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Andorre : un projet d’aéroport pour riches menace parcs naturels et justice sociale

Le projet d’aéroport s’inscrit alors dans ce contexte, intensifiant cette gentrification, et visant à refonder la richesse du pays sur un tourisme de luxe orienté vers les classes les plus aisées du globe, celles qui aiment profiter facilement des zones lointaines tant qu’elles minimisent l’imposition fiscale.

Mi-Mars 2021, la Chambre de Commerce et d’Industrie d’Andorre présentait une solution miracle pour renouveler le modèle économique de la petite principauté située entre la France et l’Espagne : construire un aéroport à 2000 mètres d’altitude, capable d’accueillir les touristes les plus fortunés du monde sur son territoire. Au total, le projet est estimé coûter 345 000 000 €, avec une part des financements devant venir d’investissements privés, notamment en provenance de Turquie et de Chine. Mais à l’heure où la préservation de l’environnement est un enjeu majeur, et où Andorre est responsable de deux patrimoines mondiaux reconnus par l’Unesco (la biosphère d’Ordino et la vallée du Madriu-Perafita-Claror), la pertinence d’un tel projet ne va pas de soi. Malgré les argumentaires déployés par ses défenseurs, son impact écologique envisagé soulève de vives inquiétudes chez les locaux tant chez les exploitants touristiques que chez les habitants soucieux de la qualité de leur environnement, en passant par les diverses associations sportives qui seront atteints dans leur pratique quotidienne (randonneurs, parapentistes…). La traversée de Boeings dans les vallées du pays ne sera pas sans impacts, et pourraient même déstabiliser le parc naturel des Pyrénées catalanes, situé à seulement 10 km du lieu choisi. Dans ce cadre, un collectif transpyrénéen est en train de se constituer contre la construction de cet aéroport. Ses premiers représentants ont fait entendre leur voix dans une tribune, publiée fin Avril, qui appelle les chefs du gouvernement andorran et ses coprinces – dont Emmanuel Macron – à se positionner clairement contre le projet.

Les promesses de « compensation carbone » 

Dans la vidéo de simulation présentée par la Chambre de Commerce, l’engin de l’avion ne fait presque aucun bruit, l’ambiance est onirique et l’aéroport paraît se fondre dans le décor. Mais la réalité virtuelle ne donne pas à voir les émissions de CO² d’un trafic aérien régulier dans les vallées, alors même que la principauté d’Andorre enregistre chaque décennie une augmentation moyenne de leur température de 0,36°.

La simulation ne permet pas non plus d’entendre la résonance des moteurs d’avions dans ces vallées, nuisance pour les habitants d’abord, mais aussi danger de mort pour les espèces fragiles dont l’activité repose sur un environnement sonore dégagé et clair. Enfin, la destruction d’une zone humide, qui se trouve là où les constructions sont prévues, n’apparaît pas non plus dans la vidéo de présentation.

Bien sûr, la Chambre de Commerce devance ces argumentaires d’opposition écologique en mettant en avant un nombre de « compensations » qu’elle promet de mettre en œuvre si le projet est réalisé, à tel point qu’elle se répute de faire de l’environnement « une priorité ». Études d’impacts sur la faune, la flore et les habitants, projet de replanter les arbres coupés et de reconstruire ailleurs la zone humide détruite…

Mesures illusoires, quand l’inefficacité globale de ce type de projet compensatoire (qui raisonne en termes de « compensation carbone ») ne venait pas tout juste d’être démontrée par une étude de la Commission européenne. Impossible d’atteindre les objectifs de l’Accord de Paris par cette voie, qui ne permet aucunement de réduire les émissions de carbone.

Capture d’écran de la vidéo de présentation du projet d’aéroport.

Le ressort d’une stratégie économique gentrifiante

Il est toutefois impossible de cacher la réelle priorité, économique, de ce projet. En reliant la principauté à des publics venant de « France, d’Angleterre ou d’Espagne et en hiver [de] la Russie ou du Qatar », les porteurs du projet « n’imaginent pas un défilé de vols de compagnies à bas prix. » 

Selon la Chambre de Commerce d’Andorre, « l’aéroport doit permettre de conduire la transformation économique d’Andorre et de réaliser une croissance économique solide » relate un article de La Dépêche

Interrogé par La Relève Et La Peste, David Berrué, co-signataire de la tribune, guide de canyon dans les Pyrénées et porte-parole EELV, nous expose plus précisément le raisonnement :

