C’est à Challet que se déroulera, le 13 et 14 septembre, “la Grande Déroute”, une mobilisation qui vise à entériner l’opposition au projet d’autoroute 1254/A120 et à intensifier le rapport de force avec l’État, alors que le choix du concessionnaire est attendu pour la fin du mois.
62 kilomètres de voies nouvelles, aménagement des routes nationales existantes, artificialisation de 660 ha de terres agricoles et de 90 ha de forêts… Le tout pour un coût dépassant le milliard d’euros. Avant même son lancement, ce projet autoroutier entre Rouen et Orléans laisse déjà présager des impacts environnementaux majeurs.
Imaginé dans les années 60, le projet suscitait déjà une opposition chez une partie des habitants de la région depuis plusieurs décennies. “Ça fait des années que des associations et des citoyens se battent contre cette autoroute, mais dernièrement certaines étapes ont été franchies, notamment avec le processus d’appel d’offres, l’opération de carottage qu’on a observé…”, explique Hugo Viel, militant écologiste et membre du collectif Non à l’A154-A120. Pour s’organiser face à l’accélération du projet, le collectif voit le jour en janvier 2023 et rejoint la coalition Déroute des Routes et leur moratoire contre les projets autoroutiers.
Une “course contre la montre”
Le choix du week-end du 13 et 14 septembre n’est pas anodin. Ce rassemblement prend place avant la désignation du concessionnaire chargé du projet, qui devrait être rendue publique dans les prochaines semaines. Une annonce qui incite le collectif à agir rapidement par crainte qu’une fois le contrat de concession signé, le concessionnaire puisse demander des indemnités à l’État si le chantier devait être annulé par la suite.
“Dans le cas de l’A69, si jamais ce chantier est définitivement arrêté, le concessionnaire ATOSCA peut prétendre à une indemnité qui peut monter jusqu’à 500 millions d’euros. De notre côté, le projet A154/A120 coûte plus d’un milliard d’euros. Si aujourd’hui, le ministre des transports ne signe pas le contrat de concession, les contribuables ne seront pas redevables à l’avenir si le chantier s’arrête”, indique Caroline, la porte-parole du collectif Non à l’A154-A120, à La Relève et la Peste.
Crédit photo : Collectif Non à l’A154-A120 – Rassemblement de militants contre l’A154 et l’A120, le 27 janvier 2025, dans le champ du Gorget, où des techniciens, mandatés par Vinci, avaient procédé à des carottages illégaux un mois auparavant.
L’autre point de crispation concerne la loi de simplification de la vie économique, largement décriée pour son atteinte au droit de l’environnement. Le texte a été adopté par l’Assemblée nationale le 17 juin et doit encore faire l’objet d’un compromis en commission mixte paritaire, annoncé pour le début du mois prochain. Les opposants à l’autoroute craignent que la version finale de cette loi conserve la mesure qui vise à attribuer à un projet de construction une Raison Impérative d’Intérêt Public Majeur (RIIPM) au stade de la Déclaration d’Utilité Publique (DUP).
Alors que le collectif a récemment observé la présence d’une espèce protégée sur le tracé de l’autoroute, cette évolution législative pourrait sérieusement restreindre leurs voies de recours pour contester la légalité du chantier.
“Si la DUP a le même poids que la RIIPM, ça ferait sauter le seul bouclier qu’on a pour défendre la nature, à savoir, l’attribution d’une autorisation environnementale. Si la loi de simplification passe, ils n’auront plus besoin de la demander” s’indigne Caroline. “D’où la notion d’urgence derrière ce rassemblement, parce que potentiellement, 15 jours plus tard, on ne pourra plus faire valoir l’autorisation environnementale. On est dans une course contre la montre.”
La crainte d’un effet boule de neige
Les opposants soulèvent également des interrogations quant à l’utilité réelle de ce projet notamment pour les habitants de la région. Il ne s’agit pas tant de faciliter leurs trajets quotidiens que de poursuivre le grand contournement de Paris. L’autoroute revêt l’aspect d’un maillon de corridors européens nord-sud, davantage pensé pour la fluidification du fret que pour les besoins des habitants. Dans le cas de la RN154, son aménagement en 2×2 voies servirait avant tout à “améliorer les complémentarités entre les modes pour le transport de marchandises”, comme l’indique la DREAL Centre-Val de Loire.
Crédit photo : Collectif Non à l’A154-A120 – Rassemblement d’une cinquantaine de militants devant l’Assemblée Nationale le 27 février 2025, à l’occasion de l’arrêt du chantier de l’A69 à la suite d’une décision du tribunal administratif de Toulouse
C’est également un effet boule de neige qui est redouté, au regard des infrastructures que peut générer la construction d’une autoroute. “Notre lutte fait partie des luttes locales Centre-Val de Loire, où il y a de très nombreux projets de plateformes logistiques attenantes à des autoroutes. C’est l’occasion d’unir l’ensemble de ces luttes, parce que les plateformes logistiques ne seront construites que si l’autoroute existe”, indique Caroline. Cette seconde vague d’infrastructures étendrait l’artificialisation des terres bien au-delà des 660 ha agricoles et 90 ha de forêt estimés sur l’A154/A120, d’où la volonté de fédérer les luttes locales à l’occasion d’une assemblée interrégionale prévue ce dimanche.
Lutter ensemble pour lutter mieux
C’est donc dans une volonté de visibiliser leurs revendications, avant que les leviers de contestation à leur disposition ne s’amenuisent, que le collectif Non à l’A154/A120 organise le rassemblement “la Grande Déroute”. Tout le week-end, des tables rondes seront organisées pour mettre en avant les éléments centraux de cette lutte, au regard des impacts sociaux-économiques et environnementaux du projet. C’est également une opportunité pour mettre en avant les alternatives à l’autoroute, notamment ferroviaires.
“L’A154 et l’A120, ça représente le plus gros projet autoroutier de France aujourd’hui. C’est vraiment le début de notre campagne qui vise à donner au combat une dimension nationale pour faire en sorte qu’il soit abandonné le plus rapidement possible”, déclare Hugo Viel auprès de la Relève et la Peste.
Afin de s’assurer que la portée de ce rassemblement ne se limite pas aux cercles militants conscientisés sur la question, le collectif a invité de nombreux représentants dans la région comme le préfet, le président du Conseil général, des élus… “On est ouvert au débat et à la confrontation des idées et on n’a jamais eu l’occasion d’échanger avec les promoteurs du projet. Pour le moment, nous n’avons toujours pas reçu de réponse”, confie Hugo.
En créant les conditions d’un débat ouvert — informer, proposer des alternatives, faire converger les luttes — ce rassemblement peut intensifier le rapport de force avec l’État et, à terme, pousser à une reconsidération de la nécessité même d’une nouvelle autoroute.