« Les forêts françaises meurent de sécheresse », lit-on et entend-on un peu partout ces dernières semaines. Pour le botaniste Francis Hallé comme pour le chercheur en écophysiologie des arbres Hervé Cochard, ce sont plutôt des plantations d’arbres que des forêts… Retour sur les causes de ces dépérissements et les pistes de solutions à suivre pour limiter l’hécatombe.
Nos arbres dépérissent
C’est un peu la forêt qui cache l’arbre… Cela pourrait être un détail ou une anecdote, mais c’est beaucoup plus que ça. Non, les forêts françaises ne meurent pas. Ce qui meurt, ce sont d’abord les arbres qui composent les immenses plantations que nous avons laissées remplacer nos forêts, au fil des décennies.
« Plus personne ne peut mettre en doute le changement climatique et les conséquences désastreuses qu’il a sur les écosystèmes, explique le botaniste et dendrologue Francis Hallé. C’est lui qui fait mourir les arbres, partout en France et en particulier dans le sud. Fragilisés par un stress hydrique déjà très fort, ils ne supportent pas la sécheresse de ces dernières semaines. »
« C’est la troisième année consécutive de forte sécheresse, détaille Hervé Cochard, spécialiste de la physiologie des arbres. 1959 et 2003 avaient été très sèches, mais les arbres s’en étaient relativement bien remis parce que les années suivantes avaient été meilleures… Là, les arbres n’ont pas eu le temps de se remettre des deux années précédentes qu’ils doivent déjà affronter grande sécheresse et températures très élevées. Et c’est l’hécatombe, surtout parmi les arbres issus des grandes monocultures. »
Le travail quotidien d’Hervé Cochard, c’est de comprendre pourquoi ils meurent si nombreux et maintenant.
« Nous avons deux hypothèses souvent opposées, mais dans les faits complémentaires. Soit les arbres meurent de faim, soit ils meurent de soif. Dans l’épisode de dépérissement actuel, la deuxième hypothèse l’emporte. Le stress hydrique a un très grand impact sur la circulation de la sève. »
Des causes complexes
En effet, dans cette situation, les stomates, qui régulent les flux d’eau de l’arbre, se ferment pour éviter de perdre les précieuses molécules hydriques.On observe un processus de cavitation.
« Les vaisseaux de l’arbre se remplissent d’air. Un peu comme un plongeur qui remonterait trop vite à la surface, ils font une embolie gazeuse. Les feuilles ne sont plus correctement alimentées en eau. Quand le degré d’embolie est trop fort, le cambium et les bourgeons meurent aussi. »
Ces phénomènes sont encore aggravés dans les écosystèmes arboricoles qui ne sont pas diversifiés.
« On a privilégié des espèces qui poussent vite, très productives (épicéa, sapin…), au détriment d’espèces résistantes à la sécheresse. Il n’y a qu’à penser au chêne vert et à l’olivier : ils sont très résistants mais ils poussent très lentement. Ça n’était pas assez rentable… »
L’autre cause de dépérissement, c’est le combo forte sécheresse / forte température.
