L’association Faîte et Racines est née en 2018 à Argentat-sur-Dordogne, du « traumatisme » d’habitants face au « saccage » des espaces forestiers corréziens. Depuis, la centaine d'adhérents et les 6 membres actifs de l’association agissent pour « préserver un patrimoine forestier vivant et diversifié ». Parmi leurs innovations : une scierie mobile qui préserve les sols et les arbres des forêts.
Acheter des forêts pour les soustraire « aux lois de l’industrie »
Argentat-sur-Dordogne se trouve au cœur d’une région vallonnée et couverte de forêts. Révoltés par l’intensification des coupes rases de forêts diversifiées, remplacées par des plantations en monoculture, certains habitants ont cherché à réagir.
« On ne voulait pas juste garder nos yeux pour pleurer », explique Antoine pour La Relève et La Peste, un membre actif de Faîte et Racines. Avec d’autres habitants, ils ont cherché à « acheter du foncier forestier pour pouvoir le préserver », et ainsi le soustraire « aux lois de l’industrie et à la coupe rase. »
Au fil des opportunités, l’association a acquis des parcelles ou s’en est fait confier la gestion : elle gère aujourd’hui une centaine d’hectares de forêts.
« Très vite, s’est posée la question de savoir ce qu’on fait du foncier, explique Antoine pour La Relève et La Peste. On ne voulait pas juste le sacraliser et laisser tout le reste se faire couper à ras à côté. »
Les membres de Faîte et Racines, dont aucun ne faisait partie de la filière forestière, se sont donc lancés dans la sylviculture.
« Notre premier travail a été de se former, d’apprendre à avoir un regard sur la forêt. On a donc fait venir des bûcherons, des gestionnaires, des passionnés, des ornithologues, des naturalistes, ou juste des gens du pays qui s’y connaissaient. On s’est réappropriés ce regard et ces connaissances » raconte Antoine pour La Relève et La Peste.
Il pointe le manque de « culture forestière » dans ce territoire aux forêts assez jeunes, nées de la déprise agricole. Aujourd’hui, l’association met en œuvre une « sylviculture douce », à l’opposé des pratiques des grandes coopératives forestières. Faîte et Racines espère ainsi « laisser un patrimoine forestier vivant et diversifié aux générations futures ».
Face au manque d’artisans : l’achat d’une scierie mobile
Les initiatives comme celles de Faîte et Racines, plus respectueuses des forêts, se multiplient en Limousin. Néanmoins, elles font face à la disparition de certains acteurs artisanaux, capitaux pour faire vivre une filière alternative à l’industrie. En France, le nombre de scieries a été divisé par 10 entre 1960 et 2020, passant de 15 000 à moins de 1 500.
« Sur notre territoire, il n’y avait plus qu’une petite scierie artisanale, qui a fermé » explique Antoine pour La Relève et La Peste.
Ne reste alors que les scieries sciant des volumes de bois plus importants et adaptées aux résineux aux dimensions standardisées, souvent issus de plantations en monoculture. Ces grandes scieries sont difficiles d’accès pour des particuliers.
« On s’est retrouvés sur un territoire où il n’y avait plus de possibilité de faire scier du bois à petite échelle, raconte Antoine pour La Relève et La Peste. En fait, si vous n’êtes pas capable de sortir de votre forêt un, voire deux camions de bois, c’est-à-dire 60 m3, la filière ne viendra pas ».
C’est pour faire face à ce manque de scieries artisanales que l’association a fait l’acquisition d’une scierie mobile d’occasion, fin 2020. La machine est robuste et surtout réparable par les membres de l’association en cas de panne. Depuis, ils se déplacent chez des particuliers, remorquant la scie mobile installée sur roue.
« Ne prélever que les arbres nécessaires à son besoin »
La scie mobile de Faîte et Racines peut scier des grumes – des portions de tronc – allant jusqu’à 7 mètres.
« Là, on a un arbre qui fait 70 centimètres de diamètre et 6 mètres de long, qui pèse une tonne et demie » explique Antoine pour La Relève et La Peste.
Assis sur un poste de commande situé à l’arrière de la machine, ce dernier dirige la scie qui avance en tranchant les troncs, grâce à un système à chaînes. La scie mobile est équipée de supports de grume qui permettent de tourner, aligner ou bloquer les troncs via les manettes du poste de commande.
D’autres pièces placées sur le côté de la machine servent à soulever mécaniquement les lourdes portions de bois pour les placer sur le banc de scie. À partir de ces grumes, Antoine découpe diverses pièces : des planches, des plots de menuiserie ou des liteaux.
« L’activité de sciage à façon mobile nous sort d’une logique où on a besoin de gros volumes de bois pour rentabiliser un chantier forestier. Ce qu’on appelle sciage à façon, c’est le fait de débiter en fonction des besoins du client : cela permet à un propriétaire de ne prélever que les arbres nécessaires à son besoin » explique Antoine pour La Relève et La Peste.
Avec cette machine, Faîte et Racines permet à des clients ayant des parcelles forestières de valoriser leurs arbres en bois d’œuvre, pour leurs propres usages ou ceux de leurs voisins.
« Le chantier sur lequel on est ici, c’est des bois qui ont été prélevés à 200 mètres, et qui vont être utilisés à 300 mètres, précise-t-il pour La Relève et La Peste. C’est quelque chose qui peut exister quand il y a des petites scieries artisanales. Et encore, la difficulté, c’est qu’il faut pouvoir amener les arbres : là, c’est la scierie qui se déplace ! Cela apporte la possibilité d’avoir des chantiers forestiers de petite échelle ».
Une façon intelligente de couper du bois au plus précis de nos besoins, en préservant le sol des forêts de lourdes machines et respectant le cycle de vie des arbres.
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