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Dans le massif du Jura, l’épidémie de scolytes fait des ravages

Capable de se reproduire deux fois dans l’année, le typographe a un pouvoir multiplicatif de 25 sur une génération. À chaque nouvelle lignée, donc, la population devient exponentielle. Une caractéristique qui permet à l’insecte de perdurer, même si les conditions venaient, temporairement, à s’améliorer.

Les scolytes, ces petits coléoptères ravageurs de bois, entraînent le dépérissement de nombreux massifs forestiers français. Dans le Jura, les zones boisées d’épicéas sont devenues les plus impactées du territoire, après des épidémies à répétitions depuis 2018. Ces insectes qui se reproduisent de façon exponentielle sont notamment friands de sécheresse, aggravée depuis plusieurs années maintenant par la hausse des températures en altitude, et auxquelles les forêts de Franche-Comté ne sont pas habituées.

La circulation de la sève coupée

Mesurant à peine quelques millimètres, le scolyte a pourtant la capacité de faire s’éteindre des géants. Forant l’écorce des arbres, ce petit insecte de la famille des coléoptères parvient à y creuser des galeries sous corticales, soit, entre le bois et l’écorce. Une fois à l’intérieur, il va pouvoir y déposer ses œufs, coupant alors la circulation de la sève et entraînant, mécaniquement, la mort de l’arbre. Dans sa tâche, un champignon acolyte va lui permettre d’être plus rapide dans son action, en coévoluant à ses côtés.

Les scolytes peuvent prendre pour cible toutes les essences d’arbres, aussi bien le chêne que le hêtre en passant par les résineux. Parmi les 150 espèces de ces petits insectes existant, le typographe est particulièrement tenace. C’est lui que l’on retrouve dans le massif jurassien.

« Il est inféodé à l’épicéa et est considéré comme étant le scolyte le plus agressif. Lorsque l’on a des phases de pullulation épidémique, comme en ce moment sur le massif jurassien, il est capable d’engendrer la mort de l’épicéa. C’est une espèce qui est très rigoureuse et qui n’est pas forcément affaiblie par un stress hydrique », détaille Mathieu Mirabel, responsable du Pôle santé des forêts de la Direction régionale de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt de Bourgogne-Franche-Comté, pour La Relève et la Peste.

Capable de se reproduire deux fois dans l’année, le typographe a un pouvoir multiplicatif de 25 sur une génération. À chaque nouvelle lignée, donc, la population devient exponentielle. Une caractéristique qui permet à l’insecte de perdurer, même si les conditions venaient, temporairement, à s’améliorer.

Les champignons, quant à eux, s’ils n’engendrent pas de dégradation mécanique du bois qui conserve sa qualité de résistance, vont cependant progressivement se colorer en bleu. Une transformation qui ne sera pas à l’avantage des bois scolytés, notamment d’un point de vue économique pour la filière bois.

Galeries creusées par les femelles pour pondre leurs œufs – Crédit : Manon Genin / ONF

Une profusion aggravée par la sécheresse et la hausse des températures

Pour qu’une épidémie de scolytes survienne, il est nécessaire d’avoir un élément déclencheur externe, à l’image d’une tempête ou de sécheresses entraînant la répétition de stress hydrique. Dans le massif jurassien, après une violente tempête en 2018 affaiblissant des bois facilement colonisables par le typographe, les sécheresses se sont également succédées jusqu’en 2023. La hausse des températures en altitude, elle aussi indéniable, favorise là encore la présence du typographe.

« Plus il fait sec et chaud, plus les arbres sont en stress hydrique, donc affaiblis, et donc plus facilement colonisables par le scolyte. Les fortes chaleurs, aussi répétées, renforcent et accélèrent le cycle de développement des scolytes, qui vont se reproduire plus rapidement », explique Mathieu Mirabel à La Relève et la Peste.

Aujourd’hui, si le massif jurassien est le plus impacté en termes d’attaques de scolytes sur les épicéas au niveau national, trois raisons l’expliquent. D’abord, l’épicéa est une essence de montagne, il s’agit là de son « optimum écologique ». Cette espèce est en effet présente naturellement au-delà de 1000 mètres d’altitude dans le Haut-Jura.

Mais au cours du XXe siècle, entre les années 1950 et 1980, le fond forestier national a engendré le boisement de résineux, notamment d’épicéas, jusqu’en plaine, dans une logique économique. Résultat, ces derniers se retrouvent alors en situation de vulnérabilité, en dehors de cet optimum écologique.

Ces peuplements ont ainsi été les premiers impactés par la crise de scolytes en 2018, puis 2019 et 2020. C’est à partir de 2022 que celle-ci s’est finalement propagée au-delà de 1000 mètres, dans l’aire naturelle de l’arbre.

Aussi, les sols du massif jurassien sont extrêmement karstiques (contenant beaucoup de calcaire), et donc très superficiels. Une particularité bien marquée par rapport aux autres massifs forestiers, qui en fait une faible réserve utile. Enfin, le massif du Jura est historiquement très peu habitué aux sécheresses et n’est pas un habitué des grandes chaleurs, le rendant alors d’autant plus vulnérable.

Trous causés par les scolytes dans l’écorce de l’épicéa – Crédit : Manon Genin / ONF

Quelles solutions pour l’avenir ?

Alors, pour tenter de faire face à ces épidémies, des solutions préventives sont mises en place. Notamment l’augmentation de la diversité en termes d’essence, mais aussi le travail de la structure forestière, qui consiste à implanter spécifiquement de jeunes arbres. En effet, le typographe ne s’attaque qu’aux espèces de 20 à 25 cm de diamètre, soit adultes. Des mesures curatives sont également mises en place.

« De façon assez radicale, les arbres scolytés sont coupés, écorcés ou sortis de la forêt. Il n’y a pas d’utilisation d’insecticides, par exemple. Le but est de détecter les arbres fraîchement attaqués, notamment en repérant la sciure émise par le scolyte qui attaque l’arbre », explique Mathieu Mirabel à La Relève et la Peste.

Forêt de Darney (Vosges) – Crédit : Fiona Farrell / ONF

Des correspondants observateurs, de forêt publique ou privée, ainsi que l’utilisation de la télédétection, à travers les images satellitaires, permettent également de spatialiser et quantifier la dynamique de l’épidémie. Bien qu’un bilan de l’épidémie pour l’année 2024 soit encore prématuré, il est certain que celle-ci est toujours bien présente.

« Le retour d’une pluviométrie est tout de même toujours favorable aux épicéas et, jusqu’à présent le retour de ces conditions météorologiques ont toujours permis de revenir à une endémie. Les épidémies de scolytes, elles, survenaient habituellement tous les dix ans environ. Aujourd’hui, la particularité est que nous n’avons jamais eu autant de surface d’épicéas qui était à maturité. C’est un garde-manger phénoménal pour les scolytes. Le cumul d’années chaudes que l’on ne connaissait lors des précédentes épidémies n’a fait qu’accentuer le phénomène », précise Mathieu Mirabel.

Heureusement, l’épicéa n’est pas une essence menacée, ni en voie de disparition dans le Jura. Environ 10% des surfaces en étant peuplées sont atteintes par la crise, mais l’essentiel reste, encore aujourd’hui, indemne.

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Juliette Boffy

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