Une avancée discrète pour les protecteurs des forêts. Au terme d’un débat avec l’association Canopée-Forêts vivantes, le Syndicat des sylviculteurs du Sud-Ouest (Sysso) a récemment affirmé son opposition aux coupes rases de feuillus dans le massif des Landes de Gascogne, où ces arbres sont peu à peu remplacés par des plantations de résineux.
Tout est parti d’une courte passe d’armes à la dernière édition de Forexpo, un salon spécialisé dans l’exploitation forestière, le 23 septembre 2021. Ce jour-là, une poignée d’écologistes affublés de tee-shirts vert pomme interpellent Éric Dumontet, secrétaire général du Sysso, sur la disparition des peuplements naturels de feuillus dans les Landes.
Fort de 6 000 adhérents, le Sysso est le plus important syndicat de propriétaires forestiers de France. Il représente à lui seul 580 000 hectares de forêts sur le million du massif des Landes de Gascogne, composé à 80 % de pins et fournissant six millions de mètres cubes de bois par an.
Piqué par les mots des écologistes, mais visiblement ouvert au dialogue, le représentant du syndicat invite alors l’association Canopée à organiser un débat sous l’œil des caméras, directement en forêt.
« Vous choisissez des parcelles, je choisis d’autres parcelles, et nous discutons », propose-t-il.
Six mois plus tard, sans nouvelles de lui, Canopée imprime une pancarte à son effigie et se rend avec elle au bord de la hêtraie du Ciron, dans les Landes, zone Natura 2000 et « véritable arche de Noé de la biodiversité », d’après l’Inrae, sur une parcelle où une coupe rase vient d’être effectuée.
Que sont devenus ces arbres ? Impropres au bois d’œuvre, ils auront sans doute été transformés en bois-énergie, pour chauffer des habitations. Et à leur place se dressera bientôt une plantation de pins maritimes, des arbres à la croissance rapide dont le bois est très apprécié pour la construction.
Sylviculture industrielle
Depuis les années 1990, la superficie de la hêtraie du Ciron est passée de 30 km2 à 4,5 km2. Sous l’effet combiné de ce « grand remplacement » et de l’urbanisation, des milliers d’autres parcelles de feuillus, pourtant propices à une riche biodiversité, sont réduites à peau de chagrin dans tous les départements d’Aquitaine.
Selon Canopée, l’Alliance Forêts Bois, plus grande coopérative forestière française, est au cœur du problème. Né dans les Landes, ce leader de la sylviculture industrielle a fondé son modèle d’activité sur les économies d’échelle, en procédant à de grandes coupes rases de pins maritimes.
« Quand la coopérative était confinée aux Landes, tout allait bien, explique Bruno Doucet, chargé de campagne à Canopée. Mais depuis qu’elle a avalé une vingtaine d’autres coopératives, l’Alliance Forêts Bois s’étend maintenant dans tout l’ouest de la France, jusqu’aux Pyrénées, et elle fait du pin maritime ou Douglas partout, en rasant les forêts de feuillus. »
La coopérative investit également en lobbying et influence dans le mauvais sens les politiques publiques, comme le démontre Canopée, études de cas à l’appui, dans un rapport sur « le bilan caché du plan de relance forestier », publié en mars 2022.
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Un étonnant consensus
Un an après la vidéo où deux membres de Canopée promènent l’effigie d’Éric Dumontet en forêt, les mentalités ont déjà évolué, et le Sysso a accepté de débattre avec l’association. Portant sur les coupes rases et les usages du bois, cette rencontre (disponible en images) a eu lieu le 10 février dernier, et s’est conclue par un étonnant consensus des écologistes et des producteurs de bois.
Dans un communiqué, le Sysso a d’ailleurs « confirmé son opposition à l’exploitation industrielle, sur le massif des Landes de Gascogne, des peuplements naturels de feuillus pour le bois-énergie suivie de la transformation systématique de ces peuplements en plantations de résineux ».
Par cette déclaration, le syndicat des propriétaires forestiers prend ses distances avec l’Alliance Forêts Bois et les autres grands acteurs de la filière qui font pourtant habituellement bloc. Comment interpréter cette évolution ?
« Le Sysso se rend compte que l’opinion publique est en train de changer vis-à-vis des coupes rases, surtout pour les feuillus, nous confie Bruno Doucet. Les petits propriétaires ont peur qu’une loi interdise toutes les coupes rases, sans distinction, et pour ne pas en arriver là, ils se retournent contre ceux qui promeuvent un modèle trop industriel. »
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Cette petite victoire en forme de dialogue ne veut pas dire que les coupes rases s’arrêteront dans les Landes de Gascogne. Les pins maritimes continueront d’y être exploités pour ce qu’ils sont aux yeux de certains : des champs d’arbres, et les propriétaires pourront encore décider de raser ou non leurs parcelles.
Malgré tout, la prise de position d’un syndicat aussi important en faveur du respect d’un territoire mortifié par les coupes rases a une valeur hautement symbolique.
« Ça ne veut pas dire que c’est fini, résume Bruno Doucet, mais plutôt que les échanges entre écologistes et producteurs de bois sont possibles, et que des acteurs majeurs du secteur peuvent évoluer positivement. »