« Avec les temps qui s’annoncent, le collectif est une utopie nécessaire », voire même indispensable. C’est le constat de Laure Noualhat, journaliste, bifurqueuse, à l’origine de la création de Renaissance Joigny et auteure du livre « Bifurquer par temps incertains ».

Après 15 ans de rubrique Environnement à Libé, Laure migre vers Joigny, une jolie ville de 10 000 habitants au cœur de l’Yonne. Elle a une conviction. Puisque les systèmes s’effondrent et qu’on va devoir entrer en mode « dégradé » ou « critique », il est indispensable de connaître ses voisins au sens large.

En octobre 2019, elle organise des week-ends avec des Parisiens, mais pas seulement, venant de divers horizons. Inquiets de l’avenir, ils venaient de lire Pablo Servigne « Une autre fin du monde est possible ». Laure prend contact avec la mairie et des agents immobiliers, « parce que pour moi, 10 000 habitants, c’est la taille humaine. »

Et naquit Renaissance Joigny

Elle fait venir des jeunes, très au fait des questions écologiques et conscients du risque systémique auquel il va falloir faire face. « Et on crée Renaissance Joigny. » En s’appuyant sur les travaux de Julien Dossier, auteur de la fresque de la Renaissance Ecologique, l’équipe travaille à la définition de l’objet.

L’association se fonde sur deux mots : reliance et effondrement. Autant dire, la volonté de créer des maillages humains d’entraide, de solidarité et de coopération à l’échelle d’un territoire, en cas de crise systémique probable.

Première difficulté, s’inscrire dans un territoire « qui ne t’a pas attendu pour agir ». Puis, découvrir que « lorsqu’on n’a pas trois générations au cimetière, on n’est pas d’ici. » Enfin, parvenir à faire entendre qu’on est là pour apporter, pour offrir son énergie, pas pour donner des leçons aux autres.

“On a réussi à mettre en lien une communauté de 150 personnes qui se connaissent, dont on a identifié les compétences, les intérêts et les disponibilités pour participer aussi bien à des cueillettes, des balades, des chantiers qu’à la culture de jardins partagés”.

Renaissance Joigny officie dans trois vergers, grâce auxquels des ateliers taille, cueillette et cuisine de transformation ont permis aux habitants d’œuvrer ensemble. Toutes ces activités créent non seulement des transferts de savoir-faire, un goût pour l’autonomie, une découverte de saveurs pour nombre de participants, mais aussi des vrais liens. 

“Nous avons accueilli 150 élèves de 6^ème autour de fresques de la renaissance écologique et de dégustations.

Les bonnes années, nous avons récolté 200 kg de cerises, 500 kg de pommes, 50 de pêches et 30 de prunes. Ça permet de papoter autour des fruitiers et des marmites !”

Une ceinture verte

Avec Patrick Frémeaux, galeriste et éditeur, Laure acquiert le Verger de la Renaissance où sont organisés « les apéros du mois », et qui sert de base à l’association.

Puis Forêts et Campagne d’Avenir, qui regroupe 12 Joviniens et 12 Parisiens, avec 154 000 € de fonds, achète un verger conservatoire de 3200 m² (35 fruitiers), le Bois de la Mouchette de 2200 m² et deux forêts de plus de 5000 m².

Objectif : sanctuariser et en faire des refuges pour les oiseaux avec l’aide de la LPO. La première sera gérée en sylviculture douce, tandis que la seconde permettra la réimplantation d’espèces d’oiseaux disparues ou presque.

Avec Forêts et Campagnes d’Avenir Joigny, le comité de pilotage jovinien du Groupement Forestier et Rural Expérimental et Conservatoire de Protection du Vivant, le projet « Ceinture Mosaïque Verte » est lancé.

Il s’agit de constituer, par solidarité avec les propriétaires existants ou par co-acquisition de parcelles avec les habitants, une ceinture (ou une mosaïque) visant la préservation de corridors biologiques exempts de produits phytosanitaires, autour et au sein de la ville de Joigny.

Ces espaces peuvent être des jardins d’agrément, des terres agricoles, des bois privés, des propriétés privées et l’ensemble des espaces verts communaux. Les premières acquisitions sont d’ores et déjà incluses dans cette ceinture.

Rassemblements nationaux

« Les États Généraux des Agricultures Alternatives » sont aussi l’émanation de Renaissance Joigny et pilotés par Éric Lenoir, paysagiste engagé et auteur du Traité du Jardin Punk.

En 2023, pour la deuxième édition, ils rassemblaient autour de tables-rondes des acteurs d’un monde agricole en crise pour évoquer l’avenir ou les avenirs selon les modes de cultures adoptés et développés par les uns et les autres.

De l’agriculture conventionnelle raisonnée à la permaculture et au bio, de la semence à l’alimentation, de l’outil au foncier, tous les sujets sur lesquels on s’accorde mais aussi tous ceux qui fâchent, ont été abordés. C’est aussi et surtout l’occasion de présenter des expériences concrètes, ce qui est réussi et ce qui l’est moins, et pas seulement en Bourgogne !

Renaissance Joigny a enfin contribué à la Convergence des possibles, un collectif d’associations réuni à l’occasion d’un appel à manifestation d’intérêt de l’ANCT (Agence nationale de la cohésion des territoires).

Scani, Société Coopérative d’Aménagement Numérique Icaunaise, est un fournisseur d’accès internet coopératif local, installé depuis 10 ans. C3V MAISON CITOYENNE est un mouvement d’éducation populaire et citoyenne. Le Maillet est un Fablab, un lieu et des gens qui unissent et partagent leurs connaissances pour tester, essayer, créer, inventer, fabriquer ce qu’ils souhaitent. 

La Caserne Bascule, ou Casba, un lieu dédié à la transition écologique et aux expérimentations pour inventer le monde de demain. Le Feÿ, un château et un lieu d’expérimentation de nouveaux modes de partages, d’assemblées et de vie collective. Ces six structures se sont constituées en tiers-lieu et se sont données une double mission commune : rayonner plus intensément sur le territoire et aider à l’émergence d’autres lieux.

Le chemin n’est pas un long fleuve tranquille pour autant. Le collectif associatif, indispensable, chaleureux, formidable est aussi source de remises en cause personnelles, de frustrations, voire de souffrance. 

« Après 4 ans à fond, je passe le relais. J’ai écrit Bifurquer par temps incertains après avoir rencontré d’autres bifurqueuses et bifurqueurs. Il faut le faire, mais il faut bien se préparer. » explique Laure

Dans le podcast « DANS QUEL ÉTAT J’ERRE », elle raconte ses plus beaux apprentissages sur les réussites d’un tel projet en collectif et les meilleures façon de se préparer à une telle aventure.