Après avoir passé 15 années à enquêter dans les abattoirs français pour le compte d’une association, Jean-Luc Daub, profondément marqué par cette expérience, s’est reconstruit grâce au sauvetage d’un cochon d’élevage, Henni, qui lui a inspiré un refuge pour animaux en Alsace. Pour La Relève et la Peste, l’ancien enquêteur revient sur son parcours singulier et poignant, qui permet à toutes et à tous d’entamer une réflexion autour de la conscience animale et du traitement que l’homme inflige aux bêtes pour assouvir une consommation déraisonnée de viande.
De l’extérieur à l’intérieur des couloirs de la mort
À proximité de l’emplacement d’un célèbre magasin d’ameublement suédois, à Strasbourg, les rails sont encore visibles. Si aujourd’hui des centaines de personnes s’amoncellent à l’entrée du commerce pour consommer de façon frénétique, le lieu est pourtant chargé d’une toute autre histoire. Un passé que Jean-Luc Daub ne connaît que trop bien.
D’abord bénévole pour la SPA de Strasbourg, il se voit confier des enquêtes auprès d’animaux de ferme dans les années 1990, réalisant alors que toutes les bêtes ne sont ni perçues ni traitées de la même façon, selon qu’on a la chance de naître chien ou vache. En parallèle, il commence à documenter à travers l’objectif de son appareil photo, l’extérieur d’abattoirs auquel il n’a jusqu’alors pas accès.
« À cette époque, déjà, je voyais des choses abominables. Des vaches sanglées au sol, attachées à des chaînes, à peine d’espace pour se lever et se coucher. Personne ne disait ni ne faisait rien pour elles », explique Jean-Luc Daub à La Relève et la Peste.
Puis, progressivement, son engagement constant mène Jean-Luc Daub à être parachuté inspecteur dans les abattoirs pour une association. Une expérience qui durera 15 ans, de 1993 à 2008. L’objectif d’une telle mission : vérifier que les réglementations appliquées aux abattoirs soient respectées.
Les images prises par Jean-Luc Daub durant cette période n’avaient cependant pas le droit d’être diffusées. À une époque où les vidéos aujourd’hui essentielles de L214 n’existaient pas encore, difficile de s’imaginer la souffrance qui sévit chaque jour derrière les murs des bâtiments. Y être confronté relève alors d’un véritable combat à la fois intérieur mais aussi physique.
« J’ai beaucoup souffert, durant cette période. Non seulement à cause des animaux qui étaient dans une extrême détresse, en plus du stress du transport, puis de l’abattoir en lui-même. Les animaux essayent de fuir, sans succès car ils se trouvent dans les couloirs, dans les box de contention, dans des pièges, en réalité. À ce moment, il ne reste que le regard. Ils cherchent quelque chose, ils se fixent sur quelqu’un. J’étais alors leur dernier témoin », souligne Jean-Luc Daub pour La Relève et la Peste.
L’ancien enquêteur se rappelle notamment les pinces électriques, pour les porcelets. C’est l’électronarcose.
« Ils étendaient des porcelets à droite, à gauche. Certains bougeaient, d’autres se réveillaient, sursautaient, d’autres tentaient de s’échapper. J’ai également vu des animaux suspendus, encore vivants, dans les bains bouillants d’eau chaude. C’était inimaginable, personne n’était préparé à voir cela. Les animaux n’ont pas d’autre choix que de renoncer à leur individualité », ajoute Jean-Luc Daubpour La Relève et la Peste.
La santé mentale de Jean-Luc Daub s’en trouve sévèrement impactée. « J’étais très dépressif à cette période. C’est aussi pour cela que j’ai décidé d’écrire un livre ». Publié en 2009 et intitulé Journal d’un enquêteur dans les abattoirs français (1993-2008), l’ouvrage est un véritable témoignage des visites dans les abattoirs, des rencontres avec les éleveurs, et, plus globalement, du « mépris et de l’absence d’intérêt pour le sort des animaux d’élevage ».
Une méconnaissance de l’intégrité animale
Toute son expérience l’a amené à se questionner sur la place et la hiérarchie qu’occupent les différents animaux au sein de la société, mettant en avant une très certaine méconnaissance de la conscience animale.
« Un jour, un boucher qui avait pour habitude de tuer des vaches m’a confié qu’il avait dû faire face à un cheval. Après l’avoir regardé dans les yeux, il a été dans l’impossibilité de le tuer. Ça m’a énormément touché, il y avait vraiment quelque chose de sincère. Lui tue, c’est son métier. Mais la véritable responsabilité, c’est la demande sociale », ajoute Jean-Luc Daub pour La Relève et la Peste.
