Il y a 3 ans, Amalia et Harald se sont installés à Landeleau, en Bretagne, avec l’envie de créer un lieu de nature et de rencontres. En décembre 2022, ils ont été condamnés à détruire leur habitat alors qu’ils ont dépollué le terrain Natura 2000 qu’ils ont acheté. Un cas d’école sur l’opposition entre les nouvelles envies d’habiter le monde et les vides juridiques concernant l’habitat réversible.
Un projet de vie
Lorsqu’Amalia et Harald quittent l’Isère en 2019, ils laissent derrière eux maison, famille et amis. Le couple a trouvé le lieu correspondant parfaitement à leur rêve : démarrer une nouvelle vie en cohérence avec leurs valeurs. Le terrain, classé Natura 2000, s’étend sur 5 hectares et se trouve sur la commune bretonne de Landeleau.
« Quand on a mis les pieds sur le terrain on s’est dit « c’est ici ». On a tout vendu, on est partis et on s’est posés en toile de tente sur le lieu », se souvient Amalia.
Celle-ci est guérisseuse, Harald charpentier, ils veulent un mode de vie leur permettant de relier leur activité professionnelle et leur habitat. Leur projet : faire sortir de terre une cabane en terre-paille s’intégrant parfaitement dans le décor sur les principes de l’habitat léger. En faire un éco-lieu autonome en énergie, une micro-ferme pédagogique et un espace de rencontres.
« Un terrain de loisir en zone Natura 2000 peut accueillir des projets comme le nôtre, il suffit d’une autorisation dérogatoire par la mairie dans notre cas. On s’était renseignés, et on a même trouvé des campings en dur qui sont construits sur des zones Natura 2000, à l’opposé de notre démarche. Comme notre projet d’habitat est 100% réversible et sans fondation béton, on a pensé qu’il n’y aurait aucun souci pour nous »
Oppositions
Pour consolider leur dossier, Amalia et Harald ont fait appel à un chargé de mission Natura 2000 afin qu’il vienne sur le terrain. Celui-ci en a conclu que leur projet permettrait à la biodiversité de revenir sur le site, et leur a donné des recommandations pour protéger au maximum leur environnement, notamment les zones humides du lieu.
Fort de cette expertise, le couple tente d’effectuer les démarches nécessaires pour obtenir les autorisations auprès du maire. Ils se heurtent à une réaction inattendue.
« Quand on est arrivés sur le terrain, le maire a débarqué comme un fou furieux parce qu’on était en train d’empierrer le chemin – alors qu’on en avait le droit. Il était en furie, nous a dit qu’on n’avait rien à faire ici, qu’on devait retourner d’où on venait. En plus on n’était pas Bretons donc on avait très bien de quoi faire chez nous… »
Le maire dépose alors une plainte et aurait taillé aux nouveaux arrivants une mauvaise réputation.
« Au conseil municipal, il nous a traité de punks à chien, a dit qu’on allait déféquer par centaines dans la rivière, qu’on allait faire une ZAD, que ça allait être dégueulasse… Ce qui est totalement faux, bien au contraire ».
La condamnation
Au fil des mois, Amalia et Harald tentent de communiquer sans succès avec le maire. Puis ils sont convoqués à la gendarmerie et reçoivent une visite d’inspection se concluant sur : « C’est un beau projet que vous avez là, ce serait bien de se mettre d’accord avec la mairie ! ». En 2021, l’adjoint du procureur leur assure qu’une simple lettre du maire suffira pour valider leur projet. Mais le nouveau maire refuse lui aussi de les soutenir.
En décembre 2022, c’est la défaite juridique : le tribunal correctionnel les condamne à verser 1750€ chacun, à la remise en conformité des lieux, ainsi qu’à une astreinte de 200€ par jour à partir du 15 avril 2023 si leur logement n’est pas détruit.
« Si du jour au lendemain on vous enlève votre toit vous faites quoi ? », interroge Amalia. « On n’a pas les moyens de se retourner, et surtout on avait un projet de vie qui est complètement remis en question ».
