Luiz Inácio Lula da Silva est de retour à la tête du Brésil. À 77 ans, cette icône de la gauche latino-américaine remporte de justesse l’élection présidentielle avec 50,90 % des voix. Celui qui prendra ses fonctions le 1er janvier se trouvera confronté à 4 grands défis : économique, politique, social, écologique.
Le défi économique : combattre la pauvreté
Un taux de pauvreté de 30% en 2022 et 33 millions de Brésiliens touchés par la faim… dans ce pays de plus de 200 millions d’habitants, les données actuelles s’avèrent catastrophiques. Selon The Guardian, il s’agit des taux les plus élevés de ces dernières années.
« Nous ne pouvons accepter que dans notre pays des millions d’hommes, de femmes et d’enfants n’aient pas assez à manger, a déclaré Lula juste après sa réélection. Puisque nous sommes le troisième plus important producteur de nourriture au monde et le premier producteur de protéines animales, nous avons le devoir de garantir que chaque Brésilien puisse manger chaque jour un petit déjeuner, un déjeuner et un dîner ».
Le nouveau président hérite pourtant d’un contexte économique marqué par une inflation galopante et un risque de récession. Selon de nombreux experts, les comptes publics se sont largement dégradés durant le mandat Bolsonaro. Lula a donc comme objectif d’attirer des investissements étrangers afin de créer de l’emploi et ainsi relancer la machine économique.
« Il faudra aussi qu’il prenne des initiatives économiques importantes, puisqu’il s’est engagé à augmenter le salaire minimum au-dessus de l’inflation », note Gaspard Estrada, directeur de l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes à Sciences Po. « Il a le pouvoir d’agir – le régime politique brésilien est un régime politique où le président dispose de prérogatives importantes – sauf qu’il évolue dans un système de partis qui est particulièrement fragmenté, notamment au Parlement ».
Le défi politique : la présence tenace du bolsonarisme
Gouverner avec des institutions qui lui sont hostiles, voilà un second défi majeur auquel Lula doit se préparer.
« Il devra tout d’abord composer un gouvernement avec un Congrès qui est à droite, ce qui n’est pas une nouveauté puisque Lula a déjà gouverné le Brésil avec un Congrès à droite et fragmenté. De ce point de vue-là il devra donc composer avec les différentes composantes de sa future majorité qui va de la gauche radicale à la droite », poursuit Gaspard Estrada.
Selon Christophe Ventura, chercheur à l’IRIS et spécialiste du Brésil, le futur président a néanmoins les armes pour y parvenir.
« Il a une grande pratique du Congrès brésilien, de ses vicissitudes, des négociations avec la vingtaine de partis qui composent ce Congrès », remarque-t-il. « Lula est capable de construire des coalitions et des alliances très larges qui vont bien au-delà de sa base sociale et de son socle politique initial. D’ailleurs la coalition qui l’a mené à la présidence en est l’éclatante démonstration puisqu’elle regroupe des personnalités allant de la gauche radicale brésilienne au centre-droit, et même des personnalités de la droite traditionnelle. C’est un négociateur hors-pair ».
Le président sortant sera cependant en mesure de fragiliser le mandat de Lula puisque ses alliés forment le principal bloc du Congrès.
« Il peut continuer à jouer un rôle cardinal dans la vie politique brésilienne. Son pouvoir et son alliance avec d’autres partis de la droite et du centre-droit peuvent lui permettre de contrôler le pouvoir législatif et bien d’autres choses. Et donc de peser, de parasiter le mandat de Lula qui lui est en position de faiblesse par rapport à ses 2 mandats précédents », estime Christophe Ventura.
Après 48 heures de mutisme, Jair Bolsonaro a enfin daigné prononcer une brève allocution au palais présidentiel mardi 1er novembre, dans laquelle il s’est engagé à “respecter la Constitution” sans toutefois reconnaître ouvertement la victoire de son adversaire, dont il n’a pas prononcé une seule fois le nom. Il a tout de même condamné les blocages routiers à demi-mots.
« Bolsonaro est battu mais le bolsonarisme s’est consolidé à tous les étages de la société brésilienne », conclut-il.
Le défi social : gouverner un pays divisé
« Il a marqué l’Histoire de manière définitive, c’est la première fois qu’un président brésilien est élu pour un 3ème mandat. 60 millions de voix obtenu c’est énorme », souligne Christophe Ventura.
Pourtant cette courte victoire dévoile un pays profondément polarisé.
Les minorités discriminées par la présidence de Bolsonaro ainsi qu’une grande partie du secteur privé et des élites économiques et commerciales brésiliennes se sont finalement ralliés à Lula pour faire barrage à Bolsonaro. Cependant, près de 50% des électeurs soutient encore le président sortant. En témoignent les centaines de barrages routiers mis en place par des partisans refusant sa défaite.
« Il faut déjà qu’il finisse de rassurer », analyse Hervé Théry, géographe professeur à l’université de San Paolo. « Il a réussi de justesse à prouver qu’il n’allait pas fermer les églises et qu’il était pas l’ennemi des religions. Il faut aussi qu’il rassemble les différentes parties du pays qui ont voté de façon extraordinairement différente. Le Sud a voté d’une façon, le Nordeste d’une autre… Il y a vraiment à reconstituer l’unité nationale ».
« Il refuse de voir 2 Brésils s’affronter. Aujourd’hui c’est bien le cas, il y a 2 Brésils de force égale qui ne se parlent plus », résume de son côté Christophe Ventura.
Le défi écologique : préserver l’Amazonie
Enfin, le plus grand défi du futur président reste probablement la protection du poumon vert de la planète. Dévastée par l’agriculture intensive, la forêt amazonienne a vu sa destruction augmenter d’année en année à partir de l’arrivée au pouvoir de Bolsonaro.
En 4 ans de mandat, près de 40 000 km2 de forêt ont été rasés, l’équivalent de la superficie de la Suisse. Ce désastre va de pair avec les atteintes aux droits des communautés indigènes, lesquelles avaient largement souffert du mandat de Bolsonaro.
Entre 2003 et 2014, le gouvernement de Lula avait pour sa part réduit de 83% la déforestation. Une récente étude de Carbon Brief estime que cette nouvelle victoire de Lula pourrait réduire de près de 90% la destruction de la forêt amazonienne au cours de la prochaine décennie. Celui-ci affirme viser son arrêt complet.
Suite à l’élection, la Norvège a très vite réagi en annonçant redémarrer sa collaboration avec le Brésil contre la déforestation.
« C’est un fond qui s’appelle le « fond Amazonie » qui avait été créé par Lula avec les gouvernements norvégiens et allemands », précise Gaspard Estrada, directeur de l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes à Sciences Po. « Il vise à donner des ressources financières notamment aux ONG et aux institutions qui travaillent en Amazonie. Ce fond a été bloqué en 2019 suite à l’arrivée de Jair Bolsonaro. L’une des priorités de Lula est de faire en sorte que ce fond se développe pour mettre fin à la déforestation de l’Amazonie ».
Toujours au chapitre des relations internationales, Lula a clamé sa volonté de nouer un partenariat stratégique avec l’Union européenne, souhaitant une renégociation des termes du traité de libre-échange entre le Mercosur et l’Union européenne.
« Le Brésil revient sur la scène internationale après ce mandat de Bolsonaro où le président était quasiment un paria », observe Gaspard Estrada. « Personne ne parlait avec lui ni ne visitait le Brésil. Lula a cette expérience de leader qui a contribué à la création du G20. Il est clair qu’aujourd’hui il veut redevenir un acteur central sur la scène internationale ».
Crédit photo de couv. – Sergio LIMA / AFP