Engagée de longue date dans la défense des forêts, l'association Canopée vient de sortir un rapport édifiant sur les méthodes employées par la coopérative forestière Alliance Forêts Bois, qui prétend pourtant œuvrer pour une “gestion durable” des bois. Le plus préoccupant, c’est qu’elle impose ses méthodes partout en France. Un décryptage de Cécile Massin.
Le geste se voulait symbolique. Ce vendredi 7 juillet, l’association Canopée – Forêts vivantes s’est déplacée jusqu’au siège de la coopérative forestière Alliance Forêts Bois, à Cestas (Gironde), pour tenter d’engager le dialogue, sans succès, mais aussi pour y déposer un rouleau landais.
Ironiquement qualifié de “bébé de 750 kilos” par Bruno Doucet, chargé de campagne au sein de l’association de défense des forêts, l’outil avait été retrouvé par les militants de Canopée sur une parcelle de 20 hectares à Lésigny (Vienne).
Là, il avait été utilisé par les techniciens sylvicoles d’Alliance après une coupe rase afin de détruire les réseaux racinaires du sol de la parcelle, et avant de replanter, en lieu et place du peuplement initial, des pins maritimes.
Un exemple parmi d’autres du modèle de sylviculture intensive développé à grande échelle par la coopérative forestière et dénoncé par l’association Canopée dans son dernier rapport, “Enquête sur le système Alliance”, rendu public le 7 juillet dernier. Basé sur plus de deux ans de recherche, ce dernier décortique avec précision le fonctionnement d’Alliance, aujourd’hui première coopérative forestière de France.
Une pratique systématisée
“L’idée de l’enquête nous est venue de la coupe rase qui a été faite par Alliance dans la Vienne, rembobine Bruno Doucet, principal rédacteur du rapport. Sur la parcelle concernée, ils ont appliqué leur modèle classique, à savoir effectuer une coupe rase, passer le rouleau landais et replanter des résineux.”
Un procédé utilisé alors même que “la Vienne est située très loin de là où Alliance est initialement implantée, dans les Landes, renchérit Bruno Doucet. Avec ce type de cas, on voit bien que leur modèle se propage.”
Largement documenté dans le dernier rapport de Canopée, cet exemple vient étayer le constat sans appel que dresse l’association de défense des forêts : les coupes rases suivies de plantations de résineux en monoculture ne sont pas un cas isolé, mais une pratique régulière d’Alliance. Pratique sur laquelle la coopérative forestière a d’ailleurs construit l’entièreté de son modèle économique.
“Une fois les coupes rases effectuées, 94% des arbres plantés par Alliance sont des résineux”, développe Bruno Doucet.
Ces essences, “particulièrement adaptées aux besoins industriels”, viennent ainsi remplacer progressivement les forêts de feuillues, qui se régénéraient elles-mêmes. “Le modèle de sylviculture intensive que promeut Alliance sert essentiellement ses propres intérêts commerciaux”, synthétise le chargé de campagne.
D’autant qu’initialement, Alliance Forêts Bois a été créée “pour alimenter l’industrie papetière”, comme cela est rappelé dans le rapport de Canopée. Et plus de dix ans après, la coopérative forestière continue à produire plus de 3 millions de tonnes de bois par an.
Des financements publics conséquents
S’ils sont largement pointés du doigt par Canopée, les modes opératoires d’Alliance n’en sont pas moins légaux, à l’exception notamment d’une coupe de feuillus, réalisée en 2022 en zone Natura 2000, en Gironde, en dehors de toute autorisation de coupe ou plan de gestion.
Surtout, pour les mettre à exécution, la coopérative forestière capte de très importants financements publics, comme le souligne le rapport de Canopée, notamment dans le cadre du plan de relance de la filière forêt-bois où les subventions que perçoit Alliance s’élèvent à 14,9 millions d’euros.
“Ils sont très forts en lobbying, confesse Bruno Doucet. Leur position dominante au sein de la filière leur permet d’influencer les politiques publiques” et de s’étendre de manière exponentielle, la coopérative forestière étant désormais présente dans 53 départements de France métropolitaine.
“Alors qu’Alliance était autrefois cantonnée au massif des Landes de Gascogne, elle a absorbé 18 autres coopératives concurrentes”, poursuit Bruno Doucet. La coopérative s’étend désormais à toute la façade Ouest de la France, des Pyrénées jusqu’en Normandie.
Faire changer la législation
Loin de baisser les bras, et malgré les difficultés à engager un dialogue constructif avec Alliance, l’association de défense des forêts entend continuer à se battre contre les pratiques de la coopérative en tentant notamment de “faire changer la loi”. L’objectif : que la législation encadre les coupes rases en les limitant strictement aux situations de dernier recours.
À la rentrée, l’association veut également interpeller les financeurs d’Alliance, espérant que cela puisse faire évoluer, à terme, les pratiques de la coopérative forestière. “Un sylviculteur, c’est avant tout quelqu’un qui est censé accompagner la forêt, lâche Bruno Doucet, certainement pas quelqu’un qui coupe et replante à tout va.”