Le couple a lancé une pétition qui a recueilli plus de 6800 soutiens. Mais sa seule issue est d’obtenir une autorisation dérogatoire auprès de la mairie, qui s’y oppose toujours. Contactée par La Relève et La Peste, la nouvelle municipalité a simplement justifié :
« La première chose à savoir, c’est qu’ils sont en zone non-constructible. Le jugement a été rendu, on n’a pas à s’exprimer là-dessus »
Faire évoluer l’habitat
Le combat d’Harald et Amalia est classique des personnes souhaitant vivre en habitat léger. Le couple est d’ailleurs accompagné par Paul Lacoste, responsable du service juridique de l’association Habitants de logements éphémères ou mobiles (Halem), depuis le début. Il a lui-même essayé de rentrer en contact plusieurs fois avec le maire et n’a jamais réussi.
« Le terrain nous appartient, mais le maire nous empêche de faire ce qu’on veut sur ce lieu alors qu’il ne s’est jamais déplacé pour venir voir le résultat de notre travail. On est dans un vallon, cachés de l’extérieur. Tous ceux qui sont venus nous ont dit : il faut que les gens voient ce que vous avez fait ».
Ancienne carrière occupée autrefois par une décharge sauvage, le lieu a été dépollué par Amalia et Harald, ainsi que par l’ancienne propriétaire. Leur logement n’a pas d’emprise au sol et il est biodégradable.
« Le but c’est aussi de faire évoluer l’habitat », remarque Amalia. « Il a dû nous couter 8000€ et pourtant il est joli et confortable, on vit très bien dedans. Beaucoup de personnes ne peuvent pas investir des sommes énormes dans une maison. Ce sont des projets comme ceux-là qui devraient être étudiés pour le monde de demain ».
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Faune et flore
Pour le jardin, la permaculture est privilégiée.
« On nettoie, on plante… Ça fait 3 ans qu’on travaille la terre et maintenant ça va tout seul. Cette année, on a eu un jardin de fou ! ».
Un bassin de phytoépuration se trouve aussi sur le site, quasiment vide puisque le couple utilise maximum 20 litres d’eau par jour. En parallèle, des plantes aquatiques ont été installées dans l’étang.
« On voulait qu’une réserve naturelle se développe. Puis faire découvrir aux enfants les habitats des loutres ».
Comme Natura 2000, plusieurs associations se sont rendues sur le lieu et se sont réjouies de l’action d’Amalia et Harald sur la flore et la faune. La présence de loutres et du campagnol amphibie, une espèce protégée, a été constatée. Le couple a également signé la Charte Natura 2000, un document à valeur contractuelle permettant l’adhésion individuelle aux objectifs de gestion d’un site Natura 2000.
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Plusieurs animaux domestiques vivent également sur le terrain.
« Des chèvres, des moutons, des oies qui sont gardiennes du lieu et pondent, comme les poules », énumère Amalia. « Chacun contribue au développement de la biodiversité, et c’est aussi beaucoup de plaisir de les avoir. Ils sont là pour apporter de la vie, ont chacun leur rôle aussi ».
Le couple a d’ailleurs l’idée de créer des rencontres en partenariat avec des écoles et des centres sociaux, pour des enfants qui ne sont pas souvent en contact avec des animaux.
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Harald et les animaux
« On veut en faire profiter les autres. Le but n’a jamais été de réaliser tout ça que pour nous ».
À cela s’ajoute un habitat insolite conçu l’été dernier, pensé pour servir de chambre d’hôtes et accueillir des personnes en accompagnement personnel. Enfin, le couple a choisi de ne pas être relié au réseau d’eau et d’électricité.
« On récupère l’eau de pluie grâce à des cuves et à la pente du toit. L’eau arrive dans la cuisine simplement par la force de la gravité, sans pompe, puisque la cuve est plus haute que la maison. Et si vraiment on n’a plus d’eau il y a toujours celle de la rivière ».
Concernant l’électricité, un panneau solaire recharge une batterie utilisée par exemple pour les téléphones. En éclairage, des lampes solaires en été et des bougies en hiver.
« Ça nous convient ! C’est un choix, une aventure. Passer d’une maison assez grande, tout confort à plus rien du tout…C’est là que tu apprends de quoi t’es fait et de quoi tu es capable. C’est une superbe expérience, vraiment la résilience totale. On se sent libres en vivant comme ça ».