« On peut comprendre la logique des entrepreneurs andorran. La fiscalité peu chère est l’atout d’Andorre, qui lui permet de se faire un profit sur la revente hors taxe de cigarettes, d’alcool ou d’essence. Mais il y a une conscience répandue que ce modèle n’est pas durable. Donc la logique des entrepreneurs andorrans est de moins dépendre des classes laborieuses, qui viennent pour minimiser leurs dépenses, et de viser un public de tourisme plus riche. […] La répartition d’Andorre est ainsi en train de se transformer entre gens très riches profitant d’un régime fiscal avantageux et gens qui ont de petits salaires en vendant des produits hors taxes ou en travaillant en hôtellerie. En France, on parlerait de gentrification. »

Le projet d’aéroport s’inscrit alors dans ce contexte, intensifiant cette gentrification, et visant à refonder la richesse du pays sur un tourisme de luxe orienté vers les classes les plus aisées du globe, celles qui aiment profiter facilement des zones lointaines tant qu’elles minimisent l’imposition fiscale.

Train régional près d’Andorre (La Tour de Carole). Photo d’Aleix Cortes.

Alternatives en vue pour les coprinces d’Andorre

Néanmoins, les options qui se présentent actuellement au gouvernement andorran – et par association aux deux coprinces (que sont l’archevêque d’Urgell et le président de la république française) – ne se limitent pas à ce projet d’aéroport polluant et gentrifiant. Le projet ne sera pas nécessairement adopté. En fait, d’autres manières de revaloriser le pays sont possibles. 

La première est de redévelopper le réseau ferroviaire du pays. Cette option permettrait de « dékérozéniser » le tourisme dans le pays, sa mobilité, et par extension de favoriser le développement de ses richesses naturelles. En retour, cela rendrait la zone plus attrayante pour les voyageurs.

C’est notamment l’axe actuellement défendu par AndRail, une association pour le développement des liaisons ferroviaires entre Andorre et le reste de l’Europe. L’infrastructure existe déjà, nous précise David Berrué, mais des années de gestion néolibérale l’ont fragilisé : coupure des petites liaisons, priorisation des grands axes au détriment de l’accessibilité des zones moins fréquentées.

Décarboniser totalement le tourisme en développant des lignes ferroviaires demanderait donc d’y réinvestir de l’argent en soutenant une toute autre vision que celle portée par le projet d’aéroport.

La deuxième voie de revalorisation, compatible avec la première, est de développer l’aérodrome de la Seu-d’Urgell. Ce dernier est situé en Espagne, juste avant la frontière Andorrane et accueille aujourd’hui seulement de petits avions privés à cause de la taille de sa piste d’atterrissage.

Son élargissement pourrait permettre un certain agrandissement du flux international, en évitant de toucher directement les parcs naturels Andorrans et Catalans concernés par le nouveau projet d’aéroport. Coordonné avec les lignes ferroviaires, l’influx du tourisme international en Andorre pourrait alors être augmenté sans avoir à construire un deuxième aéroport nocif pour ses richesses naturelles.

Ces voies divergentes ouvrent donc une marge de manœuvre politique pour les citoyens d’Andorre et leur gouvernement. Le projet d’aéroport pourrait être le parfait tremplin pour propulser ce débat sur la scène publique.

C’est en tout cas ce qu’espère David Barrué, pour qui la contestation du projet d’aéroport doit pouvoir promulguer simultanément des propositions positives, pouvant répondre également aux préoccupations légitimes des Andorrans sur l’avenir de leur pays et de ce qui fera sa valeur de demain.

Vont-ils miser sur les revenus confortables garantis par un tourisme de luxe à haute empreinte carbone, qui implique en contrepartie la dégradation à long terme de leurs richesses naturelles et de leur qualité de vie ? Ou bien vont-ils envisager d’autres forme de tourismes, qui ne priorisent pas nécessairement les classes les plus aisées du monde, mais permet aux voyageurs du sol d’accéder en train a des havres naturels entretenus et chérit par les citoyens d’Andorre ?

Quoi qu’il en soit, c’est par des débats autour de la question que les discussions pourront gagner en inertie et se transformer, éventuellement, en mouvements sociaux. Mouvements qui pourront, à leur tour, déterminer les choix du gouvernement Andorran.

Plus d’infos : Si vous souhaitez soutenir ces mouvements, vous pouvez rejoindre et partager les lieux d’association virtuels du collectif contre l’aéroport d’Andorre et les initiatives d’associations Andorranes, comme AndRail et APAPMA, qui sont soucieuses de défendre leur environnement national et transfrontalier.

Pierre Boccon-Gibod

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