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Il faut sauver nos savoirs populaires en France : «une plante qui n’est plus regardée et plus nommée, n’existe plus»

On est pas mal d’ethnobotanistes à s'insurger contre cet orgueil de la science froide, qui relève de l'imposture et de la volonté de pouvoir. Ça les gêne de savoir que le peuple a pu savoir sans eux.

Josiane Ubaud est ethnobotaniste et lexicographe en occitan. C’est l’une des invitées de la websérie PAMacée, réalisée par deux jeunes agronomes, qui donne la parole à ceux et celles qui soignent avec plantes à travers la France et le Cap-vert. Nous partageons avec leur aimable accord la retranscription de Josiane Ubaud qui nous invite à nous réapproprier des savoirs confisqués.

Dans la websérie PAMacée, des médecins et naturopathes partagent leur conception sociale de la santé, qui favorise une approche préventive et globale des soins, tandis que des habitant.e.s, herboristes et ethnobotanistes mettent en lumière la pertinence des savoirs liés aux plantes, à la fois pour la santé humaine, mais aussi pour celle des animaux d’élevage et des cultures. 

« Aux racines de la santé » 

Je suis Josiane Ubaud, lexicographe en occitan. Ayant appris la langue occitane de ma grand-mère, je me suis intéressée au nom des plantes en occitan. Au lieu d’avoir un regard qui passe, et qui ne permet pas aux plantes d’exister, j’ai voulu savoir leur nom. Comme je m’intéresse à la botanique depuis toujours, j’ai mélangé les deux. L’ethno-botanique est fondée donc sur deux mots ethno : les humains et botanique : la botanique. Donc ce n’est pas de la botanique pure, c’est de la botanique vécue par les humains. 

Les remèdes dits de “bonnes femmes” ont été péjorisés, puisqu’au départ ils signifiaient “de bonne réputation” : bona fama, à l’inverse de l’expression “mal famée”. Comme ces savoirs étaient souvent détenus par des femmes, l’oreille a entendu “de bonnes femmes”, avec le sens méprisant que nous connaissons bien nous les femmes. C’est-à-dire des remèdes de rien du tout, des remèdes de sorcières, qui ont mené certaines au bûcher. Et donc ces savoirs n’ont pas été transmis puisqu’ils ne valaient rien. 

crédit : PAMacée

Maintenant que la science en laboratoire a montré qu’au moins 90% de ces remèdes étaient efficaces, les laboratoires pharmaceutiques s’en sont emparés, avec la mode du retour à ses racines, parce que le manque est éprouvé. Et tout cela nous est revendu en gélules hors de prix. 

Il y a eu un enchaînement diabolique : “Je te dénigre, je te méprise, ce que tu es ne vaut rien. Je laisse passer un temps. C’est bien mort, ce n’est pas transmis. Je ré-analyse. Ah, ça m’intéresse. Je tiens le marché et je te le revends cher.”

Les petits maux du quotidien avaient tous une réponse. Il y avait toute une série de vermifuges et d’anti-poux, de plantes pour les gerçures lors de l’allaitement, de plantes pour la désinfection de l’appareil digestif et de l’appareil respiratoire.

Ils en parlent peu, mais on avait aussi des plantes pour avorter, et notamment la rue. Elle avait donc un usage pour les humains pour en tant qu’héménagogue, c’est-à-dire pour faire revenir les règles, régulariser les cycles. Mais, comme toute cette catégorie de plantes-là, à concentration un peu plus supérieure, elle est abortive. Ces plantes médicinales ont donc une puissance jusque dans les hormones.

crédit : PAMacée

J’ai découvert récemment qu’une marque, qui travaille à partir de la vigne et développe des produits en pharmacie, se targue d’avoir un produit anti-tâches. Nous avons ça en savoirs populaires. J’ai des textes dans lesquels une grand-mère dialogue avec sa petite fille qui se plaint d’avoir des petites taches sur le visage. La grand-mère lui dit : “Ne t’inquiète pas, je te les frotterai avec du suc de vigne”. On n’a rien inventé.

Chaque année, une plante médicinale populaire a été diabolisée. Une année, on a eu la sauge parce qu’elle imite les oestrogènes et donc si je bois trois litres de sauge d’affilée pendant deux mois, trois mois, cancer du sein, etc. Mais qui boit trois litres de sauge ?

