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A69 : « tant que le béton n’a pas coulé, rien n’est terminé »

« On attend de la cour d’appel qu’elle confirme l’illégalité du projet, on attend du Conseil constitutionnel qu’il balaie la loi de validation. Cela ne se fera pas tout seul, il y a besoin de rester très fortement mobilisés »

Du 4 au 6 juillet, le château de Scopont, situé entre Toulouse et Castres, a accueilli la « Turboteuf contre l’A69 », un weekend festif et déterminé contre ce chantier hautement controversé. Malgré un dispositif de répression d’une ampleur inédite, entre 1 000 et 2 000 personnes ont afflué pour venir réaffirmer leur volonté d’enterrer ce projet.

Vendredi 4 juillet, les premiers arrivants affluent vers le château de Scopont, lieu paisible de la campagne tarnaise devenu camp retranché sous haute surveillance. À l’approche du terrain, les signes d’une répression d’envergure se font ressentir et les contrôles – auxquels presque tout le monde a dû se soumettre – se multiplient. À l’entrée, les fouilles sont strictes : masques, gants, porte-drapeaux, et tous les « objets pouvant constituer une arme par destination » sont susceptibles d’être saisis pour se prémunir de potentiels « troubles graves à l’ordre public » – une menace brandie en boucle par les autorités à l’approche du rassemblement.

Ce ne sont pas moins de treize arrêtés préfectoraux – imposés à toutes les communes sur le tracé de l’autoroute – qui visaient à étouffer toute velléité de mobilisation. Malgré ce verrouillage administratif doublé d’une militarisation intense du territoire – plus de 1500 gendarmes mobilisés, drones, hélicoptères, blindés Centaure – entre 1000 et 2000 opposants au projet ont fait le choix de venir fêter, danser, militer, tisser des liens et désobéir.

Une manifestation interdite

« Ce qui se passe là, c’est la mise en place d’un récit criminalisant qui vise à incriminer les défenseurs de l’environnement et les opposants à l’autoroute. On essaye de nous criminaliser, de nous enfermer, de nous verbaliser. C’est ça, la vraie violence. » dénonce Martin, opposant au projet.

Avant même que le premier chapiteau soit érigé sur le camp, la mobilisation faisait déjà l’objet d’une campagne de diabolisation méthodique, orchestrée par la préfecture et les élus pro-autoroutes. Laurent Buchaillat, le préfet du Tarn, alertait la semaine dernière sur la présence de « centaines d’éléments radicaux ». De son côté, le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, a surenchéri durant le week-end, qualifiant les opposants de « militants d’ultras-gauche encagoulés et dangereux », de « groupe de barbares » ayant « basculé dans la sédition et l’ultraviolence ».

La stratégie est claire : saturer l’espace médiatique avec une image anxiogène de la contestation, amalgamer écologie radicale et violence, pour justifier la répression et délégitimer toute opposition. Julien, l’un des participants à la Turboteuf, résume le sentiment ambiant :

« Le fait qu’il y ait des députés, des préfets qui disent que le simple fait d’être en manif est pénalisable juridiquement, nous donne évidemment envie de venir militer, d’exprimer notre voix, et de ne pas avoir à faire à la justice après. C’est la liberté fondamentale de manifestation, de se regrouper, de s’exprimer politiquement qui est en jeu. »

Une véritable armada a été déployée face aux manifestants – Crédit : Louis Laratte

Une célébration amère

Le contraste est saisissant. Alors que les autorités parlent de menace, de violence, de danger, le château de Scopont fourmille de vie, au rythme des fanfares, des drag shows et des concerts. Sur ce terrain privé, mis à disposition par son propriétaire, la mobilisation se réinvente.

Pensé initialement comme un moment de fête, le week-end « Turboteuf contre l’A69 » aurait dû célébrer l’arrêt des travaux décidé le 27 février dernier par le tribunal administratif de Toulouse. Mais entre-temps, l’État a fait le choix du passage en force et a obtenu auprès de la Cour administrative d’appel de Toulouse un sursis de suspension, permettant la reprise des travaux. Dans le même temps, des parlementaires tarnais, fervents partisans du projet, ont proposé une loi de validation afin de contourner la décision de justice ayant résulté dans l’arrêt du chantier.

Un coup de force démocratique doublé d’un passage en force juridique, qui n’a pas découragé les militants pour autant. Au lieu de fêter la victoire, ils se sont rassemblés pour affirmer que la lutte continue. 

