Un cocktail molotov, un vigile finissant à l’eau, un barbecue qui dégénère, des actions coups de poing en pleine mer : la mobilisation des pêcheurs contre le futur parc éolien de la baie de Saint-Brieuc, dans les Côtes-d’Armor, prend de l’ampleur. Le 21 mai, trois marins ont écopé de peines de prison avec sursis pour des violences commises en marge d’un déjeuner.
Un projet éolien offshore
Le projet contesté est un parc de 62 éoliennes off-shore, qui quadrilleront une surface de 75 km², à 16 kilomètres au large du cap d’Erquy, entre Saint-Brieuc et Saint-Malo. D’un coût estimé de 2,5 milliards d’euros, ce méga-projet est porté par Ailes marines, société française détenue intégralement par le géant espagnol Iberdrola, l’un des leaders mondiaux des énergies renouvelables.
Dès leur mise en service, prévue en 2023, les turbines sont censées produire une puissance totale de 1 850 gigawatts/heure, suffisants, selon leurs promoteurs, pour répondre aux besoins de 800 000 habitants environ, été comme hiver, ou encore 9 % de l’électricité consommée en Bretagne, si l’on ajoute aux ménages les infrastructures et l’industrie.
Le projet devrait aussi comprendre une cinquantaine de kilomètres de câbles électriques, qui relieront la sous-station en mer, une plate-forme établie au centre du parc, au poste de redistribution de la Doberie, à Hénansal, dans les terres. C’est sur la plage de Caroual, à Erquy, que les câbles sortiront des eaux.
L’opposition des pêcheurs
Les mois d’avril et de mai ont été marqués par une mobilisation obstinée des pêcheurs des Côtes-d’Armor contre le parc éolien. Le lundi 3 mai, au petit matin, alors que le début des travaux devait avoir lieu dans la journée, plusieurs centaines d’entre eux ont tenté d’empêcher les navires d’Ailes marines de se rendre sur le chantier.
Sans succès. Prétextant des « aléas » météorologiques, la société a repoussé le départ de sa flotte, se dérobant à la barrière des pêcheurs, au moment même où le bateau-plateforme Aeolus, un gigantesque bâtiment de 140 mètres de long pouvant se mettre sur pilotis, avançait vers la zone pour commencer le forage des fonds marins et installer les premiers pieux.
La mobilisation du 3 mai s’est prolongée à 10 heures devant la préfecture de Saint-Brieuc, où 300 personnes se sont rassemblées, ont déversé des tas de coquilles Saint-Jacques, brandi banderoles et pancartes et scandé leurs mots d’ordre jusqu’à la fin de la matinée.
Le mois précédent, dans la nuit du 24 avril, un cocktail molotov avait été projeté sur le chantier de raccordement de la plage de Caroual, à Erquy. Cinq jours plus tard, une dizaine de pêcheurs voulant détacher une barge amarrée dans un bassin du port du Légué, à Saint-Brieuc, avaient fait tomber à l’eau le vigile qui en assurait la surveillance.
Comment expliquer cette colère ?
Les pêcheurs affirment que le parc éolien géant nuira à leurs activités, en perturbant l’équilibre de la baie de Saint-Brieuc, haut-lieu de la pêche bretonne.
Dans une lettre adressée aux ministres de la Transition écologique, Barbara Pompili, et de la Mer, Annick Girardin, le président du Comité de la pêche des Côtes-d’Armor, Alain Coudray, a accusé l’État de minimiser l’impact d’un projet qui constitue pour lui « une déclaration de guerre » aux professionnels de la pêche.
« La zone du parc représente l’équivalent du deuxième plus gros gisement de coquilles Saint-Jacques de Bretagne », écrit le comité départemental, qui ajoute que « dans cette histoire, ni le climat, ni le territoire et encore moins la profession et la biodiversité marine de la baie de Saint-Brieuc ne vont être gagnants ».
Menaçant d’entraver les pêcheurs dans le bon accomplissement de leur métier, la présence de 62 éoliennes aura des conséquences inévitables sur « la Saint-Jacques, l’amande de mer, la praire, le homard ou les seiches, alors même que les scientifiques ayant mené les études [d’impact environnemental, ndlr] mettent en lumière les connaissances partielles sur ces sujets ».
Les pêcheurs costarmoricains s’estiment lésés. Inquiets pour la biodiversité, à laquelle sont conditionnés des centaines d’emplois et toute une tradition halieutique, ils ont plusieurs fois demandé au gouvernement d’annuler le projet, en vain.
Une mobilisation sous surveillance
Le vendredi 7 mai, quelques jours après le début des travaux, plus de 70 bateaux ont entouré la plate-forme Aeolus, à l’occasion d’une action coup de poing destinée à alerter l’opinion publique sur leur situation.
Provenant de Saint-Malo, Cancale, Erquy, Paimpol, Saint-Cast-le-Guildo, Saint-Quay-Portrieux et même de Normandie, les pêcheurs ont passé une heure à tirer des fusées de détresse au-dessus du paquebot-foreur, surveillés de près par des navires de la Marine nationale.
« C’est une zone où on travaille, a déclaré Christophe Thiaud, pêcheur d’Erquy, à France Bleue. On a peur que la ressource disparaisse pendant les trois ans de travaux. On ne veut pas de compensation financière, on veut pouvoir vivre de notre travail. »
Une semaine plus tard, un déjeuner organisé dans le jardin d’un pêcheur, à Erquy, sur un terrain situé tout près du chantier de la plage de Caroual, a dégénéré en esclandre avec les gendarmes, pour lequel trois pêcheurs ont reçu de lourdes peines de prison avec sursis.
Les pêcheurs racontent avoir été surveillés et filmés par des salariés de RTE (Réseau de transport d’électricité), qui auraient ensuite prévenu les forces de l’ordre.
L’industrialisation de la mer
Lors d’une conférence de presse, le 10 mai, la ministre de la Transition écologique a répondu aux pêcheurs que « le gouvernement [était] déterminé à conduire tous ces projets à leur terme ». Indiquant que les éoliennes étaient nécessaires à la transition énergétique française, elle a ajouté que le parc avait fait l’objet d’un débat public avec « les riverains » et « tous les usagers de la mer ».
D’une immense richesse patrimoniale et paysagère, plusieurs sites de la baie de Saint-Brieuc ont été classés Natura 2000 ou figurent parmi les réserves naturelles françaises. Pour autoriser l’implantation de ces éoliennes de 207 mètres de haut — la taille de la tour Montparnasse —, le gouvernement a donc dû procéder à 61 dérogations à l’interdiction de porter atteinte aux espèces protégées.
Dans un avis rendu en 2016, l’Autorité environnementale demandait déjà à l’État « d’expliquer les raisons pour lesquelles, eu égard aux effets sur l’environnement ou la santé humaine, le projet de Saint-Brieuc a été retenu ».
L’organisme indépendant notait que « les impacts sur la faune marine selon les espèces » n’étaient pas assez détaillés par les porteurs du projet, qui n’avaient pas non plus suffisamment pris en compte, selon lui, les « perturbations acoustiques », les « risques d’érosion », le « relargage dans la durée de métaux », ainsi que « l’impact [des mâts et des pales] sur le paysage » et « sur l’avifaune », très sensible aux turbines.
Comme tous les projets industriels en mer, ce parc éolien paraît avoir été engagé dans une méconnaissance complète de ses effets à court et long terme sur l’environnement. Imposé sans concertation et sans étude d’impact précise, il ressemble à s’y méprendre à une industrialisation à marche forcée de la mer, au nom de la transition.