Ce dernier prend l’exemple de la Bretagne, où l’agroalimentaire occupe une très large place dans le bassin économique. Élevages, abattoirs ou encore transformation de produits fournissent un travail essentiel à de nombreuses familles de la région.
« On le fait parce qu’on y est obligés, même si on va mal psychologiquement. Mais pour ceux qui sont conscients de l’intégrité de l’animal, qui le reconnaissent comme un individu à part entière, à un moment donné, ça ne peut plus aller psychologiquement », explique l’ancien enquêteur.
Pourtant, malgré un travail monumental et nécessaire des associations de défense des animaux et la diffusion de rapports, enquêtes, images ou vidéos dénonçant l’exploitation animale dans la quintessence de sa cruauté pour notre consommation déraisonnable de viande, les mentalités peinent à véritablement évoluer. Le régime végétarien, bien que beaucoup plus visible et médiatisé, est loin de remporter l’adhésion du plus grand nombre.
En 2020, l’IFOP révélait que, sur 15 000 personnes interrogées, « 89% aiment la viande, 79% pensent que la manger est nécessaire pour être en bonne santé, 63% estiment que le repas est plus convivial avec la viande, et 90% considèrent que le fait de manger de la viande est compatible avec le respect du bien-être animal ».
Au total, seul 2% de la population française se déclare être végétarienne. De son côté, et depuis des années, Jean-Luc Daub ne mange plus de viande. « J’ai arrêté très rapidement en faisant le lien entre ce que je faisais, et ce qui se trouvait dans mon assiette, c’était une évidence ».
Une reconstruction en phase avec la nature
Au terme de ces années à côtoyer la souffrance, Jean-Luc Daub fera plusieurs séjours en hôpital psychiatrique. Enfermé dans une détresse difficile à se représenter, c’est finalement en reprenant contact avec les animaux, mais dans un autre cadre cette fois, qu’il parvient à sortir la tête de l’eau.
« J’ai entamé une réflexion sur le fait de n’avoir jamais sauvé un seul animal en abattoir. Cela m’a traumatisé », confie-t-il à La Relève et la Peste. C’est après cette introspection qu’arrive dans la vie de Jean-Luc, Henni, un cochon d’élevage sauvé des abattoirs.
« En 2015, j’achète une vieille ferme, avec de la place, du terrain, et je sors ce cochon de l’élevage destiné à l’abattoir. Des amis m’ont aidé à trouver des fonds pour mettre des clôtures, un abri. C’était le début d’une grande aventure pour moi, et de la résilience », ajoute Jean-Luc Daub.
Au sein du refuge, ouvert en 2016 en Alsace, Jean-Luc sauve et accueille tout type d’animaux de la ferme, à l’aide de nombreux bénévoles.
« J’ai fait un bon tour de l’être humain dans cet endroit, j’y ai appris beaucoup de choses. Certaines personnes n’étaient pas du tout conscientisées ou végétariennes en venant ici, mais le fait d’être au contact d’animaux sauvés de la mort les retournait. Ils en ressortaient très sensibilisés ».
Aujourd’hui, en parallèle du refuge, Jean-Luc poursuit son engagement en rendant hommage aux animaux décédés qu’il trouve en pleine nature, au bord des routes. Une approche plus spirituelle et cathartique des bêtes.
« Il y a tellement d’animaux que l’on retrouve sur les bas-côtés. Pour moi, c’est une deuxième mort que de mourir d’indifférence, d’absence d’amour, de reconnaissance. C’est le mal de l’humanité ».
Jean-Luc Daub prend désormais le temps. De sentir, toujours redécouvrir cette nature qui l’entoure et l’a sauvé. En ce moment, une petite renarde attire particulièrement son attention.
« Elle a fait son poil d’hiver. C’est une beauté. Je lui parle, elle s’arrête, et je tente de la prendre en photo, même si elle n’aime pas vraiment ça. Alors je ne vais pas plus loin, je respecte son choix et profite des instants où je peux simplement l’observer. Ce sont des moments magiques », confie Jean-Luc Daub à La Relève et la Peste.
« Aujourd’hui, la continuité de ma reconstruction passe par le fait de recommencer à écrire, à faire des conférences, parce que je sais que je suis écouté, dorénavant, et que l’on peut faire passer beaucoup de messages à travers les animaux », conclut Jean-Luc Daub.
Sources : Végétariens et flexitariens en France en 2020, IFOP, 05/21