Après, on a eu l’olivier : une plante traditionnelle contre l’hypertension. “Si la concentration …” Nos ancêtres se sont toujours soignés à l’olivier. Que je sache, il n’y a jamais eu de mort, parce qu’ils savaient la durée de la cure et la concentration de la tisane. Comme on dit « c’est la dose qui fait le poison » Paracelse 16ème siècle. Mais non, diabolisons la feuille d’olivier. Il y a une volonté de dominer par son savoir et donc d’écraser les savoirs populaires.

On est pas mal d’ethnobotanistes à s’insurger contre cet orgueil de la science froide, qui relève de l’imposture et de la volonté de pouvoir. Ça les gêne de savoir que le peuple a pu savoir sans eux. 

Lire aussi : Mobilisation nationale pour un retour légal des métiers d’herboristes

C’est tragique ça, quelqu’un qui ne tient que par son pouvoir. Oui, il faut admettre que tu n’es pas le seul à savoir et qu’il y a des savoirs différents, selon les usages, selon le regard. Le savoir d’un berger n’est pas le savoir d’un chasseur, qui n’est pas le savoir d’un vigneron, etc. Il faut l’admettre. Ce qui est assez tragique, c’est d’être obligé à le formuler. Mais c’est une évidence ! Tu n’as pas le monopole du savoir et les savoirs populaires sont aussi opératoires que les tiens. Pour faire admettre ça… vous passez pour une hérétique.

Il y a encore un énorme savoir populaire sur les plantes médicinales. Je relève des usages que je n’ai jamais vus écrit nulle part. Il y a un risque de perte de trésor, de bibliothèques qui brûlent. Chaque rencontre est donc une rencontre extraordinaire d’échange de savoirs.  

Et quand j’ai fini, je retombe à chaque fois dans une espèce de malaise en me disant : « Combien de gens comme cette personne que je viens rencontrer ont des connaissances qui ne se seront jamais récoltées ? » Et ça, ça me crée de la douleur.

crédit : PAMacée

Si on avait su prendre ce qui avait d’excellent chez les anciens, on n’en serait peut-être pas ce constat dramatique de maintenant. Il y a beaucoup d’orgueil à se croire seul détenteur de la science pour gérer l’environnement. On n’a rien voulu savoir de ce que savait nos anciens.

Il y a urgence à reconnaître la pertinence de ces savoirs parce qu’eux, ils peuvent nous sauver. Les retours aux engrais verts, je dis bien retour et non pas l’invention. Le retour aux plantes que l’on saurait cueillir soi-même, au moins les plantes de la cuisine. Ce retour de l’homme vers la nature doit permettre une réinjection de ces savoirs.

C’est vrai que je suis assez contente de voir que dans mes conférences, il n’y a pas que des vieux, il y a des jeunes. Ça fait plaisir de voir qu’il y a une classe d’âge qui se dit que ça serait bon pour elle de revenir à des liens avec dame nature et non pas d’être un étranger dans la nature.

« Savoirs de la terre » 

C’est impossible de classer dans une seule catégorie les plantes médicinales. La limite est extrêmement floue entre le statut alimentaire et médicinal. Les labiées par exemple, c’est une famille botanique très riche chez nous, bien connue pour assaisonner la cuisine méditerranéenne. Les plantes de cette famille sont à la fois gustatives mais en même temps elles aident à la digestion.

Il est très rare qu’une plante médicinale n’ait qu’un usage, elle est multicartes. 

Toutes les sociétés se sont bâties sur des rituels. Une société qui n’a plus de rituel est une société qui s’effrite et je dirai même qui s’effondre. Un rituel par définition doit être réactivé chaque année. L’espiguet de Sant Roc est un petit bouquet en forme de croix de lavande aspic, dont le pouvoir désinfectant est reconnu depuis toujours. La tradition voulait d’aller cueillir au pic Saint Loup, l’espiguet de Sant Roc roc, le bouquet sacré de lavande aspic pour le suspendre dans les maisons contre les maléfices, contre les maladies, contre les aléas de la fortune.

