La révolte continue au Sri Lanka. Quelques heures après la fuite de Gotabaya Rajapaksa aux Maldives, des milliers de personnes ont pris d’assaut, le 13 juillet, les bureaux du premier ministre sri-lankais, Ranil Wickremesinga, qui venait d’être nommé président par intérim. Le pays est secoué par l’une des crises les plus violentes de son histoire.
Les images sont spectaculaires. Samedi 9 juillet, à Colombo, capitale du Sri Lanka, des manifestants forcent les barrages de police et envahissent par milliers le palais présidentiel. Sous tous les angles, des toits aux chambres à coucher et jusqu’à la piscine de la présidence, le monde entier assiste en direct au renversement du chef de l’État, Gotabaya Rajapaksa, exfiltré in extremis par ses services de sécurité.
La veille, la population galvanisée par des mois de grève et de manifestations a afflué des quatre coins du pays vers la capitale, allant jusqu’à réquisitionner des trains et des bus privés pour se déplacer. Un énième couvre-feu a été décrété à Colombo, mais cette mesure n’a eu pour effet que de précipiter davantage de personnes dans les rues.
Chassé de son palais, Gotabaya Rajapaksa promet de démissionner la semaine suivante, et tente de s’enfuir à l’étranger. Impossible, cependant, d’affréter un avion : le 12 juillet, les agents de l’immigration empêchent le président de pénétrer dans l’aéroport de Colombo.
Finalement, celui qu’on surnomme « Terminator » parvient à embarquer, le lendemain, à bord d’un Antonov avec son épouse et deux gardes du corps. Direction les Maldives où à peine arrivé, le président déchu annonce sa démission, officiellement confirmée le 14 juillet.
Fin de règne pour le clan Rajapaksa, dont les deux frères, Gotabaya et Mahinda, monopolisaient le pouvoir depuis 17 ans.
Un premier ministre impopulaire
La constitution sri-lankaise prévoit que le premier ministre remplace le président démissionnaire jusqu’à ce que le Parlement ait élu, sous trente jours et parmi les députés, un nouveau chef de l’État qui aura la charge de porter le mandat à son terme.
Le 13 juillet, Ranil Wickremesinga est donc automatiquement devenu président du Sri Lanka par intérim. Nommé en mai dernier par Gotabaya Rajapaksa pour remplacer son propre frère, Mahinda, ce dinosaure de la politique, tout aussi corrompu que son prédécesseur, ne jouit pourtant d’aucune légitimité parmi la population, qui réclame sa démission.
Annoncée dans la matinée, sa toute première mesure a consisté à placer le pays sous état d’urgence, dans l’espoir de mettre fin à ce qui apparaît de plus en plus comme une révolution pacifique.
Peine perdue. Quelques heures après ce décret impopulaire, doublé d’un couvre-feu, une foule en liesse a pris d’assaut les bureaux de M. Wickremesinga, surmontant des forces de l’ordre impuissantes, mais dont les gaz lacrymogènes ont tout de même fait un mort et plusieurs blessés.
Le 14 juillet, enfin, après avoir tenté de pénétrer dans le Parlement, sans succès, les manifestants ont accepté de quitter les bâtiments publics qu’ils occupaient depuis plusieurs jours, précisant que la lutte n’était pas terminée. Le premier ministre, lui, a tenu bon. Pour le moment.
Comment expliquer la crise ?
En défaut de paiement depuis avril sur sa dette extérieure de 55 milliards de dollars, le Sri Lanka traverse l’une des pires crises de son histoire. Les causes de cette débâcle économique et politique sont nombreuses, et encore débattues.
Il y a d’abord des raisons structurelles : consacrant une trop grande partie de sa superficie agricole à la production de thé, le Sri Lanka ne possède aucune autonomie alimentaire. Cette dépendance aux importations l’oblige à détenir un réservoir de devises étrangères sans lesquelles il ne peut satisfaire les besoins essentiels de sa population.
Or, une vague d’attentats terroristes, en 2019, et la pandémie de Covid-19, en 2020, ont vidé ce petit pays insulaire de ses touristes, sa principale source de devises étrangères. Les importations ne pouvant plus être financées, il ne manquait plus que de mauvaises décisions conjoncturelles pour plonger les 22 millions de Sri-Lankais dans la crise.
Durant ses deux années et demie au pouvoir, Gotabaya Rajapaksa a aggravé la corruption qui sévit sur l’île et vidé les caisses de l’État – passées de 7,5 à 2,7 milliards de dollars, entre fin 2019 et fin 2021.
Pour rétablir la balance commerciale du Sri Lanka, le président démissionnaire a par ailleurs interdit, le 26 avril 2021, les importations d’intrants chimiques, très coûteux, forçant son pays à se convertir du jour au lendemain à l’agriculture biologique – avant de s’apercevoir, six mois plus tard, que cette mesure avait ôté à la population une part importante de ses revenus, brusquement et sans compensation.
Trois mois et demi de révolte
Démarrées à la fin du mois de mars, les manifestations n’ont cessé de s’étendre pendant trois mois et demi, à mesure que l’inflation galopante gagnait le pays.
Le 9 mai, trois jours après l’annonce d’une grève générale, des affrontements entre manifestants et partisans du clan Rajapaksa ont fait neuf morts et 225 blessés.
Le Sri Lanka est alors paralysé. Le prix de l’essence et du diesel explose (+ 137 % et + 230 %, respectivement, sur les six derniers mois). Des pénuries frappent le pays. Au début du mois de juin, le gouvernement craint la famine et se décide à appeler les Nations unies à l’aide.
Mais il est trop tard, le peuple est descendu dans la rue, et les soldats ont beau ouvrir le feu pour la première fois sur la foule, le 18 juin, faisait plusieurs blessés, rien ne peut plus arrêter les événements qui vont conduire le clan Rajapaksa à sa chute.
Crédit photo couv : AFP