Dans plusieurs villes de France, le projet Aquarius initie des jeunes migrants aux sports aquatiques, pour qui l’eau est désormais synonyme de peur et de danger suite à leur traversée de la Méditerranée, afin de réapprivoiser cet élément en toute confiance.
L’eau, cicatrice de milliers de jeunes migrants
En 2023, environ 55 700 enfants sont arrivés par la mer dans les pays de l’Europe méditerranéenne. Parmi eux, 69 % étaient mineurs non accompagnés ou séparés selon un rapport de L’UNICEF Refugee and Migrant Children in Europe Report 2023 publié début 2024.
Créé en 2021, le projet Aquarius, porté par une équipe composée d’éducateurs, de psychologues et de maitres-nageurs, aide les jeunes migrants à surmonter leurs traumatismes liés à l’eau pour renouer progressivement et y retrouver du plaisir.
Un projet conçu à Rennes par l’éducateur Enja Delépine dans le cadre de son master Staps et soutenu par la fondation Apprentis d’Auteuil, suite à un événement marquant. En effet, après avoir assister à la tentative de suicide par la noyade d’un MNA, secoué par un réveil traumatique lors d’une sortie piscine, l’éducateur décide alors de créer un protocole de réappropriation de l’eau en collaboration au côté d’une équipe pluridisciplinaire, avec une approche somatique.
Aquarius propose un accompagnement psychologique intégré aux activités aquatiques, de manière détournée.
« Le projet a été créé en réponse à l’inefficacité des suivis psychologiques classiques pour ces jeunes, qui refusent souvent d’être étiquetés « fous » et pour qui les entretiens formels peuvent rappeler des traumatismes liés aux évaluations administratives » commence Enja Delépine pour La Relève et La Peste.
Réapprivoiser l’eau collectivement en huit mois
Le projet Aquarius déploie un parcours en plusieurs temps. « Le premier contact avec l’eau par le biais d’une douzaine de séances de natation en piscine, avec l’accompagnement de maîtres-nageurs et psychologues, permet aux jeunes de se débrouiller, gagner en aisance et se reconstruire » explique Enja. Après les séances de piscine, une majorité de jeunes obtiennent l’attestation de savoir nager, une symbolique forte.
Dans un second temps, la plongée sous-marine, toujours en piscine, montre l’eau sous un autre angle, tout en inculquant la notion de plaisir. « Cette pratique considérée comme très thérapeutique, aide les jeunes à réaliser leur capacité à se déplacer sous l’eau sans impact négatif » continue l’initiateur du projet.
Puis, les activités nautiques telles que le kayak, le paddle, le ski nautique, introduisent une dimension ludique et permettent de renforcer la confiance des jeunes dans leur aptitude à gérer l’eau. Ces jeunes, qui ont risqué leur vie en bravant la Méditerranée, reviennent à la mer comme ultime étape, dans le cadre d’un séjour d’une semaine organisé à Marseille au mois de juillet autour d’activités aquatiques. Un retour symbolique qui clôture ce processus de guérison.
En complément, des groupes de parole mensuels avec une psychologue abordent le rapport au corps et à l’eau. À travers des jeux ludiques sur les émotions et les ressentis, ces moments visent à libérer la parole d’une autre manière.
Le projet Aquarius observe des changements significatifs chez les participants au fil des séances.
« Les observations montrent que les jeunes, qui refusaient parfois même d’entrer dans un bassin, finissent par adhérer à un suivi psychologique et voir l’eau comme une source de plaisir plutôt que de peur » indique l’éducateur spécialisé.
« Les jeunes se confient, parlent davantage et évoquent leur rapport à l’eau au fur et à mesure du projet ». Et le collectif joue un rôle clé : les jeunes s’encouragent, se rassurent, partagent leurs progrès.
Bien que de nombreuses villes, comme Toulouse et Bordeaux, manifestent leur intérêt pour proposer un programme similaire, « le projet repose sur des fonds privés, ce qui rend la recherche de financement complexe » termine Enja. Aquarius bénéficie actuellement du soutien de la Fondation de France, de la fondation LBPAM et la CAF mais a besoin de fonds supplémentaires pour se déployer et poursuivre son expansion.
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