« On a quand même décidé de garder un esprit festif, parce qu’on en a envie, et besoin. Cela reste l’occasion de montrer, une fois de plus, qu’on est massivement opposés à ce projet, tous ensemble, » explique une opposante au projet d’autoroute. 

Banderoles et fanfare au programme – Crédit : Louis Laratte

L’autogestion au cœur de la résistance

Pour permettre à toute personne présente de se réapproprier des modes d’actions variés, l’autogestion était à l’honneur durant trois jours. Vendredi après-midi, une assemblée générale de plus de 300 personnes décida collectivement du programme, des actions et des besoins sur le lieu. Une véritable organisation collective : cuisine à prix libre, garderie, équipes de veille et de prévention contre les violences sexistes et sexuelles, infokiosques, stands pour visibiliser d’autres luttes et expositions photo retraçant des années de mobilisation.

« L’idée de ce week-end, c’est que ce soit auto-organisé, auto-géré et co-construit avec les gens présents sur place, avec l’intention de valoriser et de souder ensemble les différents modes de lutte, » explique Amalia, porte-parole d’Extinction Rébellion Toulouse. « Ce qu’on cherche à instaurer, c’est le soin et la teuf, des moments de joie, de convivialité, des moments de musique, de danse… Et rappeler que la lutte appartient à tout le monde. »

A69 : des recours juridiques en cours

Lors de la conférence de presse tenue le samedi matin, les représentants des collectifs citoyens mobilisés depuis des années contre l’A69 partagent l’avancée des recours. Si le bitume n’a pas encore coulé, c’est aussi grâce à eux et à leur travail de fond qui a permis de révéler au grand jour les nombreuses zones d’ombre ou d’illégalité dans ce dossier, marqué par de nombreux rapports de manquements administratifs et arrêtés préfectoraux de mises en demeure. À ce jour, les collectifs dénombrent 44 rapports en manquements administratifs, et 18 mises en demeure, dont la plupart sont non respectées selon les collectifs.

Autre point qui soulève une vive inquiétude : la construction de deux nouvelles usines à bitume sur le territoire pour assurer l’enrobage des 53 km de l’A69. Dans le Tarn, 12 collectifs se sont constitués pour entraver l’installation de ces infrastructures, témoignant de la préoccupation croissante des habitants au regard de la pollution environnementale et des risques sanitaires.

Face au passage en force de l’État et Atosca – le concessionnaire du chantier – les collectifs ne baissent pas les bras pour autant, et attendent avec impatience le jugement en appel, qui devrait tomber à la fin de l’année 2025.

« On attend de la cour d’appel qu’elle confirme l’illégalité du projet, on attend du Conseil constitutionnel qu’il balaie la loi de validation. Cela ne se fera pas tout seul, il y a besoin de rester très fortement mobilisés » rappelle Jean-Olivier, co-président des Amis de la Terre Midi-Pyrénées, auprès de La Relève et La Peste.

Des traits d’humour sur les pancartes – Crédit : Louis Laratte

« Faire la fête à la répression »

Le samedi en fin d’après-midi, une grande partie des opposants cherche à porter le caractère festif et revendicatif du week-end jusqu’aux abords du tracé contesté. Sur le chantier, les CRS les attendent – impassibles – sous une chaleur accablante. 

Dès les premiers mouvements en direction du chantier, la réplique est immédiate et les palets de gaz lacrymogène pleuvent, provoquant plusieurs départs de feu dans les herbes sèches en bord de route. S’est alors entamé un face-à-face qui a duré plus de deux heures. 

Du côté des militants, on érige des barricades, on chante, on danse et on joue. Jusqu’à ce que les forces de l’ordre décident de noyer les festivités dans un nuage de gaz. En réponse aux salves de lacrymogènes et aux grenades de désencerclement, quelques pierres ont fusé du côté des manifestants. 

Rapidement, les militants décident de rentrer au château de Scopont pour célébrer collectivement ce nouvel épisode de la lutte. Une manière de réaffirmer, dans la joie, leur engagement contre un projet devenu symbole d’un affrontement plus large : celui entre un modèle tourné vers la préservation du vivant et les générations futures, et une vision autoritaire et bétonnée du territoire.

L’A69 – malgré les saccages de la biodiversité, la répression et les passages en force de l’État – n’est pas encore construite. Il reste des arbres, des ruisseaux, et des voix qui résistent et refusent de se taire. « Tant que le béton n’a pas coulé, rien n’est terminé », conclut une participante.

Louis Laratte

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