Végétaliser nos villes pour lutter contre le réchauffement climatique, créer des espaces de rencontre et répondre à la problématique de la sécurité alimentaire. C’est le challenge relevé par la commune de Cournon-d’Auvergne en partenariat avec la structure Graine Vagabonde. En deux ans, main dans la main avec des techniciens, des habitants et des écoles, ils ont planté une forêt gourmande de 1600m2 organisée en 52 guildes et 700 végétaux et une autre, urbaine, de 2000m2 dont l’objectif est de récréer une forêt primaire à l’instar de celles de Miyawaki au Japon. A travers ces plantations, ils questionnent le sens d’habiter l’espace publique et du vivre-ensemble et cela, toutes générations comprises.
Cournon-d’Auvergne, une commune qui met son énergie au service du Vivant
Cournon-d’Auvergne est située dans le département du Puy-de-Dôme. Celle-ci est engagée depuis plusieurs années vers une politique de l’arbre. C’est une démarche ancrée dans les projets de service. Elle repense ses espaces publiques en les végétalisant dès que cela est possible.
Dessinée par des trames vertes, on trouve dans les rues des petits fruitiers et des noyers sous lesquels les passants viennent récolter quelques noix. A contrario d’autres communes, les équipes espaces-verts sont des professionnelles de l’arbre avec une vue d’ensemble tant sur son installation que son suivi et sa taille.
C’est dans cet état d’esprit, que Mina Perrin, élue EELV, a semé les graines de cette plantation citoyenne. Elle explique à La Relève et La Peste :
« C’est une réponse aux enjeux environnementaux et sociétaux à l’échelle de notre commune. On est conscients que les enjeux sont internationaux, Cournon-d’Auvergne ne va pas changer la face du monde mais c’est notre pierre à l’édifice, notre part de colibri. Les enjeux avec un grand X sont climatiques, de biodiversité, de ramener la nature en ville ainsi que les petits insectes qui disparaissent. Offrir à la population un petit îlot de fraicheur notamment avec ces terribles canicules.
En terme sociétal, nous souhaitions avoir une forêt comestible pour permettre aux gens de se servir. Les familles ont de moins en moins de moyens et je souhaitais qu’ils puissent aller cueillir quelques fruits librement. Enfin, il y a un enjeu pédagogique. Il fallait que ce projet ait une valeur éducative et d’échanges intergénérationnels. »
Mina Perrin a fait appel à Pauline Bénéteau de Graine Vagabonde. Animatrice en agroécologie, elle a commencé dans la médiation culturelle, notamment dans des centres sociaux et des tiers-lieux. C’est là où elle a rencontré des habitants qui l’ont sensibilisée au jardinage. Le jardin est pour elle un lieu de rendez-vous pour parler à la fois d’alimentation, de biodiversité, de souveraineté alimentaire tout en étant dans une approche thérapeutique.
Ce sont des « rencontres, des liens qui se tissent à travers nos identités, nos cultures, nos histoires de vie, nos héritages croisés ». Son leitmotiv est de créer de l’émerveillement. Pour elle, « à partir du moment où l’on est émerveillé, on est touché, sensible et cela va faire que l’on va se sentir en lien ». Faire le pont entre le monde de l’agroécologie et les collectivités territoriales, tel est son dessein.
« J’ai beaucoup travaillé avec les collectivités territoriales. C’est pour moi primordial de garder ce lien car investir les jardins, les sols est une façon de lutter contre l’artificialisation de ces derniers. D’oeuvrer pour favoriser des espaces de rencontres au sein des jardins. Occuper une terre, un sol, c’est leur donner une identité, leur redonner vie et se remettre dans une horizontalité avec le vivant.
Cocréer avec les collectivités est intéressant parce qu’il y a cette notion de service publique. Accompagner des politiques ou des élus à avoir ces problématiques de comment nourrir ses populations, préserver la biodiversité, c’est leur offrir un cadre de vie qui permet de s’alimenter et de s’épanouir autrement. »
Réinventer les communes en vue d’une végétalisation tout en y proposant une action pour que les gens se rencontrent tout en se réapprenant. Les questions soulevées sont entre autres : que fait-on de nos espaces aujourd’hui en ville ? Est-ce qu’ils sont dédiés à la construction ou, au contraire, à la végétalisation ?
