Après avoir disparu du paysage urbain depuis un demi-siècle à cause de l’industrialisation du lait et la pasteurisation généralisée, les laiteries urbaines renaissent sous une forme engagée et éthique. À Marseille, La Laiterie Marseillaise incarne ce renouveau ancré dans le territoire, qui répond à la demande croissante des consommateurs sur le retour des circuits courts.
Après les microbrasseries, les laiteries urbaines
Depuis les années 1970, un regain d’intérêt pour les laiteries urbaines est observé, porté par le développement des circuits courts, l’agriculture urbaine et la volonté de relocaliser la production alimentaire. Suite à la crise du Covid-19, les projets émergent face à une demande croissante des consommateurs pour des produits frais, locaux et facilement traçables, tout en jouant un rôle pédagogique autour des enjeux liés à l’élevage et à la filière laitière.
Selon un sondage Statista de 2022,« les Français consomment en moyenne 27 kg de fromage par an ». Et si la consommation de fromage continue d’augmenter, ce n’est cependant pas le cas du lait. « Entre 2010 et 2022, la consommation de lait est passée de 55 kg à 41 kg par personne annuellement, bien qu’il reste le produit laitier le plus vendu ».
Certains industriels donnent aux vaches de la nourriture fermentée, ce qui altère le goût du lait / fromage et donne des cancers aux vaches, pour pouvoir commercialiser du lait aux normes nutritionnelles conformes. La Laiterie de Marseille, elle, utilise du lait cru pour fabriquer ses produits dans le respect de l’environnement et des animaux.
Un objectif puissant : valoriser l’agriculture locale
L’histoire d’Audrey et Madeleine, les deux fondatrices, s’inscrit dans la tendance des reconversions vers des métiers manuels, avec des valeurs tournées vers le local et l’artisanat. C’est en 2019 que la boutique ouvre ses portes au cœur de la ville, dans un contexte où « 63% des Français se disent prêts à consommer le plus de produits locaux possibles pour soutenir l’économie » d’après un sondage Ipsos paru en 2020.
« Fabriquer nos propres produits est ce qui nous différencie des autres crèmeries et fromageries classiques » ajoute Audrey en montrant les étalages de fromages, yaourts, beurre et lait cru.
Derrière cette initiative, une volonté simple mais puissante : relocaliser la production et mettre en avant les savoir-faire artisanaux. « Notre objectif est de valoriser le travail des éleveurs laitiers et de créer un modèle viable pour eux ».
Contrairement aux éleveurs bovins, qui bénéficient de plus de subventions, les éleveurs laitiers sont en difficulté. « S’ils vendent juste du lait à l’industrie agroalimentaire, sans le transformer en produits, ils perdent de l’argent » affirme Audrey.
La Laiterie marseillaise travaille avec un éleveur de vaches et un éleveur de chèvres dans le Var, situés à moins de 200 km, où le lait est récolté chaque semaine. En 2023, La Laiterie Marseillaise a transformé environ 35 000 litres de lait.
« Le lait de chèvre a une saisonnalité. Si on suit le cycle des animaux, cet animal ne produit de lait que 8 mois dans l’année » informe Audrey.
Les éleveurs partenaires sont payés 0,85€ le litre par la Laiterie Marseillaise, soit plus du double du prix versé par l’industrie. « On ne négocie pas le prix, c’est eux qui le fixent » continue Audrey qui détaille aussi prendre en charge le transport, élevant le coût total à 1,30€ le litre.
« Avant l’inflation, notre éleveur de vaches vendait son litre de lait à 34 centimes à Lactalis, sans pouvoir se sortir de salaire ». Un litre de lait ensuite vendu 1€ en grande distribution, après l’ajout des coûts liés à la transformation, l’emballage, le transport et la marge des distributeurs.
La synergie locale prime
La proximité de La Laiterie Marseillaise invite les consommateurs urbains à redécouvrir les productions artisanales au cœur de leur ville. Le partage se fait à travers la vitre du laboratoire qui permet d’observer toute la production des fromages. Mais aussi à travers des ateliers proposés pour fabriquer sa mozza et burrata, créant ainsi un espace de rencontre et d’échange.
« C’est une opportunité de sensibiliser et transmettre de ce qui est important pour nous : la démarche écologique et artisanale, les conditions de travail des éleveurs, l’enjeu de consommer moins mais mieux ». La Laiterie Marseillaise va encore plus loin dans son engagement écologique en proposant des consignes pour les bouteilles de lait ou de yaourts.
Le lieu de fabrication développe ses propres créations, en fonction des saisons et en collaboration avec des commerces de proximité. Certains fromages sont infusés dans le pastis, lui-même fabriqué dans une brasserie du centre-ville. Le chocolat utilisé pour les yaourts provient de la chocolaterie du coin. Pour trouver une alternative à certaines saveurs lointaines, la Laiterie de Marseille déniche des herbes locales, comme la tagète qui s’apparente au fruit de la passion ou la flouve pour la vanille.
L’identité et l’essence de la ville, liées à cette production faite à partir de saveurs méditerranéennes, sont bel et bien ancrées. « Marseille, c’est un port, une mixité, des épices, des influences » termine Audrey.
Marseille est loin d’être le seul exemple qui illustre le retour des laiteries urbaines en France. Bordeaux, Annecy, Bayonne, Metz et Nancy, Limoges, Toulouse, Paris, Rennes, Avignon… Elles fleurissent sur tout le territoire dans les moyennes et grandes villes.
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