La France est le premier producteur de lin au monde, mais la quasi-totalité de la production de fibres part à l’export à l’autre bout du monde pour être transformées avant de revenir dans le pays. Après 20 ans d’absence, des filatures ont rouvertes sur le territoire pour mettre fin à cette ineptie écologique. Un défi industriel et humain à la redécouverte de savoir-faire oubliés.
Le lin, un matériau noble et écologique
De la graine au textile, la production de lin passe par plusieurs étapes : la culture dans un champ, le rouissage, la récolte, le teillage qui sépare mécaniquement (sans chimie) les différents composants de la tige de lin, le peignage qui étire la fibre de lin sous forme de rubans doux et lustrés, la préparation de mèches de fil puis la filature avant d’aller dans des ateliers de confection.
Le lin est une plante qui nécessite peu d’irrigation et peu d’intrants. Toute la plante est utilisée que ce soit pour le textile, la papeterie, le paillage, l’isolation, etc. Aujourd’hui, le lin représente 0,4 % des fibres textiles mondiales face à la surproduction de matières synthétiques à bas coût de vente mais tragédies sociales et environnementales.
« Aujourd’hui, la filière lin est confrontée à une différence de prix entre la production européenne et celle d’Asie. Au-delà de l’habillement, il y a beaucoup de débouchés pour la filière du lin dans les tissus techniques et composites car les industries cherchent des alternatives à la fibre de verre et celle de carbone » explique Alix Pollet, Directrice de marque chez Safilin, pour La Relève et La Peste
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Présente en France dès le Moyen-Age et privilège aristocratique au XVIIème siècle, la production de lin a explosé au début de la révolution industrielle avec l’invention de la machine à filer le lin par Philippe de Girard en 1810. De nos jours, l’Hexagone produit 61% du lin utilisé dans le monde, avec 130 000 hectares cultivés en moyenne, essentiellement en Normandie. Le climat de la région, doux avec une alternance de pluie et soleil, est idéal pour la plante. Des producteurs sont également en train de récréer une filière dans le Béarn avec l’association « Lin des Pyrénées ».
A la fin des années 90, la totalité des filatures de lin avaient fermé en France, dépassées par l’essor des importations textiles d’Asie et l’apogée des matières synthétiques. Une filature de lin nécessitant 10 fois plus de main d’œuvre qu’une filature de coton, l’équilibre économique n’était plus tenable pour les entreprises.
Résultat, une fois le teillage réalisé, plus de 90% des fibres françaises sont exportées et transformées dans le monde, essentiellement en Chine (80 %), en Inde, et dans une moindre mesure, en Europe : en Pologne pour la filature, en Belgique et en Italie pour le tissage. La crise du Covid 19 et l’inflation galopante ont fait prendre conscience aux liniculteurs de la nécessité de relocaliser en France la filature, maillon manquant pour une production 100% française.
Le retour de la filière en France
Parmi les entreprises ayant décidé de relocaliser leurs activités, Safilin est un acteur historique du lin en France. Elle produit aujourd’hui 4000 tonnes de fil par an, soit 3% du marché mondial. Cette entreprise a été créée par la famille Salmon en 1778 en plein cœur de la culture du lin, à l’époque où les industries étaient au plus proche du bassin des matières premières. Safilin employait plus de 1000 personnes et possédait 5 filatures dans l’Hexagone au début du XXème siècle.
La crise industrielle textile a poussé la compagnie à délocaliser en Pologne à la fin des années 80. A l’époque, les français sont allés former leurs collègues polonais pour leur transmettre leur savoir-faire. 20 ans plus tard, la transmission de connaissances s’est opérée dans l’autre sens, lorsque Safilin a réimplanté une unité de filature dans son bassin historique des Hauts-de-France, à Béthune, en 2022.
