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A69 : Pour sauver les arbres, les écureuils résistent encore et toujours à la frénésie des pelleteuses et aux autorités

Le propriétaire de la parcelle, n'a pas encore signé la vente... La tension monte le long de ces 53 km. Elle est entretenue par la fébrilité d'Atosca dans son empressement à avancer les travaux et le mépris toujours croissant des politiques en faveur d'un projet attaqué de toutes parts.

Les écureuils, ces militants des arbres contre leur abattage sur le chantier de l'autoroute Toulouse-Castres tiennent de nouveaux postes sylvestres dans des conditions aussi difficiles que périlleuses. Pour eux, ce qui se joue dans leur « Forêt de Sherwood », c'est bien un ralentissement sévère des travaux.

Le bois de Cuq-Toulza dans le Tarn, symboliquement rebaptisé Forêt de Sherwood par les opposants au projet d’autoroute A69 fait triste mine en cette journée pluvieuse du 11 novembre. Sur une surface de 1,6 hectare, une centaine d’arbres sont condamnés.

Cet endroit est une colline qui doit être décaissée sur 20 m de profondeur pour fournir le remblai nécessaire à la surélévation de l’ouvrage sur les terres inondables du tracé. Etienne Fauteux, un des porte-paroles de LVEL, explique que l’endroit est de ce fait stratégique et conditionne l’avancé de l’ensemble du chantier. Pour le concessionnaire Atosca, il est donc urgent d’avancer ici.

Les écureuils veulent protéger les derniers arbres debout. Crédit : La Voie est Libre

Les arbres, dont de très beaux chênes, ont été abattus sur la largeur d’emprise de la future autoroute Toulouse-Castres. Tous ? Non, quatre d’en eux sont encore debout. Trois sont occupés par des écureuils, qui, perchés dans leur structure fragile protègent leurs hôtes.

C’est le septième site dont des arbres sont occupés, par des membres du GNSA (groupement national pour la sauvegarde des arbres) et des sympathisants.

Les six précédents ont été détruits dans des conditions dangereuses avec, systématiquement, un déploiement de force de police et de gendarmerie impressionnant. Le dernier en date, le camping des crêtes, a été évacué le 9. Une personne est en garde à vue.

Perché dans le chêne de gauche, Reva, et perchée sur le chêne de droite, Ju, dans ce qu’il reste du bois rasé surnommé le « bois de Sherwood ».

« On fait un siège »

La tactique des autorités sur le site de Cuq-Toulza est celle du harcèlement.

« Cela dépasse ce qu’on pouvait imaginer », raconte Marion venue en soutien avec une trentaine d’autres personnes. « On a enregistré un gendarme, qui nous a dit : « On fait un siège. »

De fait, Réva, Camille, Juliette et Nanou n’ont pas pu être ravitaillés pendant une quarantaine d’heures, alors qu’il fait 6 °C la nuit.

Lorsque, dans l’après-midi, les policiers ont proposé de ne pas poursuivre les occupants qui accepteraient de descendre. Nanou, frigorifiée, est revenue sur terre. Dans la soirée d’hier, les personnes venues en soutien au sol ont tenté de négocier le ravitaillement.

« Ordre de la préfecture du Tarn a été donné de ne pas ravitailler » a répondu un gendarme face aux interrogations.

Quand elle est parvenue à joindre la préfecture, Marion a simplement récolté un « Je ne souhaite pas communiquer dessus ».

Pire, dans la nuit du 10 au 11, les écureuils étaient réveillés régulièrement par les gendarmes au pied de chaque arbre, afin de vérifier si « tout allait bien », en cognant sur les troncs et en agitant leurs lampes puissantes.

Quand Camille les interpelle depuis son nid pour leur faire remarquer que ce qu’ils font s’apparente à de la torture, ils rigolent.

« C’est clairement une stratégie pour nous faire craquer », commente Etienne Fouteux.

Deux gendarmes, le chef de chantier et un bûcheron au pied du chêne occupé par Reva.

