Validée par le Sénat le 15 mai, la loi relative à "la raison impérative d'intérêt public majeur de la liaison autoroutière entre Castres et Toulouse” poursuit son parcours législatif. Elle vient d’être rejetée à l’Assemblée Nationale et sera donc examinée en commission mixte paritaire.
Après un passage à la chambre haute, où elle fut largement adoptée, la loi de validation de l’A69 vient d’être débattue au sein de l’hémicycle, portée par les députés tarnais Jean Terlier (Renaissance) et Philippe Bonnecarrère (non-inscrit).
Fort d’une motion de rejet qui, à la surprise générale, a unifié tous les pans de l’hémicycle, la loi vient d’être rejetée par les députés et sera donc examinée en Commission Mixte Paritaire (CMP).
Un passage en force législatif
C’était un moment particulièrement attendu de la part des personnes favorables à l’A69, qui fustigeait depuis trois mois le jugement rendu par le tribunal administratif de Toulouse en première instance. Une décision que le ministre des Transports, Philippe Tabarot, considérait alors comme un “énorme gâchis”, la qualifiant d’ “ubuesque”.
L’un des plus fervents partisans de l’A69, le député – et avocat de profession – Jean Terlier estime qu’ « [ils] ne [peuvent] plus être soumis à l’aléa judiciaire ». Une déclaration incohérente, venant de la part d’un député qui affirmait « être soucieux du respect de la loi » et « respectueux [des] procédures » lorsque celles-ci allaient dans son sens. Il a également justifié cette position en affirmant pouvoir « contester cette décision sans remettre en cause l’indépendance de la justice ».
Mais c’est précisément ce que dénoncent les opposants à l’A69, qui voient dans ce recours une tentative de se soustraire à la juridiction en neutralisant une décision de justice.
Dans une lettre ouverte publiée la veille du débat de la loi au Sénat, le collectif La Voie Est Libre (LVEL) interpelait les parlementaires pour rappeler les enjeux derrière une telle décision : « la question n’est pas de vous prononcer pour ou contre l’A69, mais pour ou contre l’État de droit ».
Un avertissement repris par la maigre opposition au Sénat, à l’instar de l’écologiste Jacques Fernique, qui estime que « le législateur crée un précédent grave en tentant d’influencer une Cour de justice ».
En parallèle de ce véritable passage en force législatif, c’est également devant la cour administrative d’appel de Toulouse que se jouait l’avenir du chantier. Le 21 mai se tenait une audience pour examiner le sursis de suspension demandé par l’État et les concessionnaires – qui leur a finalement été accordé.
L’occasion pour Alice Terrasse, une des avocates des collectifs luttant contre l’A69, de dénoncer « une violation manifeste du principe de séparation des pouvoirs » ainsi qu’un « mépris de la justice administrative et un mépris du justiciable ».
Un déni de démocratie
C’est à l’issue d’une audience particulièrement houleuse, où se sont enchainées invectives entre députés, qu’un nouveau chapitre s’écrit dans le dossier de l’A69. En s’inspirant de la stratégie singulière – et dont l’aspect anti-démocratique a largement été décrié – des macronistes pour faire passer la récente loi Duplomb, le bloc central, la droite et l’extrême droite se sont joint aux partis de gauche pour voter la motion de rejet déposée par La France Insoumise.
Une manière pour les pro-autoroutes de contourner les 766 amendements qui avaient été déposés par la gauche. La loi est donc rejetée par l’hémicycle, et sera alors renvoyée en CMP – composée de sept députés et sept sénateurs – où ses chances d’être validée sont plus importantes.
C’est donc une victoire en trompe l’œil pour les défenseurs du vivant, qui fustigent l’évitement du débat induit par la stratégie des pro-autoroutes. À l’issue du vote, Mathilde Panot, présidente de LFI à l’Assemblée Nationale, a déclaré : « Aujourd’hui vous nous avez offert une victoire, car le seul vote de l’Assemblée nationale sur l’A69 a été le rejet complet de votre proposition de loi et le Conseil constitutionnel ne pourra que retoquer ce détournement manifeste du débat parlementaire. »
Une déclaration qui a visiblement énervé le député Jean Terlier, bien connu pour sa position en faveur de l’A69 et sa proximité avec le groupe Pierre Fabre, les désignant comme des “arroseurs arrosés”, avant de conclure : « C’est pour l’A69 que ce vote a eu lieu […] C’est pour les habitants du Tarn que nous passerons cette loi en CMP ».
Une “manœuvre juridiquement fragile”
Le parcours législatif de cette loi de validation n’est pas fini pour autant. Mathilde Panot, rejointe par les députés opposés à l’A69, a directement annoncé saisir le Conseil constitutionnel (CC) en cas de validation de la loi par CMP.
Pour cela, les élus opposés au projet doivent réunir 60 députés ou 60 sénateurs afin de demander l’examen de sa constitutionnalité. Elle pourrait être censurée si elle ne respecte pas les critères stricts posés par le CC : il faut qu’il y ait un motif d’intérêt général impérieux, que la loi ne porte pas une atteinte excessive aux droits fondamentaux, et qu’elle ne remette pas en cause des décisions de justice déjà définitives – ce qui n’est pas le cas pour l’A69, dont le procès en appel est attendu pour la fin de l’année.
« Le barrage du Conseil Constitutionnel reste, à notre avis, un rempart sur lequel on a confiance », confie Olivier, membre du GNSA, pour La Relève et La Peste.
Le recours à une loi de validation est, en effet, considéré par certains juristes comme une “manœuvre juridiquement fragile”. Compte tenu d’une potentielle atteinte à la séparation des pouvoirs, inhérente à ce processus juridique, le CC opère un contrôle particulièrement étroit des lois de validation.
Marion Ubaud-Bergeron, Professeure de droit à l’Université de Montpellier, précise auprès du Club des Juristes : « Alors même qu’elle vise à sanctuariser la finalisation de ce projet autoroutier, cette loi de validation s’avère être, paradoxalement, une manœuvre particulièrement risquée au regard de sa fragilité juridique. »
Avant de conclure, « le respect de la séparation des pouvoirs […] commanderaient davantage d’emprunter la voie de la raison : celle qui consiste à attendre, tout simplement, la décision du juge d’appel. »