La tradition veut qu’à la fin du carême, on recommence à manger des œufs. C’est la période, à la fin de l’hiver, de la récolte maximale des salades sauvages. Le rituel voulait qu’on aille en famille, ou entre voisins, dans un lieu précis pas loin d’un village, déguster, entre autres, l’omelette aux herbes sauvages, ce qu’on appelle la “Pascale”. 

Cette pratique associe les salades, parce que nous sommes en mars et que le jardin potager n’a pas commencé à fournir, donc on va puiser dans la nature ce qu’on n’a pas encore chez soi, avec les propriétés médicinales de toutes les plaintes amères, qu’elles soient les salades ou les tisanes.

Il y avait cette sensation qu’il fallait dépurer le corps après l’hiver, parce que nous n’avions pas consommé de légumes verts pendant l’hiver, mais des pommes de terre, haricot sec, lentilles, du porc … Cela demandait effectivement d’être dépuré ! Cela institue un rituel de récolte des salades, qui génère une connaissance de ces salades, connaissance sur la nature, convivialité, et dates jalonnant l’année qui permet à l’humain, à tous les humains du monde, de se raccrocher. Voilà ça c’est l’exemple parfait d’un tout culturel.

Lire aussi : Plantes médicinales : cueillir, c’est résister face au monopole pharmaceutique

Tout a été décrit par les savoirs populaires. La forme “opposées décussées”, en botanique c’est très savant. Ce sont des rameaux latéraux qui se présentent opposés, et le rang suivant, tourné à 90°, “décussés”. Vu du dessus, cela forme une croix, et en occitan on l’appelle “l’herba cruzada”, “l’herbe croisée”. On voit bien un regard scientifique qui est nommé de manière populaire. 

Il faut voir cet attachement à la cueillette ici, en Occitan, qui peut paraître étrange à des yeux externes, en disant “Mais qu’est ce que c’est ces gens-là ? Ils sont paléolithiques ?” Oui, on est paléolithique dans le sens attachement en territoire. Aller cueillir, c’est connaître les plantes, la saison, le biotope. Combien y a-t-il de citadins qui ne connaissent aucune de ces trois données ? La cueillette chez nous est fondamentale.

Une plante qui n’est plus regardée et plus nommée, n’existe plus. 

Une restinclière, une étendue de pistachiers lentisques qui brûle et disparaît, les gens qui la nomment ont perdu quelque chose de vivant. Si elle n’est pas nommée, un rien, qu’est ce que ça peut faire qu’on le perde puisqu’à nos yeux c’était rien.           

J’ai enquêté auprès d’un berger, certainement illettré. Il me disait : “ça c’est tel nom, tel nom, etc ». Et il en cherchait une, de plante. Il l’avait utilisée pour guérir une polyarthrite. C’était l’achillée mille feuilles, qui est réputée contre les coups chez nous, et les entailles, mais je ne connaissais pas son effet sur la polyarthrite. Et il tourne, il tourne, il arrive à peine à marcher. Puis il me dit “c’est que je ne voudrais pas lui marcher dessus parce qu’elle m’a sauvé la vie”. C’est une espèce d’animisme. On n’a pas ce rapport avec la gélule achetée.

crédit : PAMacée

On s’aperçoit petit à petit que notre pays nous a été volé comme on nous a volé notre langue et volé notre culture. Nous avons été qualifiés de patois et non de langue, de remède de sorcières et non de remèdes possibles par les plantes.

Cette imposture a fait que les derniers héritiers totaux de cette masse de culture ont tellement été lessivés du cerveau que ce qu’ils savaient ne valait rien, qu’ils ne l’ont pas transmis. Nous sommes arrivés à ce que certains philosophes appellent une catastrophe anthropologique. Et c’est ce sentiment de rage qui m’a donné envie de creuser mon patrimoine à moi culturel.

Autrefois les gens avaient une connaissance totale de leur environnement, ils en faisaient partie intégrante. Là maintenant, il y a eu un hiatus, c’est considérable, un fossé, un abîme entre l’homme et la nature. Avec la question qu’on se pose : mais si je ne connais pas mon environnement, si je ne connais rien, est-ce que moi j’existe ? C’est un véritable questionnement philosophique. »

Pour en savoir plus, vous pouvez voir la web-série PAMacée

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