« Un peu avant le Covid, notre président, Olivier Guillaume, a été à l’origine du projet de réimplantation d’une filature de lin en France pour répondre aux enjeux écologiques actuels et à la demande de nos clients. La pandémie a accéléré la démarche au niveau des prises de conscience et il y a eu un alignement des planètes avec le plan de relance de l’économie dont on a pu bénéficier, et surtout l’accompagnement des polonais. Toute la connaissance technique de nos mécaniciens polonais était fondamentale pour une réimplantation réussie. Sans transfert de compétences, cela aurait été littéralement impossible » détaille Alix Pollet, Directrice de marque chez Safilin, pour La Relève et La Peste
La filature comptera 14 métiers à filer, (dont douze au mouillé, deux au sec), et produira, d’ici 2024, 400 tonnes de fil de lin chaque année. 30 opérateurs – ils seront 50 à terme – ont déjà été embauchés et formés à un métier qui avait disparu du territoire. La réouverture de la filature française correspond à une augmentation de la capacité de production de l’entreprise, Safilin gardant ses usines en Pologne, en plus de rouvrir en France.
Grâce à sa présence en Pologne , au fur et à mesure des années, Safilin a racheté du matériel d’occasion aux filatures européennes qui fermaient sur le continent. Ainsi, les machines de l’unité de filature française proviennent de matériel de seconde main polonais qui a été réhabilité, une chance puisqu’il n’existe plus aujourd’hui de constructeur européen de métier à filer au mouillé.
Safilin n’est pas la seule entreprise à relocaliser en France. Dans l’Eure, deux filatures ont ouvert dont une du groupe Natup, coopérative agricole normande qui a pour objectif de recréer une chaîne de valeur 100 % française autour du lin, et une du groupe Velcorex à Hirsingue dans le Haut-Rhin au sein de l’une des entreprises du groupe, celle d’Emanuel Lang, fabricant de tissus haut de gamme.
C’est chez ce dernier que se fournit la toute jeune marque française Mijuin, créée par Pauline Beuzelin. Originaire de Normandie, elle a souhaité participer au retour de la filière lin en France suite à des retrouvailles avec d’anciens camarades du collège qui reprenaient un atelier de teillage dans leur région natale. Une micro-aventure à vélo à l’été 2020 lui a permis de rencontrer les acteurs du territoire de la filière lin et mieux en comprendre les enjeux.
« J’ai fait deux constats suite à ces différentes rencontres : il y a besoin de faciliter l’accès à cette nouvelle chaîne de valeur et plus assez d’ateliers de confection en France. La plupart des marques écoresponsables font fabriquer au Portugal, alors j’ai décidé de monter un atelier de confection de textiles consacré au lin filé et tissé en France » raconte Pauline Beuzelin, Directrice générale de Mijuin, pour La Relève et La Peste
Signe de renouveau, l’atelier de Mijuin a pris place dans une friche industrielle à Malaunay, en Normandie : une ancienne usine textile où se sont également installés un brasseur, une menuiserie, et des architectes/urbanistes. Un environnement stimulant pour confectionner vestes, cabas, bananes, ou tabliers.
Seul bémol pour la réimplantation de la filière : des coûts de vente élevés, par rapport aux vêtements peu cher fabriqués à coups de dumping social dans d’autres pays, qui ne seront pas accessibles à toutes les bourses du pays en ces temps d’inflation. Surtout, le recrutement de personnel qualifié est le premier écueil, le lin étant un matériau organique qui demande un véritable artisanat.
« On est 5 dans l’équipe, une partie en production et une partie sur la commercialisation. Nous avons reçu l’agrément entreprise d’insertion. On veut permettre à des jeunes et des réfugiés de se former sur le terrain aux métiers de la confection. Ces dernières décennies, à cause des excès de la mondialisation, on a perdu nos savoir-faire locaux. Avec Julie, l’encadrante technique de l’équipe, on a du boulot, mais c’est un défi passionnant ! » détaille Pauline Beuzelin, Directrice générale de Mijuin, pour La Relève et La Peste
Dans les Hauts de France, la relocation des filatures a déjà contribué à la redynamisation de tout un écosystème régional de peigneurs, blanchisseurs, moulineurs… C’est grâce à la multiplication des acteurs sur le territoire et la diversification des activités que la filière 100% française du lin pourra, à nouveau, fleurir.
Sources :
« Une filière en circuit court » Livre Blanc n°3 – 2023 par FASHION GREEN HUB, Groupe de travail Lin / Observatoire Economique du Lin – Alliance for European Flax Linen and Hemp