Le nouveau rapport du GIEC nous alerte une dernière fois avant une crise irréversible : le monde entier doit engager des changements drastiques dès maintenant. Il faut que les émissions de gaz à effet de serre diminuent de 45 % pour limiter le réchauffement climatique à +1,5 °C en 2030, et que le monde soit neutre en carbone en 2050.
A +1,5 °C ou à +2 °C, le monde ne sera pas le même
Une différence de 0,5°C peut tout changer. Les experts sur le climat de l’ONU (Giec) nous préviennent : à +1,5 °C ou à +2 °C, le monde ne sera pas le même. Publié ce lundi 8 octobre, le « résumé à l’intention des décideurs politiques » donne les conclusions de leur rapport de 400 pages, rapport spécial commandé lors de la conférence des Nations unies de décembre 2015 en France (COP 21). Cette étude détaille l’état de notre planète si l’Accord de Paris, ratifié par 188 Etats, est respecté : limiter le réchauffement climatique à +1,5°C.
On a déjà ressenti les effets de ce réchauffement avec des étés caniculaires. En toute logique, les vagues de chaleur vont continuer à augmenter dans la plupart des régions, notamment dans les Tropiques. De la même façon, les précipitations liées aux cyclones seront de plus en plus intenses. Mais l’intensité de ces phénomènes dépendra bien de cette « petite » différence de 0,5°C… aux conséquences majeures.
Par exemple, le niveau des mers va s’élever de 26 à 77 cm d’ici 2100 sur une trajectoire à +1,5°C. A +2°C, il s’élèvera de 10cm de plus, détruisant le milieu de vie de 10 millions de personnes supplémentaires ! Plus inquiétant, à long terme, l’instabilité de la calotte Antarctique et/ou la perte de celle du Groenland pourraient définitivement s’enclencher vers +1,5/2°C, augmentant le niveau des mers de plusieurs mètres sur les siècles ou millénaires à venir. Avec +1,5°C, l’Arctique connaîtra un été sans banquise par siècle, alors qu’avec +2°C, ce sera tous les dix ans…
Se maintenir au seuil de +1,5°C permettrait d’empêcher une trop grande acidification de l’océan (liée aux concentrations trop élevées de C02) qui est une menace à la fois pour la faune et la flore marine, mais aussi pour le rôle essentiel de cet autre « poumon » de la planète. Claire Nouvian l’a rappelé sur FranceInter : « l’océan, c’est une respiration sur deux ». Il produit 50% de l’oxygène et absorbe la moitié des émissions de carbone.
Et ces différences se ressentent aussi bien dans les airs et les mers que sur terre. Ainsi, limiter le choc à +1,5°C permettrait de moins impacter les espèces terrestres : moins de feux de forêts, de perte de territoires, d’espèces invasives… A +1°C, 4 % de la surface terrestre change d’écosystème, à +2°C ce sera 13 %.
La productivité des sols pour nous nourrir est également fragilisée différemment selon le degré d’augmentation de la température. Le rapport s’inquiète d’une trajectoire à +2°C pour les récoltes de maïs, riz et blé, notamment en Asie du sud-est et en Amérique latine. Les risques sont ainsi plus importants pour la ressource en eau, la sécurité alimentaire et la santé.
« Business as usual » = +3°C en 2100
Si cette liste ne suffit pas à donner le vertige en elle-même, une information démontre particulièrement l’urgence de la situation : en 2017- 2018, la température a déjà augmenté d’1 °C d’augmentation par rapport à l’époque préindustrielle. L’objectif de l’accord de Paris consiste en fait à ne pas aggraver cet état de fait de 0,5 °C maximum d’ici à 2100. Les engagements pris par les Etats lors de la COP 21 sont déjà insuffisants et auraient pour conséquence une planète à +3°C d’ici la fin du siècle, avec sa suite de catastrophes irréversibles.
Alors que l’Agence Internationale de l’Energie prévoit que les émissions de GES du secteur énergétique vont augmenter en 2018, cela explique sans doute que le GIEC ait dépassé son rôle de lanceur d’alerte pour préconiser la seule façon de limiter les dégâts : un changement profond et radical du système avec « une transition rapide et de grande portée en matière d’énergies, d’usage des sols, de transports, bâtiment et systèmes industriels ».
Bien entendu, le monde de la finance a un rôle essentiel dans la mise en action de cette transition : 2 400 milliards de dollars d’investissements annuels seront nécessaires entre 2016 et 2035 pour la transformation des systèmes énergétiques, soit 2,5 % du PIB mondial. Un coût dérisoire par rapport au prix de l’inaction que nous devrons payer.
Les solutions recommandées par le GIEC sont cruciales pour la politique internationale à l’heure où certains pays, comme les Etats-Unis, se bercent d’illusions en pensant pouvoir continuer le « business as usual » et faire moins d’efforts sur leurs émissions de GES grâce au développement de techniques de capture de C02. Ces dernières ne seront jamais aussi efficaces que celles mises à disposition par la nature. Nous pouvons nous inspirer des services rendus par la nature, mais nous ne pourrons jamais aussi bien les remplacer comme l’a récemment prouvé l’échec monumental des 25 000 pneus qui ont pollué la Mer Méditerranée alors qu’ils devaient servir de refuge pour poissons.
Des changements radicaux, mais pas impossibles
Face à ce déferlement d’annonces anxiogènes, on pourrait être découragé par l’ampleur de la tâche qui nous attend. Pourtant, le GIEC le dit clairement : les changements à faire sont radicaux, mais pas impossibles. Pour le professeur en durabilité Dominique Bourg, le rapport donne ainsi deux axes majeurs de progression : réduire de 45 % nos émissions d’ici 2030, et constitue une base juridique pour renforcer les recours en justice contre les crimes climatiques.
« Cela vous paraît impossible ? Mais nous devons réaliser l’impossible pour éviter l’impensable. »
Le Tour Alternatiba qui s’est clôturé ce weekend à Bayonne a ainsi lancé un appel vibrant pour « enclencher la métamorphose écologique et sociale de nos territoires. Pour rester sous la barre des 1,5 °C, la solution est claire : finis les petits pas, place à un changement immédiat et profond de système. » De la même façon, 19 youtubeurs appelent à la mobilisation générale pour le climat avec le site internet « ilestencoretemps.fr » : « pour qu’en trois clics, n’importe qui de motivé puisse prendre les choses en main face à l’inaction climatique et trouve un moyen d’action qui aura de l’impact ».
En tant que citoyens d’un pays riche, nous avons sans doute une responsabilité encore plus grande pour nous engager dans cette transition par rapport au reste du monde. Parce que nous bénéficions d’un confort de vie extravagant et d’un pouvoir que les pays pauvres n’ont pas, nous devrions être les premiers à nous remettre en question.
Dans son livre « Petite métaphysique des tsunamis », le philosophe Jean-Pierre Dupuy nous enseigne deux choses. La première, c’est que la fatalité est la somme de nos démissions. La seconde, face au défi qui nous attend : « c’est par rapport au destin de l’humanité que nous avons des comptes à rendre, donc par rapport à nous-mêmes, ici et maintenant. »