La cour administrative d’appel de Toulouse étudiait ce 21 mai la demande de sursis à exécution déposée par l’État et des concessionnaires. Enjeu : relancer les travaux malgré l’annulation des autorisations environnementales. Le délibéré de la cour sera rendu au plus tôt le 28 mai.
Suspendus depuis une décision du tribunal administratif de Toulouse le 27 février, les travaux de l’autoroute A69 entre Castres et Toulouse font l’objet d’un intense bras de fer juridique. Ce mercredi 21 mai, la cour administrative d’appel examinait une demande de sursis à exécution.
Ce recours, déposé par l’État et les porteurs du projet, vise à relancer le chantier en attendant une décision sur le fond, qui adviendra plus tard dans l‘année. Il a fallu cinq heures de débats, devant une salle d’audience pleine, pour que chaque partie puisse exposer ses arguments concernant une potentielle reprise des travaux.
Un projet « structurant » selon le rapporteur public
La position du rapporteur publique n’était pas une surprise, ce dernier ayant préalablement annoncé que ses conclusions seraient favorables à une reprise des constructions. Mais les arguments avancés, eux, furent analysés avec une attention toute particulière.
C’est en reprenant les éléments de langage propre au concessionnaire Atosca que le rapporteur public a tenté de justifier la « raison impérative d’intérêt public majeur » (RIIPM) que revêt le projet. C’est pourtant l’absence de RIIPM, après un examen minutieux du dossier, qui avait motivé le tribunal administratif à arrêter le chantier.
Pour faire valoir la nécessité de ce sursis de suspension, l’objectif pour les pro-autoroutes était de remplir deux conditions prévues par l’article R. 811-17 du Code de justice administrative. La première étant que les « moyens » invoqués par le requérant à l’appui de sa demande de suspension paraissent « sérieux ».
Le rapporteur a donc déployé toute sa panoplie d’arguments pour défendre la reprise des travaux : désenclavement, mobilité accrue, équité territoriale, sécurité routière… Allant jusqu’à affirmer que l’A69 est une « infrastructure structurante », qui permettrait à terme d’ « amplifier le développement démographique et économique » du sud du Tarn, qui selon lui fait face à des « difficultés structurelles ».
Une déclaration saluée par les avocats des défenseurs de l’autoroute – Atosca, Guintoli, ASF, région Occitanie, communautés de communes… –, qui se sont empressés de reprendre sa logorrhée pour réaffirmer leur opposition à la décision du tribunal administratif, que Maître Eric Sachet, représentant du Ministère de la transition écologique, qualifie d’ « anomalie ».
Autre condition pour pouvoir contester le défaut de RIIPM, la présence de « conséquences difficilement réparables » qui résulteraient d’un arrêt de la construction de l’A69. C’est sur le volet économique que se sont concentrés les défenseurs de l’autoroute pour faire valoir ce motif. Si le rapporteur avoue que les coûts engendrés par la suspension des travaux sont « probablement surévalués », du côté des demandeurs, les chiffres pleuvent.
Les avocats de la société Guintoli, en charge du projet, font état d’un surcoût de 7,4 millions d’euros sur ces trois derniers mois et estiment les pertes économiques à environ 18 millions d’euros. De son côté, Atosca a déclaré perdre 165 000 euros chaque jour du fait de la situation actuelle, évoquant par la même occasion une potentielle “cessation de paiement”.
Mais ces déclarations ont suscité une certaine méfiance du côté de la défense, dont l’une des représentantes, Maître Alice Terrasse, a souligné des « aberrations et des imprécisions manifestes ». Sa consœur, Maître Julie Rover, a dénoncé l’absence de preuves pour attester des sommes déclarées, dont les seules sources sont des « tableaux excel » réalisés par les entreprises concernées.
Comble de l’ironie, NGE, maison mère d’Atosca, écrivait dans ses comptes consolidés de 2024 que la suspension des travaux « n’aura pas d’incidence significative sur la situation financière du groupe ».
Les risques d’un retour en arrière pour le droit de l’environnement
Face à la logique jusqu’au-boutiste affichée par les soutiens à l’A69, l’avocate Marine Yzquierdo a rappelé aux juges que les seules « conséquences difficilement réparables » seraient celles environnementales dans le cas d’une reprise des travaux, les incitant à se concentrer sur ce qui peut encore être sauvé plutôt que de constater ce qui a déjà été détruit.
Après avoir méthodiquement décortiqué les arguments des demandeurs pour en souligner la fragilité, les avocates de la défense ont averti quant aux dangers que représente ce sursis de suspension au regard du droit, qualifiant d’ “absurdité juridique” le fait de revenir sur la décision en première instance de suspension des autorisations environnementales.
Maître Alice Terrasse a défendu l’idée que la reconnaissance d’une RIIPM devait se fonder sur des critères précis – de sécurité, d’intérêts économiques et sociaux – avant d’alerter les magistrats : « on vous demande de commettre une erreur de droit ».
« Il ne faut pas prendre une décision pour la santé financière du groupe NGE, mais pour l’environnement. Accorder ce sursis à exécution serait un signal très grave, qui compromettrait grandement le droit de l’environnement » a fini par conclure Maître Julie Rover.
À l’issue de l’audience, une conférence de presse était organisée par les différents collectifs luttant contre l’A69 pour faire le bilan. À contre-courant du discours univoque des promoteurs, les habitants de la région sont loin d’être unanimes.
« Je suis toujours sidérée qu’on nous assène de mensonge en audience, comme par exemple faire croire que les 160 000 habitants du bassin [Castres – Mazamet] seraient tous pour l’autoroute » , fustige Sylvie, membre de LVEL, « cette autoroute, on n’en veut pas ».
Des propos partagés par toutes et tous, à l’instar d’Olivier, membre du GNSA, qui ajoute que « la préservation de l’environnement et de notre territoire, c’est le sujet essentiel ». Les opposants à l’A69 se disent confiants quant au délibéré de la cour administrative d’appel, qui sera rendu à partir du 28 mai.