Après 7 années de travail, Pierre Argelès a ouvert les portes du premier musée du Fruit de Nouvelle-Aquitaine, à Cagnotte. Conçu sur des principes inspirés de la permaculture et de l’agroforesterie, ce jardin botanique de 2ha comprend plusieurs centaines de variétés de fruits rares, anciens et de nouvelles cultures. Véritable laboratoire d’expérimentation sur l’adaptation des espèces au dérèglement climatique, il propose aux visiteurs une immersion unique pour leur partager l’envie de préserver ce patrimoine vivant.
Un système résilient havre de biodiversité
Issu d’une famille d’agriculteurs locaux, Pierre Argelès, âgé de 34 ans, est un exemple de résilience à lui seul. C’est un accident de moto en 2006, percuté par une voiture ayant grillé une priorité, qui a changé sa vie et mené à la création du Musée du Fruit. Après avoir développé au maximum son autonomie physique, il est passé à l’alimentation, l’électricité puis l’eau.
« Au fur et à mesure j’ai avancé comme ça, chez moi. Des gens de passage ont aimé la démarche, et j’ai structuré le projet plus rigoureusement jusqu’à ouvrir le Musée du Fruit en mai 2022. Nous ne sommes pas une pépinière mais un lieu d’écotourisme par visite avec audioguides : c’est d’abord un lieu de culture générale avant d’être un lieu de culture fruitière. On veut être une vitrine du vivant pour les gens et leur faire découvrir de nouvelles cultures » explique Pierre pour La Relève et La Peste
Démarré en 2015, Pierre est parti de zéro : tout le Musée est situé sur une grande colline exposée au Sud qu’il a dû terrasser. Chaque année, il a aménagé un nouveau plateau pour un nouveau verger avec une équipe de bénévoles et sa famille.
Au total, il y a 12 vergers pour les 12 mois de l’année qui sont organisés en fonction des récoltes. Plus les arbres sont prêts de la maison, plus ce sont des variétés contraignantes (le pêcher, l’orangeraie, les cultures maraîchères). Plus ils sont loin, plus ils sont résilients (pistachiers, châtaigniers, pécan).
« Je voulais être avant-gardiste au niveau de la maintenance et de la mise en place, pour finir par être quasiment capables de se passer de besoins pétroliers. On a 9kWh de panneaux solaires qui assurent l’autonomie électrique du site, tout l’outillage est électrique ou manuel. Toutes les eaux de source, de toiture et du parking qui ruissellent, sont captées et stockées dans des citernes sous-terraines. Les pompes sont elles aussi alimentées par énergie solaire : l’irrigation correspond au moment où on a le plus de soleil. Chaque verger a son bassin qui sont montés en série les uns par rapport aux autres et finissent leurs courses dans la citerne qui pompe l’eau et la redistribue en goutte à goutte dans les vergers » détaille Pierre pour La Relève et La Peste
Les bassins permettent également de favoriser au maximum la biodiversité. Un ballet d’hirondelles juste au-dessus des vergers témoigne de la vie foisonnante du lieu. Alors que les vergers ont subi des attaques de pucerons durant les premières années, les prédateurs naturels se sont eux-mêmes occupés de résoudre ce problème.
« Si j’ai plus de têtards, j’ai moins de moustiques ; si j’ai plus de libellules, j’ai moins de papillons et moins de chenilles et donc moins de dégâts dans les vergers. Cela a été impressionnant d’observer comment la présence d’un bassin au milieu de chaque verger a vraiment équilibré les prédateurs et les parasites, je ne m’attendais pas à autant de résultats. On a même une grosse population de lézards, notamment le lézard vert européen qui est une espèce protégée, non seulement il est présent mais ici il se reproduit ! » s’enthousiasme Pierre
En déambulant dans les vergers, les centaines d’espèces se déploient au fil des saisons sous les yeux des visiteurs : pêchers, figuiers, néfliers, pommiers, poiriers, cerisiers, kakis, noisetiers, érables ou encore agrumes dont l’une des variétés est surprenamment la plus locale de toute, le pamplemoussier de Cagnotte !
