C’est une bataille épique qui restera dans les annales. Samedi 12 janvier, des dizaines de milliers de personnes ont affronté les forces de l’ordre pour sauver Lützerath, le dernier village allemand qui résistait à l’agrandissement de la mine de charbon de Garzweiler appartenant à l’entreprise RWE. Aujourd’hui, le village a été rasé et ses 300 occupants ont été entièrement évacués par la police. Des actions de blocage des machines minières sont prévues ce mardi tandis que la bataille continue dans les tribunaux.
Un petit village qui résistait à l’envahisseur
En Allemagne, dans un triangle entre Cologne, Aix-la-Chapelle et Düsseldorf, se trouve le hameau de Lützerath. Aux abords du village, la mine de Garzweiler a foré un trou gigantesque de 200 mètres de profondeur et 48km2 qui doit bientôt s’étendre et raser Lüttzerath. C’est pourquoi, ce samedi 14 janvier, des milliers de manifestants ont déferlé des quatre coins de l’Europe pour lutter contre le projet d’extension de cette mine de charbon.
Ils étaient 15 000 participant·es selon la police, et 35 000 pour les organisateur·rices.
« C’était annoncé depuis longtemps, il y a chaque année des manifestations d’envergure, mais là on n’avait jamais eu autant de monde. Des activistes environnementaux bien sûr, mais aussi des familles et des gens de Fridays for Future. Nous étions face à l’intégralité des effectifs de CRS de l’Allemagne, soit 6000 policiers, qui avaient bloqué le village en créant une forteresse de camions sur 2,5km.
J’étais sur la ligne de front où il y a eu des charges inouïes de la police : j’ai vu des femmes et des ados pacifiques avec des drapeaux se faire renverser et marcher dessus. D’habitude ce sont les antifas qui sont visés alors que là il y avait un cran de répression supplémentaire. On ne s’attendait pas à ça, c’était la confusion générale. Des gens choqués et en sang pleuraient, d’autres voulaient quand même passer pour rejoindre les activistes bloqués à l’intérieur du village, en même temps le fait qu’il y ait été autant de monde était ultra galvanisant émotionnellement : les gens chantaient avec beaucoup d’espoir
J’ai réalisé que l’Etat et l’industrie fossile ont besoin d’une répression hyper violente pour protéger ses actifs » témoigne Joanie Lemercier, artiste documentant régulièrement les actions depuis 4 ans, pour La Relève et La Peste
Le collectif Lützerath lebt! a déploré des dizaines de blessés, dont certains graves, dans les rangs des protestataires. Une vingtaine d’entre eux auraient été hospitalisés. De son côté, la police a déclaré que 70 de ses agents ont été blessés.
Lützerath était le dernier hameau dans le viseur de l’entreprise minière RWE qui a déjà fait évacuer et raser plus d’une vingtaine de villages dans la région pour permettre à la mine de Garzweiler de s’agrandir. Garzweiler est la plus grosse mine de charbon en Europe : 900 millions de tonnes de lignite ont déjà été extraits. Il reste 280 millions de tonnes sous Lützerath.
Les intérêts financiers face au peuple
Alors que l’Allemagne est censée réduire sa production de charbon pour respecter la limite de +1,5°C de réchauffement (nous en sommes à +1,1°C), le gouvernement a fait volte-face dans un contexte marqué par la guerre en Ukraine. Privé de gaz russe, dont le pays était fortement dépendant, le gouvernement allemand a conclu un accord avec RWE en octobre dernier, permettant à l’entreprise d’étendre cette mine gigantesque en échange de la fermeture de ses centrales à charbon en 2030, plutôt que 2038.
Cette décision a provoqué la colère des militants pour le climat. Alors que l’Allemagne prétend qu’agrandir cette mine de charbon est indispensable pour la sécurité énergétique du pays, plusieurs études scientifiques démontrent le contraire.
Cela faisait deux ans que les activistes occupaient le terrain, dans les maisons vides ou dans des cabanes dans les arbres, pour empêcher la progression des immenses machines excavatrices, faisant de Lützerath un symbole de la résistance à la production d’énergies fossiles. RWE est le plus gros émetteur de CO2 d’Europe.
L’expulsion a commencé dès le 2 janvier aux abords du village. Aujourd’hui, les deux derniers activistes qui se cachaient dans un tunnel ont décidé de sortir d’eux-mêmes pour des raisons de santé, alors que les 470 personnes qui occupaient le village avaient toutes été expulsées par la police. Le village, lui, a été entièrement rasé en seulement 4 jours.
« Ils ont démoli une vingtaine de bâtiments dont une ferme magnifique du XXVIIème siècle, un arbre incroyable de 310 ans, une tour couverte de panneaux solaires donnée par Greenpeace pour fournir les activistes en énergie qui avaient été privés d’électricité par RWE… Tout a été abattu, tout le monde est complètement sous le choc. Je m’y rendais tous les 3 mois, c’était une petite ZAD avec la vision d’un nouveau monde qu’on construit, et puis là tout d’un coup le néant. Comme les machines qui dévorent la Terre et arrivent au bout du monde dans le film l’Histoire Sans Fin. Tous les gens attachés à ce lieu tiennent aux nerfs mais c’est un gros coup dur » déplore Joanie Lemercier, artiste documentant régulièrement les actions depuis 4 ans, pour La Relève et La Peste
Pourtant, 4% du territoire n’appartient pas encore à RWE, certains propriétaires refusant de vendre : l’illégalité de la démarche est totale. Le soutien des municipalités s’explique en partie parce que certains élus sont eux-mêmes actionnaires de RWE, comme le maire d’Essen qui était également représentant des actionnaires de RWE et touche en moyenne 20 000 euros par an de l’entreprise pour ce travail.
« Toute cette histoire est basée sur une quantité de non-sens en terme de justice, on est dans une espèce de dystopie extractiviste. C’était la même chose à Hambach en 2018 : une expulsion où ils ont sorti tout le monde et 1 an et demi plus tard, les recours juridiques lancés par les ONGs ont abouti et l’expulsion a été considérée comme illégale. Mais c’était trop tard car tout avait été détruit, RWE utilise régulièrement cette technique » dénonce Joanie Lemercier, artiste documentant régulièrement les actions depuis 4 ans, pour La Relève et La Peste
Les activistes les plus actifs arrêtés à Lützerath vont rester en garde-à-vue quelques jours, leur procès devrait avoir lieu d’ici 18 mois. Des recours juridiques portées par des ONGs sont également en cours. Les activistes ne baissent pas les bras pour autant : tout une série d’actions de désobéissance est prévue pour bloquer le chantier demain.
« Malgré tout, il n’est pas trop tard pour changer de cap. En 2018, il y avait 4000 personnes, en 2019 6000, et hier 35 000. Preuve que si la répression augmente, la désobéissance civile aussi. Ça monte très fort cette envie d’échapper à la dystopie. » conclut-il plein d’espoir