Le bilan 2024 sur l’état des poissons migrateurs dans les eaux pyrénéennes est accablant. Le nombre de saumons géniteurs, truites et lamproies retournant à leurs zones de reproduction est anormalement bas. Une tendance nationale où les derniers saumons sauvages pourraient bien disparaître d’ici quelques années, alerte l’association Défense des Milieux Aquatiques.
La disparition du saumon sauvage
Chaque année, l’association Migradour recense les poissons migrateurs grâce à des stations de contrôle situés sur différentes rivières pyrénéennes. En 2024, le bilan est « catastrophique » : deux saumons sur trois n’ont pas repris le chemin de leur frayère pour se reproduire. La situation est quasiment identique pour les truites et les lamproies.
« Migradour a constaté un effondrement jamais-vu des effectifs de saumon au niveau des barrages. On savait que cela allait arriver car, dès 2022, il y eu un effondrement des juvéniles. On a un enchaînement d’indicateurs de très mauvaise augure car les saumons sont des poissons à durée de vie courte. Il n’y a que deux ou trois générations qui se succèdent dans les rivières, et sur trois ans on a constaté un effondrement des populations. Il y a donc peu d’espoir qu’une autre génération vienne sauver la mise » décrypte Philippe Garcia, président de Défense des Milieux Aquatiques (DMA) pour La Relève et La Peste
L’étude des poissons migrateurs est importante car ils sont un marqueur représentatif de la qualité de l’eau et de la santé des rivières. Leur disparition est donc très inquiétante pour la qualité des milieux.
Le saumon est un extraordinaire navigateur. Grâce à des cristaux dans son crâne nommés magnétite, qui agissent comme un compas magnétique intérieur, il peut parcourir 10 000 km durant sa trajectoire de vie. Une boucle depuis les frayères des gaves pyrénéens en passant à l’ouest des îles britanniques, en mer de Norvège, le long de la côte ouest du Groenland, avant de revenir sur son lieu de naissance.
Au cours de ce long périple, le saumon doit échapper aux prédateurs naturels, franchir les barrages qui ont historiquement été les grandes causes du déclin du saumon, survivre aux pollutions et dégradations du milieu comme l’extraction des graviers (matériel essentiel des frayères des saumons).
« La cause de l’effondrement des saumons est multifactorielle. De plus, le réchauffement climatique a modifié les zones de proie qui sont elles-mêmes moins nutritives qu’avant » précise Philippe Garcia pour La Relève et La Peste.
La surpêche du krill, nourriture du saumon, dans des eaux internationales, la pollution prégnante au niveau des frayères par les eaux usées des villes ou des engrais agricoles, la baisse du débit des rivières ou, à l’inverse, les inondations spectaculaires hivernales qui bouchent les frayères sont autant de facteurs supplémentaires de son déclin.
Enrayer le déclin du saumon sauvage
Dans certains endroits du globe, il est toujours possible de voir des rivières noires de poissons migrateurs, comme en Colombie-Britannique, au Canada. Malheureusement, le déclin du saumon sauvage est global avec plus ou moins d’intensité. En Norvège, la pêche a été interdite dans 30 rivières à saumons sur les 500 que compte le pays.
« Dans le Sud-Ouest et l’Espagne, nous sommes la zone la plus menacée par la disparition du saumon qui n’est encore là que grâce aux sources d’eau propres et froides des Pyrénées. Il n’y en aurait déjà plus aucun si cela avait été des rivières de plaine comme en Picardie » détaille Philippe Garcia pour La Relève et La Peste.
Pour tenter d’enrayer le déclin, la pêche professionnelle et de loisirs de saumon atlantique a été interdite sur l’ensemble du bassin de l’Adour et des Gaves Pyrénéens. Tout comme elle l’est dans la France entière, suite à deux arrêtés pris pour interdire sa pêche en Bretagne et Normandie.
« Cette décision tardive est nécessaire, mais insuffisante. Il faut se rappeler que le saumon a été interdit de pêche en Garonne – Dordogne en 1978 et il n’y est jamais revenu ! Même chose pour la Loire : pêche interdite en 1994 et aucun retour. Ce cas est encore plus grave car on a mis en place des piscicultures avec de l’alevinage pour doper le retour des adultes qui nous a coûté des millions d’euros et fait faillite aujourd’hui sans résultat » s’alarme Philippe Garcia pour La Relève et La Peste.
Une disparition d’autant plus grave que la Garonne – Dordogne est un lieu de présence préhistorique du saumon. Des peintures rupestres retrouvées en attestent. En vallée de la Dordogne, les vieux racontent qu’ils n’allaient pas pêcher mais « ramasser le poisson », tellement ils étaient nombreux. La Loire compte aujourd’hui à peine 100 saumons par an, par rapport aux 100 000 du début du XXème siècle. Le territoire normand recensait 1000 saumons adultes au milieu des années 2010-2020, ils sont tombés à respectivement 234 et 310 géniteurs en 2023 et en 2024.
En cause : le renouvellement des populations d’animaux ne se fait plus, une fois passé sous un certain nombre d’individus. En Terre-Neuve, c’est ainsi la disparition des vieilles morues, les plus fertiles, qui a précipité leur extinction. Le peu d’œufs qu’elles arrivaient à pondre n’arrivaient plus à surmonter la pression de prédation des crabes et autres.
Si à terre, des efforts sont faits comme la création de passages à poissons dans les barrages ou la dépollution des stations d’épuration, Philippe Garcia plaide aujourd’hui pour protéger le corridor migratoire marin des poissons. Pour DMA, interdire la pêche non-sélective (filet, chalut, etc.) sur les 3 premiers miles le long des côtes permettraient de sauver les derniers survivants des captures de pêche dites accidentelles. Un projet nommé « Golden Miles », « un paradis pour les saumons » explique Philippe en souriant.
Cette initiative est déjà appliquée avec succès à l’étranger, notamment aux Etats-Unis. En France, les pouvoirs publics l’ignorent. Pourtant, Philippe en est convaincu : « c’est la solution de la dernière chance pour le saumon ».