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A69 : « tu n’es plus propriétaire de ta maison, ni du champ, ni d’ici, c’est l’autoroute qui t’a tout pris »

Le caractère parfois anti-démocratique des projets d’aménagement du territoire est sinistrement illustré par ce cas d’école. Même la propriété privée au caractère soi-disant « inviolable et sacré » n’est qu’une illusion lorsque l’État décide de mener un projet à terme.

Jérôme, 89 ans, a vu le travail de sa vie détruit, son potager et ses arbres rasés par le chantier de l’A69. Cet ancien boulanger fait partie des nombreux propriétaires dont la vie a basculé à cause de l’expropriation par le concessionnaire NGE/Atosca.

En arrivant de Castres, sa maison est (encore) immanquable, c’est la toute première du village, juste après le panneau « Saint-Germain-Des-Près » en venant de Castres.

Lui-même, situé juste après le lieu-dit « La Bourellie » d’où les gendarmes avaient délogés les derniers écureuils protégeant de la coupe des pins et des platanes le 17 octobre dernier pour permettre la construction de l’autoroute A69 Toulouse-Castres.

C’est à cette occasion que nous avions rencontré pour la première fois Jérôme P., 89 ans, un homme prenant plutôt la vie du bon côté, un peu blagueur même. Il venait voir en voisin ce qui se passait.

« C’est l’autoroute A69 qui t’as tout pris »

Ce boulanger retraité de 89 ans habite cette maison, avec son chat et son petit chien. Il est voisin de la Bourellie depuis 1970 avec un jardin et deux petits champs.

« Ah ça, j’en ai planté des arbres ici, il y avait un potager, je n’achetais pas de légumes, moi, pas besoin » se rappelle-t-il.

Son terrain était bien entretenu avec ses arbres et sa pelouse. Jérôme est très fier aussi de raconter la senteur des rosiers qu’il avait aussi plantés. Il précise « presque tout Saint-Germain a eu des boutures de mon saule ».

Tout allait donc bien jusqu’à ce que le projet d’A69 soit remis au goût du jour et que sa maison ne se retrouve sur le tracé. Le premier négociateur de NGE/Atosca avait estimé l’ensemble, maison et terrain, à environ 640 000 €. Finalement, ce ne sera que « 300 000 et des miettes » dit Jérôme.

Jérôme explique, près de la souche de son tilleul, comment les sous traitants d’Atosca ont abattu son tilleul.

Comme l’autoroute A69 a été déclarée d’utilité publique en 2018, Jérôme n’a pas eu voix au chapitre quand l’estimation de sa maison a baissé.

En effet, l’expropriation pour cause d’utilité publique est une procédure qui permet à la puissance publique de porter atteinte au droit de propriété et d’obtenir, par la biais d’une cession forcée, le transfert à son profit d’un bien immobilier.

Le caractère parfois anti-démocratique des projets d’aménagement du territoire est sinistrement illustré par ce cas d’école. Même la propriété privée au caractère soi-disant « inviolable et sacré » n’est qu’une illusion lorsque l’État décide de mener un projet à terme.

Jérôme a donc été obligé de signer un accord d’expropriation avec le concessionnaire de l’A69 NGE/Atosca au printemps dernier. Avec obligation de quitter les lieux au plus tard le 30 septembre 2023 sous astreinte de 150 € par jour.

Ayant des difficultés pour trouver une nouvelle maison, Jérôme est resté « dans ses murs » après le 30 septembre, vivant sa vie. Cela ne pouvait durer. La semaine dernière, des sous-traitants d’Atosca sont arrivés au petit matin avec une pelleteuse et une broyeuse géante sur ce qui, pour lui, est toujours son jardin et son champ.

Jérôme dans ce qu’il reste de son « jardin »

« J’avais planté le saule pleureur pour faire de l’ombre à mes poules »

La maison est toujours là, certes, mais le jardin, les champs bien entretenus ont disparu sous une couche marron de végétaux déchiquetés et broyés. Ça et là, seules des souches d’arbres – saules pleureur, sapin, cerisier, pruniers, tilleul – dépassent encore. Ce coin si vert est devenu brun.

Jérôme est en colère, très en colère contre le PDG d’Atosca : «il n’est même pas venu me voir, moi, s’il venait ici, je lui balancerais mon poing sur la g.. »

Jérôme laisse échapper des sanglots devant les restes de son sapin, auquel il tenait tant.

En faisant le tour du désastre, il trébuche sur les bouts de bois d’écorces qui jonchent la terre. Il montre ce qu’il reste de son sapin, de son tilleul, ses arbres préférés. Le sapin, il l’avait planté quand il ne faisait qu’un mètre et demi. Il raconte l’abattage du tilleul :

« …au bout d’un moment, je vois les deux types avec la tronçonneuse partir comme ça, je me dis « macarel ! Ils ne vont pas couper le tilleul, nom de dieu ! », J’arrive de ce côté, ils coupaient les branches déjà. Ils ont fait ce qu’ils ont voulu, j’ai rien pu faire, je ne pouvais rien faire. »

Jérôme se met à pleurer en se rapprochant des plus grosses pièces du tronc de « son » sapin et soupire « Mon beau sapin… Celui-là, je le regrette …Je n’ai plus rien. »

Après avoir habité 53 ans la même maison, Jérôme va quitter Saint-Germain-des-Prés pour Revel habiter une maison qu’il n’aime pas, dit-il. Et où il ne pourra pas planter d’arbres. Le projet de l’A69 a encore abîmé une vie.

Le saule pleureur qu’avait planté Jérôme

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