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Bialowieza est la dernière forêt primaire d’Europe, intacte depuis 12 000 ans

« Bialowieza a été un choc dans ma vie. En la découvrant, j’ai eu l'impression de ne jamais avoir vu de forêt ».

À la frontière entre la Pologne et la Biélorussie, se trouve l’un des joyaux naturels de l’Europe, vestige de la forêt formée après la dernière glaciation. Nous sommes à Bialowieza, la dernière forêt primaire de plaine du continent, relique de nature sauvage dans une Europe exploitée depuis des millénaires. Elle offre un aperçu de ce que serait notre environnement sans l’action humaine.

Des arbres gigantesques percent la canopée pour déployer leurs branches à une quarantaine de mètres de hauteur. À leurs pieds, des congénères et ancêtres, morts depuis longtemps, pourrissent lentement, et offrent leurs nutriments à une multitude de plantes, de champignons, d’animaux et de bactéries. Sur un tapis de verdure qui couvre le sol et emplit l’air d’une odeur d’ail des ours, des sentiers témoignent du passage d’animaux.  

Parfois, une empreinte démesurée rappelle qu’ici, des bisons d’Europe et des élans, disparus d’Europe de l’Ouest depuis des siècles, évoluent librement. À leur mort, ils sont dévorés par des loups qui, avec les lynx, régulent les autres populations d’ongulés : cerfs, chevreuils et sangliers. La forêt paraît bien plus habitée et vivante que les écosystèmes gérés du reste de l’Europe.    

« Bialowieza a été un choc dans mon expérience et dans ma vie, se souvient Pierre Chatagnon, secrétaire général adjoint de l’association Francis Hallé qui œuvre à faire renaître une forêt primaire en Europe de l’Ouest. En la découvrant, j’ai eu l’impression de ne jamais avoir vu de forêt ».  

Des cycles biologiques conservés  

Si la forêt de Bialowieza couvre une surface totale de plus de 140 000 hectares inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco, le cœur de la partie polonaise, ancienne réserve de chasse des tsars de Russie, est la partie la plus préservée. Elle forme le parc national de Bialowieza depuis 1932 : quelque 10 500 hectares qui n’ont que très peu été exploités par l’humain au fil des millénaires.   

En son sein, une zone est interdite au public et accessible seulement à des scientifiques. Une autre partie du parc permet aux visiteurs accompagnés d’un guide de découvrir la forêt.    

« Hormis quelques petites réserves, c’est le seul endroit de notre continent où l’on peut observer au même endroit l’entièreté des dynamiques et fonctionnalités naturelles d’un écosystème en libre évolution, estime Pierre Chatagnon. L‘actuelle réserve stricte a aujourd’hui, de manière flagrante, retrouvé un caractère primaire. »  

Nous y retrouvons Joanna, jumelles et appareil photo à téléobjectif autour du cou. Cette guide connaît bien la forêt. Naturaliste passionnée, elle nous mène sur les étroits sentiers, sous un épais feuillage de charmes, de chênes, de trembles, d’épicéas ou de pins sylvestres.  

Ici, pas de gestion forestière. Les branches latérales des arbres ne sont pas élaguées pour former de beaux bois de charpente. Le couvert des feuilles est donc très dense et un faible pourcentage de lumière atteint le sol, ce qui limite la croissance des végétaux sous les arbres.   

Comme personne n’exploite la forêt, les arbres morts restent tous sur pied, avant de s’effondrer et de rester des décennies au sol. « 30 % des arbres de la partie strictement protégée sont morts » explique Joanna.  

Petit à petit, les invertébrés, champignons et bactéries décomposent le tronc. Les minéraux et le carbone stockés dans le bois retournent ainsi au sol. Ce bois mort décomposé forme une couche d’humus qui fertilise le sol et lui permet également de conserver son humidité. « L’eau stockée dans le bois mort et la canopée créent un microclimat » explique Pierre Chatagnon.   

Les arbres morts se décomposent à leur rythme – Crédit : Eloi Boyé

Un refuge pour la faune  

Cette impressionnante quantité de vieux arbres et de bois mort permet de nourrir une myriade d’habitants de l’écosystème forestier : les organismes qui décomposent le bois, mais aussi leurs prédateurs.  

« Le gobemouche à collier est rare ailleurs, mais c’est l’un des oiseaux les plus communs ici, nous apprend Joanna, après avoir reconnu le chant de l’un d’entre eux. C’est probablement dû à la présence de vieux arbres dans lesquels vivent les insectes. »  

Outre leur rôle nourricier, ces vieux arbres, avec leurs cavités, servent d’abri à une multitude d’animaux :  oiseaux, chauves-souris, et même grands mammifères. « Les lynx femelles aiment bien les arbres creux pour y cacher leurs petits quand elles partent chasser » explique notre guide en pointant le pied éventré d’un vieux chêne.   

Au total, la forêt de Bialowieza abrite 12 000 espèces d’invertébrés et plus de 250 espèces d’oiseaux. 

