Face au défi climatique et écologique, des résistants sèment un futur résilient. À Villenauxe-la-Grande, en Champagne, Hélène Monleau a décidé de produire du champagne autrement. Cette viticultrice passionnée retrace pour La Relève et La Peste l’évolution de son domaine.
Une famille avant-gardiste
Pour Hélène, le travail de la terre est une affaire de famille. Ses ancêtres étaient viticulteurs ou agriculteurs, et ses parents Danièle et Alain ont créé leur exploitation à la fin des années 70. Pourtant, à la fin de son lycée, elle décide de partir en école de commerce et commence à travailler dans la finance. Très vite, elle réalise que ce monde ne lui correspond pas.
Revenant régulièrement sur l’exploitation de ses parents, qui s’emploient à mettre en place des pratiques responsables, elle trouve injuste la manière dont les médias traitent le sujet des agriculteurs. En 2015, elle décide de reprendre l’exploitation familiale.
« Je voulais témoigner du fait que l’agriculture et la viticulture changent. » explique-t-elle.
La Champagne compte de nombreuses petites exploitations familiales. La famille d’Hélène s’est associée avec d’autres pour éviter d’acheter une cuverie et un pressoir, ce qui a permis d’avancer plus vite dans la mise en place de pratiques écologiques.
« Je me sens chanceuse parce que j’ai un papa qui n’était pas forcément de sa génération. Je pense qu’il faut être indulgent avec les générations précédentes. Ils sortaient de la guerre, leur quotidien était très dur. Quand la mécanisation et les produits phytosanitaires sont arrivés, ils l’ont probablement vécu comme une délivrance. » raconte-t-elle.
« Mais rapidement mon père s’est dit qu’il y avait un souci avec ces produits qui détruisaient les plantes. » continue la viticultrice.
Elle explique que dans les années 1980, il n’est pas rare d’appliquer une vingtaine de traitements sur une saison. Son père Alain veut d’abord se passer des herbicides. Or, la Champagne étant une région très humide, l’herbe retient l’humidité, qui engendre des champignons, la bête noire des vignobles.
À force d’expérimentation, le viticulteur finit par trouver les types d’herbes adaptés à son terrain (trèfle, Sainfoin, géranium…) et détermine à quels moments les couper. Afin de se passer d’insecticides, des phéromones de papillons femelles sont diffusées, ce qui incite les insectes à se reproduire dans les bois alentour plutôt que sur les plants de la vigne.
En reprenant l’exploitation, Hélène a poursuivi cette évolution. Évidemment, il s’agit souvent d’une charge de travail supplémentaire : désherber à la main, contrôler l’humidité au quotidien…
« Le changement n’est pas facile. » reconnaît Hélène. « On bosse comme des fous. » Mais les bienfaits sont là : « on arrive à se passer des herbicides et des insecticides, on a une vigne riche. La parcelle vit ! »
Avec l’enherbement, la flore autour des plants de vigne est plus riche et les abeilles plus nombreuses. Un apiculteur local, David Fischer, tire un miel gourmand et fleuri des ruches qu’il a installé dans les vignes sur la proposition d’Hélène.
L’exploitation est aujourd’hui en cours de certification Viticulture Durable en Champagne et Haute Valeur Environnementale. Hélène s’efforce par ailleurs d’appliquer la démarche environnementale dans les moindres détails de la production.
Les bouteilles sont vendues dans des cartons recyclés et recyclables, les eaux de pluie sont recueillies, des haies sont plantées pour reboiser le paysage…
Une aventure collective
Le domaine Monleau fait partie d’un groupement d’exploitants. Ensemble, ils parcourent les vignes et s’efforcent de détecter les maladies. Depuis quelques années, cette coopération s’applique également dans l’échange des pratiques. Des réunions, des témoignages, des formations sont organisés.
« Dans ma vie d’avant je ne me sentais pas à ma place, confie Hélène pour La Relève et La Peste. Aujourd’hui je vis en accord avec mes valeurs. En disant haut et fort mon fonctionnement, je rencontre des gens positifs et on continue ensemble notre chemin. »
Ces pratiques, Hélène veut aussi les expliquer aux consommateurs. Les accueillir sur le vignoble, les rencontrer, leur faire comprendre le sens de la démarche.
Durant le premier confinement, elle participe à la création d’Au Court Circuit, réseau de producteurs et de consommateurs engagés pour le respect de l’environnement.
Il rassemble des maraichers, un apiculteur, une productrice de graines, des boulangers, une couturière, des producteurs de cidre, de bière artisanale, de viande, de fromage, de savon… Tous établis dans un rayon de 30km. Le moyen de réfléchir ensemble à une évolution des pratiques :
« On cherche chacun, dans notre domaine, à bosser plus durablement. » résume Hélène pour La Relève et La Peste
Les consommateurs, eux, s’approvisionnent différemment, redécouvrent la richesse du terroir, connaissent l’origine des produits. Des activités, des sorties sont organisées, comme un pique-nique au vignoble ou un atelier sur le thème « Consommer moins et mieux ».
« Les gens ont besoin de se faire plaisir, de manger des produits sains. » remarque Hélène. Selon la jeune femme, le confinement a exacerbé cette tendance.
Les mentalités évoluent de plus en plus vite. Si la viticultrice peut aujourd’hui s’inscrire dans ce mouvement, elle rappelle qu’elle le doit à ceux qui l’ont précédée : « Si aujourd’hui on arrive à changer les pratiques et à s’améliorer, c’est parce qu’il y a des gens qui depuis plusieurs dizaines d’années, se bougent pour évoluer. On est bien d’accord qu’il y a encore beaucoup de chemin à faire dans beaucoup d’exploitations. Mais on est dans une bonne direction. »