La pression est aussi sur les propriétaires pour les pousser à vendre. A 9 heures, après l’arrivée de gros renforts de gendarmerie, tronçonneuses et abatteuse se sont activées, à 14h30, c’était fini. Alertée par cette agitation, Magalie, une voisine n’a pu qu’assister aux abattages.

« Quand j’ai vu une énorme machine passer sur la route devant chez moi, [à 300 m environ du chantier] j’ai su que c’était pour ça. Pour détruire le bois. J’en ai pleuré. »

Avec son mari, ils ont acheté cette maison il y a 14 ans. Le tracé de la future autoroute n’était pas encore arrêté. Son voisin, Benoît Pinel, cultive la parcelle dont il n’est pas propriétaire, sur laquelle plusieurs arbres ont été entassés par l’entreprise de coupe. Furieux, car l’orge qu’il y a plantée commence à germer, il a demandé que soit respectée l’emprise de l’autoroute pour les travaux. En vain, deux arbres au moins sont tombés pour rien.

Le propriétaire de la parcelle, n’a pas encore signé la vente… La tension monte le long de ces 53 km. Elle est entretenue par la fébrilité d’Atosca dans son empressement à avancer les travaux et le mépris toujours croissant des politiques en faveur d’un projet attaqué de toutes parts.

Mais il faut aller vite, et Atosca y met les moyens. L’arrêté du 1er mars qui fixe les règles des travaux précise dans son annexe MR03 que le déboisement et le défrichement doivent se faire entre le 1er septembre et la « mi-novembre ».

Un homme venu soutenir les écureuils contemple le désastre

Sur les quelque 11,7 hectares d’arbres et jardins privés qui vont être impactés, 4,8 sont soumis à autorisation de défrichement. Cela signifie, entre autre, que chaque coupe est censée être validée par un écologue qui doit vérifier la présence ou non de nids d’oiseaux ou chiroptères.

« Écologue singulièrement absent sur l’ensemble des coupes… », note Thomas Digard de La Voie est Libre (LVEL). « Atosca s’est engagé à planter 5 arbres pour chaque arbre abattu, mais aucune comptabilité de ces coupes n’est tenue », s’agace-t-il.

Des mésanges à queue longue dans leur habitat aujourd’hui perdu.

Ce qui ressemble à de la précipitation ne fait pas bon ménage avec la sécurité avec, pourtant, la présence importante de gendarmes. Les distances de sécurité entre les personnes sur le terrain et les arbres en train de tomber n’étant pas respectées.

« On avait l’impression que les bûcherons travaillaient sans réfléchir, raconte Juliette depuis son chêne, je pense qu’ils ne nous [les écureuils] avaient même pas calculés ! J’avais peur quand les arbres tombaient autour de nous. »

Afin de faire passer un sac à Juliette, Réva avait installé un filin entre leur deux arbres, visible et indiqué aux bûcherons. Pourtant, un des arbres abattu est tombé sur le filin accroché au baudrier de Reva, entraînant celui-ci. Sans son adresse à se rétablir, c’était le drame, sous les yeux de trois observateurs de l’OPP (Observatoire des pratiques policières).

Reva dans son chêne.

Vers midi, les trois écureuils ont pu recevoir eau et nourriture. Les collègues au sol tentent des discussions avec les gendarmes postés à la limite du chantier d’abattage. A défaut, ce sont les blagues qui fusent. Puis, des chants s’élèvent : Léo Ferré, Louis Capa et l’incontournable Bella Ciao, pour soutenir ceux qui vont encore passer une nuit humide sur ce bout de Tarn à défendre.

Dimanche 12, une manifestation a été organisée à Cuq-Toulza pour soutenir et ravitailler les écureuils. Elle a rassemblé 250 personnes qui soutiennent les courageux grimpeurs et s’opposent à ce projet anachronique. Une pétition a également été déposée mercredi dernier à l’Assemblée nationale, elle a dépassé le seuil d’étude requis de 10 000 signatures en une journée, preuve de la mobilisation majeure. Elle engage désormais les instances nationales pour organiser un débat en commission sur l’avenir de l’A69.

Valérie Lassus

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