Les arbres morts servent aussi de terrier – Crédit : Eloi Boyé

« Les 9 espèces de pics qu’on peut rencontrer en Europe sont présentes à Bialowieza, c’est la seule station forestière où il est possible de les trouver toutes en même temps, observe Pierre Chatagnon. C’est seulement là qu’on peut constater ce qu’était la forêt à une altitude de plaine, en climat continental, après la fin de l’ère glaciaire. » 

Dans la forêt, on trouve aussi 59 espèces de mammifères, dont des espèces rares ailleurs en Europe comme des élans, des loutres ou des castors. Mais l’espèce qui attire la plus grande attention à Bialowieza est le bison d’Europe : « le roi de cette forêt » selon Pierre Chatagnon. Réintroduit avec succès à partir de 1952, la forêt compte aujourd’hui environ 870 individus après avoir frôlé l’extinction au début du XXe siècle.   

À son tour, cette faune diversifiée participe au bon fonctionnement de l’écosystème. « Par leurs déplacements, les bisons créent des trouées qui permettent à la lumière d’accéder au plancher, explique Pierre Chatagnon, et donc à des graines de germer. Ils sont d’ailleurs capables de les disséminer sur de très grandes distances par leurs excréments. » 

Les oiseaux granivores participent aussi au reboisement. « Le pic épeiche coince des cônes d’épicéa dans l’écorce bien épaisse des vieux arbres pour pouvoir extraire les graines, explique Joanna. Des épicéas poussent souvent à côté des vieux chênes » 

Ce cône d’épicéa a été coincé par un pic – Crédit : Eloi Boyé

À Bialowieza, le bon fonctionnement de l’écosystème est également assuré par la présence de grands prédateurs, ce qui permet de limiter les populations d’ongulés.   

« La forêt pousse quand même malgré la présence des cervidés et la quasi-absence de régulation par la chasse, nous fait remarquer Joanna. C’est dû à la présence des loups. Ils commencent même à s’attaquer à des bisons jeunes ou affaiblis ».  

Outre la prédation directe, la simple présence des prédateurs modifie le comportement de leurs proies : « Les cerfs ont peur de manger dans la forêt à cause du loup, poursuit-notre guide. C’est ce que des scientifiques appellent le “paysage de la peur » 

Une quarantaine de loups vivent aujourd’hui dans la partie polonaise de la forêt selon les dernières estimations. Leur passage se remarque à travers les nombreux excréments qu’ils laissent sur les sentiers en guise de délimitation des frontières de leur territoire. Les lynx sont également présents mais bien moins nombreux : moins d’une dizaine d’individus. 

La liste des mammifères carnivores est complétée par les renards, les martres, ou encore les blaireaux. Au crépuscule, l’un d’entre-deux se présente devant nous. Tout affairé, il ne remarque pas notre présence. Il se déplace à reculons, traînant une touffe d’herbes sèches à l’aide de ses pattes avant. Puis, il s’en va la disposer dans son terrier : en guise de litière. En fouissant, lui aussi façonne la forêt, et son terrier sert d’abri à d’autres espèces comme le renard ou certaines chauves-souris.  

Les ossements d’un bison dévoré par les loups il y a plusieurs années – Crédit : Eloi Boyé

Une forêt menacée 

Malgré son extraordinaire richesse, la forêt de Bialowieza est particulièrement menacée. Ce vestige des premières forêts de l’Holocène vit aujourd’hui au rythme des enjeux politiques et géopolitiques. En 2022, pour empêcher le passage de migrants depuis la Biélorussie, le gouvernement polonais conservateur du parti Droit et justice (PiS) lance la construction d’un mur de 186 kilomètres de long et 5 mètres de haut qui coupe en deux la forêt.   

Ce drame humanitaire est aussi un désastre écologique, car il empêche le passage des grands mammifères. « L’ours était en train de revenir à Bialowieza depuis la Biélorussie après avoir été éradiqué par l’homme au XIXe siècle, explique Pierre Chatagnon. Mais malheureusement, aujourd’hui, ce mur empêche les échanges et le retour de l’ours. » 

Le mur met aussi en péril l’avenir d’animaux encore présents des deux côtés de la frontière, puisqu’il empêche les échanges génétiques. Ainsi les lynx, trop peu nombreux du côté polonais et isolés des autres noyaux de population, risquent l’extinction du fait de la consanguinité.   

Malgré son statut de protection, Bialowieza fait également face au risque d’exploitation de son bois. Entre 2016 et 2021, le gouvernement conservateur a intensifié les coupes dans la forêt : prétextant des coupes sanitaires à la suite d’une invasion d’insectes s’attaquant à l’épicéa.   

Enfin, une autre menace d’origine anthropique pèse sur Bialowieza  : celle du réchauffement climatique. Au cours de notre excursion, nous trouvons de nombreuses mares totalement asséchées. Dans l’une d’elles, entre les empreintes des bisons, des cerfs et des élans venus s’abreuver, des centaines de têtards à l’agonie frétillent en plein soleil, dans quelques litres d’eau croupie.   

« On a habituellement un climat avec de grandes quantités de neige, rappelle Joanna. Mais cet hiver, il a très peu neigé : ce printemps est donc l’un des plus terribles en termes de sécheresse. » 

Le manque d’eau impacte considérablement les arbres : « Il y a un recul des épicéas dans la forêt, constate notre guide. Ils sont remplacés par des érables ».   

« Malheureusement, la forêt est soumise à un risque de basculement, conclut Pierre Chatagnon. L’Homme ne considère plus le caractère un peu sacré de l’endroit. »

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Eloi Boye

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