Le retour des loups aurait favorisé la croissance des arbres au sein du parc national de Yellowstone. C’est la conclusion d’une étude publiée en janvier dans la revue Global Ecology and Conservation. Une publication qui met en lumière la complexité des interactions prédateurs - proies.
Dans les années 1920, l’extermination des loups et l’importante réduction de la population de pumas engendrent une augmentation considérable des populations de wapitis dans le parc national de Yellowstone, malgré les tentatives de régulation par les autorités.
Dans les années 1980, le nombre de pumas augmente, puis, à partir de 1995, des loups sont réintroduits : Yellowstone devient un laboratoire pour étudier les effets du retour des prédateurs sur l’écosystème.
Les effets en cascade du retour des loups
Le retour du loup au sein du Parc national de Yellowstone aurait profondément impacté les réseaux trophiques : l’ensemble des chaînes alimentaires, des interactions entre les espèces, par lesquelles les nutriments circulent au sein d’un écosystème.
Les loups sont les principaux prédateurs des wapitis, qui eux même consomment des jeunes pousses de saules. L’absence de prédateurs aurait ainsi provoqué du surpâturage par les wapitis et donc une régression de la végétation arbustive. Leur retour aurait provoqué le phénomène inverse.
Cette cascade trophique avait déjà fait l’objet de nombreuses publications scientifiques. Mais l’étude sur « la force de la cascade trophique de Yellowstone après la réintroduction du loup », publiée le 14 janvier par une équipe de chercheurs de l’Université d’État de l’Oregon, quantifie pour la première fois l’ampleur de ce phénomène.
Pour cela, ils ont observé l’évolution du volume moyen de la cime des saules sur un temps long, entre 2001 et 2020. Leur constat : le long des cours d’eau et dans les plaines inondables du nord du Parc national de Yellowstone, ce volume a augmenté d’environ 1 500 % en 20 ans, durant la période suivant la réintroduction des loups.
Selon ces chercheurs, ce constat illustre la puissance de la cascade trophique provoquée par le retour des prédateurs. Il montre également l’importance d’une observation sur le temps long des évolutions écologiques suivant la réintroduction de grands carnivores.
Des études controversées
Les auteurs de cette étude, l’écologue William Ripple, l’hydrologue Robert Beschta et leur équipe, sont à l’origine de plus d’une vingtaine d’études depuis le début des années 2000 sur les effets en cascade du retour du loup gris dans le Parc national de Yellowstone.
Leur travail, a été très médiatisé et largement repris par des naturalistes et militants écologistes pour promouvoir le retour des grands prédateurs. Une vidéo intitulée « How wolves have changed rivers » (« Comment les loups ont changé les rivières » ) visionnée plus de 45 millions de fois sur YouTube, se base sur cette étude pour affirmer que le retour du loup aurait radicalement changé l’écosystème.
La pression de prédation des loups sur les wapitis aurait permis la croissance des saules qui aurait à son tour profité aux oiseaux nicheurs. Le nombre de castors aurait également augmenté du fait de leur consommation de saules. En créant des barrages, ils auraient créé des niches écologiques pour de nombreuses autres espèces : loutres, rats-musqués, castors, canards, reptiles, amphibiens, poissons.
Les loups, en tuant des coyotes, auraient également permis l’augmentation du nombre de rongeurs qui aurait entraîné celle de leurs prédateurs : rapaces, belettes, renards, blaireaux. Les carcasses laissées par les loups auraient profité à des charognards : notamment aux ours dont le nombre aurait également augmenté. Enfin, les racines des arbres auraient également stabilisé les berges et changé le cours des rivières.
Les conséquences du retour du loup sur l’écosystème sont présentées ici comme quasi-miraculeuses. Pourtant, certaines études nuancent fortement voire contredisent les résultats de William Ripple, Robert Beschta et de leurs collaborateurs.
L’une des principales critiques : le fait de n’avoir pris en compte que le retour des loups. D’autres facteurs, comme le climat, auraient pu expliquer la croissance des saules.
En se focalisant sur le retour du loup pour essayer de prouver son impact, les chercheurs seraient ainsi tombés dans une forme de biais de confirmation.
Ainsi, d’autres études arrivent à des conclusions différentes : en 2010, par exemple, une équipe de chercheurs publie une étude dans la revue Ecology, relatant un test expérimental montrant que les impacts du broutage des wapitis sur les peupliers faux-tremble ne diminuent pas sur les lieux qui présentent le maximum de risque de prédation par les loups.
Ces études et controverses scientifiques ne sont cependant presque jamais mentionnées par les médias, naturalistes et associations de protection de la nature. L’étude produite par William Ripple et son équipe passe ainsi comme décrivant une réalité faisant consensus parmi les chercheurs. Cette omission au profit d’un discours simple et séduisant invisibilise la controverse scientifique et la complexité des recherches sur les phénomènes écologiques.
« Le paysage de la peur »
En France, aussi, l’impact du retour du loup sur la faune et la flore sauvage est scruté de près. La présence de grands carnivores influence en effet le comportement des herbivores : modification de la taille des groupes, vigilance accrue, temps passé dans des zones refuges, etc.
Ces comportements, adoptés pour échapper à la prédation, influencent à leur tour le milieu : ce que certains chercheurs appellent « l’écologie de la peur ».
Le retour du loup pourrait ainsi aider à la régénération des forêts, en régulant les populations de chevreuils et de cerfs. Cette régulation pourrait également jouer un rôle dans la diminution de certaines maladies, comme la maladie de lyme ou encore réduire le nombre de collisions routières de véhicules avec des ongulés.
Néanmoins, savoir quel rôle joue le retour du loup dans les changements de comportement de proies est complexe, surtout dans des territoires européens très anthropisés. Les activités agricoles, la chasse humaine et le dérangement des animaux par des activités touristiques peuvent également influer très fortement sur le nombre et le comportement des animaux.
Un bel exemple de la complexité des écosystèmes et de l’importance de chaque espèce dans leur bon fonctionnement.