« C’était important d’aller dans les écoles pour que cette forêt puisse se créer avec la population pour avoir ce sentiment d’appartenance. Construire avec eux mais aussi les sensibiliser. Ce sont des enseignants qui ont travaillé en amont avec leurs classes. On a fait des animations avec Pauline de Graine Vagabonde qui a fait un travail extraordinaire auprès d’eux.
On a aussi collaboré avec le Foyer logement car c’était essentiel de travailler avec les seniors afin qu’ils nous apportent leur regard d’antan. Le plus jeune devait avoir 65/68 ans. C’était très émouvant comme animation. Après, il a fallu planter tous ensemble, du plus jeune au moins jeune. Avoir un moment de plantation où tout le monde se mélange et discute avec cet enjeu du vivre ensemble. »
La forêt urbaine
Elle a regroupé 800 enfants et 500 habitants pour une plantation de 7000 arbres sur 2000m2. Pour la créer, Mina Perrin et le service espaces-verts se sont inspirés du modèle de l’agronome japonais Miyawaki. Ce dernier a travaillé sur les paysages régénératifs suite aux épisodes récurrents de tsunami au Japon.
Il s’est intéressé aux barrières végétales et aux systèmes des forêts primaires. Le principe est de planter énormément de diversité d’arbres en termes d’espèce sur des toutes petites surfaces. Ces dernières sont amendées en amont de matière organique. Du fait de cet amendement et des croissances rapides des arbres, ces derniers vont s’épanouir ou mourir.
« L’idée était d’investir cette population à planter cette forêt par différents biais. Par exemple, les classes désireuses de participer auraient un atelier autour du rôle de l’arbre en ville » confie Pauline à La Relève et La Peste
Une fois plantée, la forêt est fermée au public pendant quatre ans et il ne doit y avoir aucune intervention humaine. Cette démarche a laissé perplexes certains habitants comme l’explique Mina Perrin à La Relève et La Peste :
« Les gens nous disent encore que c’est sale, les trottoirs ne sont pas désherbés, il y a de l’herbe qui pousse ici. On a encore cette mentalité de se dire que lorsque ce n’est pas bien tondu, ce n’est pas propre. On a d’un côté cette forêt « sauvage » à laquelle on n’a pas accès et qui questionne. Il y a tout un travail d’information à faire pour expliquer pourquoi ce n’est volontairement pas entretenu. »
De plus, cette entreprise soulève la question de l’artificialisation des sols et de facto celle du réchauffement climatique. Sacraliser une forêt, c’est aussi sacraliser l’endroit où elle se trouve. Ici, l’espace publique.
« On ne va pas planter pour la détruire 20 ans après. On ne sait jamais, plus tard ce seront d’autres élus. Mais ça sera difficile de dire que l’on va la raser pour construire des immeubles. Je pense que la population se soulèvera et les enfants qui lui ont donné naissance auront 20 ans donc la force de militer. C’est très symbolique. »
La forêt gourmande
Elle s’inspire du concept de forêt-jardin. Elle s’est organisée sur 6 rendez-vous différents (ateliers, conférences, ciné-débat) et a regroupé 400 enfants et 200 habitants. Ensemble, ils ont ensemencé 700 végétaux repartis en 52 guildes sur 1600m2.
Cette dernière est une composition en 3D. C’est à dire que le jardin n’est pas pensé comme posé au sol mais dans une conception verticale. Ils se sont appuyés sur des espèces pour la plupart vivaces. Une guilde comprend donc différentes strates de végétaux.
Un arbre-maître va être la canopée. De par son ombrage, il va créer différents microclimats. Sur ce projet-là, l’arbre-maître sera un fruitier. En-dessous, différents étages de plantes plutôt buissonnantes peuvent être des petits fruits ; d’autres plutôt couvrantes (couvre-sols) comme des fraisiers ou encore du thym.
Les végétaux choisis ont des liens eux, de par leurs propriétés tant au niveau de leurs formes que de leurs racines. Ils vont mutuellement se rendre service. L’un va apporter de l’ombre à l’autre, un autre sera fixateur d’azote pour ses partenaires. Un autre encore sera couvre-sol et empêchera les mauvaises herbes de pousser et de pomper des minéraux. Enfin, certains sont là pour attirer des pollinisateurs, d’autres, pour repousser certains prédateurs ou servir de cachettes.
Ces associations variées permettent à l’écosystème de fonctionner en limitant l’intervention des humains. Sur les premières années, l’humain sera très présent puisqu’il faut laisser aux plantes le temps de s’installer, elles doivent être quand même arrosées. Mais l’idée est que dans 5 ans / 10 ans, elles trouvent leur propre autonomie.
