défense des sites naturels des Yvelines. Il y avait également des irrégularités dans les demandes d’autorisation ».
Des citoyens devenus « enquêteurs en herbe »
Rapidement, les associations Sauvons la Tournelle, Jade et Sauvons les Yvelines portent plainte face à ce que toutes trois qualifient alors de « massacre à la tronçonneuse », comme Virginie Meurisse l’expliquait déjà pour La Relève et La Peste à l’hiver 2022.
« On a également écrit à la mairie de Septeuil pour qu’elle prenne un Arrêté interruptif de travaux (AIT) qui permette l’arrêt des coupes le temps d’instruire notre plainte, mais le maire a refusé », développe la militante, amère.
Si sur place, l’abattage des chênes continue, une enquête est néanmoins ouverte, dont sont saisis les gendarmes de la Communauté de brigades (CoB) de Septeuil.
« On a eu de la chance parce qu’on a été reçu par un gendarme qui a pris la question très au sérieux », insiste Virginie Meurisse.
Surtout, quelques mois plus tard, en avril 2023, un habitant remarque en forêt des Yvelines de nouveaux troncs abattus, prêts à être chargés dans un conteneur maritime. Par réflexe, l’habitant prend une photo et à partir de là, tout s’accélère. En possession de l’immatriculation du conteneur, et grâce à des sites de pistage en open source, les militants écologistes réussissent à pister le conteneur jusqu’au port de Yantian, au sud de la Chine.
« Si ce n’était pas si grave, ça en en serait presque drôle, lâche Virginie Meurisse. On s’est vraiment transformés en enquêteurs en herbe. »
Les gérants attendus devant le tribunal correctionnel de Versailles
En parallèle, la gendarmerie corrobore la piste de l’exportation de bois vers l’Asie, jusqu’à aboutir au placement en garde à vue des gérants d’Euro Bois le 6 mars dernier. Au cours de la perquisition, conduite par les enquêteurs dans les locaux de l’entreprise, 27 000 euros en liquide sont saisis, ainsi que des documents faisant état de transferts d’argent de la Chine vers une entreprise turque, pour un montant d’environ 100 000 euros, détaille la gendarmerie.
« Sur les déclarations préalables, les motifs de coupe sont erronés, apprend-on également. Les taux de prélèvement sont dépassés, et des arbres sont abattus et volés sur des parcelles non-déclarées, sans l’autorisation des propriétaires. »
Poursuivis pour coupe illicite d’arbres et vols de bois depuis janvier 2021, les gérants de la société d’exploitation forestière, une mère et son fils, sont attendus devant le Tribunal correctionnel de Versailles le 21 mai prochain. Une audience que les associations de préservation de l’environnement des Yvelines attendent avec impatience, d’autant que l’entreprise avait déjà été condamnée en 2022 pour des faits similaires dans la commune de Grosrouvre (Yvelines).
« Avec cette audience, on espère comprendre comment ces coupes ont pu avoir lieu alors qu’elles seraient illégales », détaille Virginie Meurisse, qui estime qu’au moins 350 arbres auraient été coupés illégalement sur environ 10 hectares de forêt.
Des coupes qui visaient essentiellement des gros chênes valorisables sur le marché mondial, et notamment en Chine où la coupe de chênes est interdite depuis 2017.
Répertorier toutes les coupes de bois des Yvelines
Heureuse de voir les efforts des militants associatifs payer, Virginie Meurisse garde cependant un goût amer de ces longs mois de combat.
« On va certainement taper sur cette entreprise, à juste titre, mais je regrette qu’on ne soit pas allé plus vite, dit-elle. Dès le départ, on a alerté la mairie de Septeuil, qui n’a rien fait. Dans des situations similaires, d’autres maires ont pris des AIT et ont pu empêcher des massacres. Nous, ça n’a pas été le cas », insiste-t-elle, alors que d’après l’Office national des forêts (ONF), le montant du préjudice s’élève à 160 000 euros.
Loin de baisser les bras pour autant, Virginie Meurisse et les associations écologistes du territoire disent vouloir rester attentifs aux coupes de bois « suspectes » dans les Yvelines, où « c’est l’hécatombe ».
Ces derniers travaillent d’ailleurs à créer une carte interactive qui permettrait de répertorier l’ensemble des coupes d’arbres des Yvelines, en forêt privée comme dans les forêts gérées par l’ONF. Un travail titanesque qui nécessiterait la contribution de cartographes, de naturalistes ou encore d’écologues.
L’objectif : « connaître le volume réel de bois abattu dans le département, explique Virginie Meurisse. On cherche à alerter sur les trafics de bois, comme ça a été le cas dans la forêt de Septeuil, mais aussi plus largement sur la quantité de coupes de bois autorisées.
Pour nous, il est urgent de revoir les plans de gestion des forêts qui, bien que légaux, sont parfois obsolètes face au dérèglement climatique et au dépérissement de la forêt. »
Contactée, la mairie de Septeuil n’a pas répondu à notre demande d’interview.