« De telles températures, poursuit Hervé Cochard, sont inédites depuis la dernière glaciation. On ne peut pas s’aider du passé pour comprendre le présent et prédire le futur. En revanche, nos recherches ont mesuré qu’à 45 degrés, les plantes ne peuvent plus contrôler leur perte en eau, notamment parce que leurs cuticules, qui assurent leur protection, deviennent perméables. Nos modèles montrent aussi que si l’on continue de suivre le scénario « business as usual » du GIEC, la température terrestre aura augmenté en 100 ans autant que pendant les 10 000 dernières années. Et la majorité des arbres n’aura plus la capacité de survivre dès 2100. »
« Sécheresse et températures élevées sont des facteurs aggravants pour les feuillus (chênes, saules, peupliers…), poursuit le chercheur de l’INRAE (institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement), mais aussi pour les conifères, notamment les épicéas. Ils se font attaquer par des pathogènes comme les scolytes, des insectes qui mangent leur écorce et renforcent le phénomène de dessication. »
Plusieurs scénarii
Tentons maintenant d’approfondir, avec l’expertise d’Hervé Cochard, les différents mécanismes qui pourraient permettre aux arbres de s’adapter au changement climatique en cours et à venir. En gardant en tête un gros risque : qu’ils n’en n’aient pas le temps…
– L’adaptation. « Un cycle forestier dure 30 ans en moyenne, de la graine à la première reproduction. Cela veut dire qu’en 100 ans, nous n’aurons connu que trois générations. C’est insuffisant pour que les arbres puissent s’adapter par un processus d’évolution génétique (sélection naturelle). »
– L’acclimatation. « C’est le processus par lequel un individu change sa physiologie, en réduisant le nombre de feuilles ou en changeant son bois par exemple. Mais ne rêvons pas, un chêne pédonculé ne deviendra jamais un chêne vert, malgré tous ses efforts pour se transformer. »
– La migration. « Certaines espèces sont dix fois plus lentes à migrer que le changement climatique ne l’impose. L’Office National des Forêts (ONF) mène des projets dans la plupart des régions pour encourager le brassage génétique qui faciliterait cette migration, mais c’est une course contre la montre. »
– La replantation. « Une autre piste consiste à planter de nouvelles espèces. Le projet RENEssences de l’ONF vise ainsi à introduire des espèces qui viennent des limites sud de chaque aire de répartition ou même carrément des espèces exotiques plus résistantes à la chaleur et à la sécheresse (eucalyptus, sapins, cèdres de l’Atlas, chênes pubescents etc), qui peuvent parfois s’hybrider avec des espèces proches. »
– La modification génétique. « C’est interdit en France mais d’autres pays ne s’en privent pas… Un eucalyptus résistant au froid a par exemple été créé par la société ArborGen aux Etats-Unis, en introduisant dans son génome un gène d’Arabidopsis. Ces pratiques d’apprentis sorciers ne sont pas sans conséquences sur la biodiversité, même si on manque encore du recul suffisant. »
Le chercheur n’est pas très optimiste.
« Nous commençons juste à avoir les moyens de mener nos recherches, alors qu’il aurait fallu lancer plus d’essais forestiers il y a 30 ans pour savoir maintenant quelles espèces planter. Nous devons prendre conscience que si on continue à vivre comme aujourd’hui, ça va mal se passer, pour les arbres comme pour le reste du vivant… Nous devons être humbles face à notre ignorance et nous garder des décisions hâtives ou drastiques. »
Une forêt primaire en Europe
Ces prises de conscience aigües et la menace qui pèse sur la dernière forêt primaire d’Europe, Bielovica en Pologne ont poussé le botaniste et dendrologue Francis Hallé à entreprendre, avec sa toute nouvelle association, un projet un peu fou : faire renaître une forêt primaire en Europe de l’Ouest, dans les Vosges du Nord.
« Nos ancêtres ont détruit les forêts primaires, raconte-t-il à la Relève et la Peste. Il en reste pas mal dans d’autres parties du monde, qui ont déforesté plus tard (aux Etats-Unis, en Russie etc) quand le sentiment écologique s’était davantage développé. Mais en Europe, nous n’en avons quasiment plus et ce sont d’abord des forêts de plaine qu’il faut recréer.
Notre projet, bien sûr que c’est une utopie ! Par sa dimension spatiale, d’abord. Nous devons trouver 70 000 hectares, avec une faune et une flore suffisamment diversifiés, et transfrontaliers, pour que le projet prenne véritablement une dimension européenne. Par sa dimension temporelle, également. Si on trouve une forêt de 300 ans, il faudra 700 ans pour qu’elle retrouve son caractère primaire. »
Un espace et un temps pendant lequel l’Homme n’interviendra plus.
« Nous voulons en faire un projet collectif où les citoyens, pourvu qu’ils respectent quelques consignes strictes, pourront venir s’émerveiller de ses beautés retrouvées. Plus nous serons nombreux, plus nous aurons de poids contre les lobbys forestiers. »