Afin d’expliquer aux enfants les tenants et aboutissants de ce fonctionnement magique et fragile en même temps, Pauline a, en amont, animé plusieurs ateliers dans les écoles.
« Chacun des enfants recevait un élément qu’il allait interpréter. Ça pouvait être une feuille morte, une plante, une abeille, un hérisson ou un buisson. On créait cette forêt ensemble. Souvent, je mettais la maîtresse comme arbre-maître et eux, venaient se placer autour. Chacun entrait en scène en jouant son personnage : les vers de terre vont créer le sol, décomposer les feuilles et nourrir le pommier. Cela créait tout un tas d’interactions. Arrivait ensuite un événement dramatique pour l’un des éléments. L’idée était de voir les répercussions sur les autres. En général, l’écosystème s’effondre en quelques secondes. Cela leurs permettait de comprendre la notion d’interaction mais aussi le rôle que joue l’humain dans ces écosystèmes. »
Pour Mina Perrin, il s’agit de responsabiliser la commune pour assurer la sécurité alimentaire de sa population :
« Des thèmes nous parlent comme le fait de pouvoir consommer local et pas des fruits qui viennent de l’autre bout de la France ou plus encore. On fait un travail sur notre territoire. On a une épicerie sociale et solidaire avec des fruits et des légumes à très bas coûts pour les familles. Aujourd’hui, force est de constater qu’1 foyer sur 3 ne mange pas à sa faim. C’est un constat qu’on a relevé avec beaucoup de CCAS (centre communal d’action sociale).
Le fait de pouvoir mettre à disposition une forêt gourmande, c’est leur permettre d’aller prendre un dessert là-bas, de se servir en fruits. Souvent lorsque l’on plante, c’est à l’extérieur. C’est important de ramener la culture en ville. Il y a une part de fruitiers importante pour que les gens puissent s’alimenter local, bio puisque l’on n’utilise aucun traitement depuis de nombreuses années. »
La mise en place de ce projet est une alliance minutieuse d’intelligences multiples et collectives. Pauline a travaillé en étroite collaboration avec Laurine Paulov en charge du service espaces-verts. Cette dernière a élaboré un rétro planning avec ses équipes afin de définir le plan, la composition des guildes et préparer le terrain pour qu’il soit prêt au moment de la plantation.
Mina Perrin, l’élue EELV, a proposé le projet en amont et l’a fait voter avec son enveloppe budgétaire. La démarche pédagogique vient de la partie service environnement de la ville, que ce soit sur la partie médiation, action, direction des habitants ou encore le travail avec les écoles. Pauline a, de son côté, créé avec Laurine toutes les étapes pour garantir un bon accueil en direction des scolaires et des habitants.
Une plantation avec un message politique fort
La plantation de la forêt gourmande a eu lieu pendant la semaine du développement durable européen, le 07 Octobre 2023. A cause des fortes chaleurs inhabituelles, ce n’était pas la période optimale pour le faire. Heureusement, ils ont compté 90 % de reprise sur ce qu’ils avaient planté.
« Il n’y avait pas eu de pluie mais on a eu de la chance car 4 jours après, il a plu. On a quand même été obligés d’arroser alors que l’on voulait l’éviter à la base. On n’avait pas eu à le faire pour la première forêt. Si on devait recommencer, on ne respecterait pas le calendrier de la semaine du développement durable parce qu’aujourd’hui, elle est en décalage avec les plantations. Après s’il faisait trop froid, je ne suis pas sûre que l’on aurait autant d’écoles avec nous ainsi que de personnes plus âgées. Il faut trouver une temporalité entre celles des personnes et du Vivant » explique Mina Perrin pour La Relève et La Peste
Le projet n’a pas été largement relayé, mais pour l’élue le message est simple :
« On est 36 000 communes sur le territoire français. On a un rôle essentiel à jouer sur tous ces enjeux-là puisque l’on a un pouvoir décisionnaire important et un autre d’action direct sur notre territoire. Si un quart des communes plantait sa propre forêt, je pense que ça aurait un impact considérable. Beaucoup plus que si une ou deux communes agissaient isolées. »
Ces deux projets reflètent ce que peut être le vivre-ensemble et en harmonie avec le vivant dans un espace où s’entremêlent les aspects intergénérationnel, sauvage et nourricier.
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