« C’est une histoire incroyable : le pamplemoussier de Cagnotte a été créé par notre voisin, à 400m au-dessus de nous. Dans les années 70, son enfant a eu pour devoir de faire germer un haricot pour l’école mais eux trouvaient ça trop facile. Alors ils ont fait un pépin de pamplemousse qui a germé, l’ont mis dans un pot de yaourt, puis dans des pots de plus en plus gros. Jusqu’au jour où, ayant marre de sortir le pot chaque été, il a découpé la terrasse et planté contre la maison le pamplemoussier. Aujourd’hui, son fils a 45 ans et l’arbre est bien plus grand que lui. Il donne 400 pamplemousses par an, on l’a bouturé pour le replanter » raconte Pierre dans un sourire pour La Relève et La Peste
L’adaptation au changement climatique
Les arbres proviennent à 80% du Conservatoire Régional Végétal d’Aquitaine qui a fermé en 2020, le travail de Pierre permet donc de perpétuer la conservation d’espèces locales. Les autres sont issus de cultivars de collectionneurs. Sur les arbres en place, en ce mois de septembre, on peut voir de nombreuses bâches à leur pied. Un choix délibéré que Pierre justifie :
« Les bâches qu’on utilise sont des déchets agricoles, des bâches d’ensilage qui auraient dû partir en déchèterie, une matière disponible et gratuite. Surtout, au niveau des cultures, la bâche agit comme un désherbant, elle appauvrit les indésirables en leur occultant la lumière sans intervention humaine et sans produits chimiques.
Elle va faire transpirer le sol dessous, l’eau remonte et reste bloquée en surface et retombe, ces échanges augmentent les taux d’humidité dans les premiers centimètres du substrat et la vie du sol remonte (vers, cloportes, microbes) ce qui donne un humus très riche. »
Les bâches sont posées en mai et enlevées en septembre, date à laquelle Pierre ressème un couvert végétal (trèfles nains, luzernes, phacélies) qui restera en place de septembre à mai. Avec un sol argileux « type béton armé », le couvert végétal améliore la structure du sol en le décompactant et sert à la biodiversité grâce aux fleurs mellifères. Il deviendra un activateur de compost une fois sous bâche.
« Lorsqu’il pleut, les poches d’eau vont aller directement à l’endroit où la plante pousse, donc on concentre les apports hydriques directement sur les trous des arbres ce qui limite les besoins d’irrigation. L’étanchéité d’une bâche permet de limiter l’évaporation des sols contrairement à la paille qui n’est pas efficace en cas de canicule à 45°C pour 15 jours »
L’adaptation au changement climatique est au cœur du projet de Pierre. Cette année a été particulièrement intense entre les gelées hivernales tardives et un été caniculaire ayant fait des ravages parmi certains arbustes. Pour s’adapter au changement climatique, Pierre ne mise pas que sur les variétés anciennes mais aussi sur des cultures plus marginales : des pistachiers issus de Grèce, ou des pacaniers qui ont besoin de sécheresse pour fructifier.
« On a eu la surprise de ramasser les premières pistaches cette année. Ce n’est pas forcément un bioindicateur positif, si cela pousse ici il y a un gros souci car Cagnotte a des latitudes très différentes par rapport à la Californie. Dans les déconvenues, ce sont des variétés anciennes qui n’ont pas du tout supporté ces variations extrêmes de température, du patrimoine végétal qu’on ne pourra pas sauver ici et qu’il faut tester dans d’autres latitudes comme des pêchers et poiriers »
Un constat observé dans l’hectare de forêt qui fait partie du musée. Même l’ail des ours a grillé à cause des deux mois sans eau. Le dérèglement climatique amène son cortège de parasites et champignons qui s’attaquent aux vieux arbres, dont certains meurent d’un coup. Les châtaigniers sont parmi les plus fragiles. Les travaux de Pierre sont donc cruciaux pour pérenniser les cultures fruitières au cours des prochaines années.
Le prochain chantier du Musée du Fruit sera un verger de pommier/poiriers en structure sous filet pour les protéger des insectes et des mouches. Il sera mis en place lors d’un chantier participatif avec le lycée agricole voisin.
Les animaux sont également présents un peu partout. La chèvre est la débroussailleuse naturelle pour les zones ou ne sont possibles ni cultures ni intervention humaine. Leur litière sert de paillage et d’amendement pour les cultures intermédiaires. Même chose pour les poules.
« On garde une stratégie résiliente, c’est un lieu d’expérimentation on veut tout tester et tout planter pour voir ce qui fonctionne. Le mot d’ordre de notre génération devrait être l’adaptation, c’est tout. Il n’y a que ça à faire, c’est ce qu’on a fait depuis la nuit des temps et c’est ce qu’on va devoir faire dans les prochaines décennies » conclut Pierre doctement
Crédit photo couv : Evelyne Leterme, fondatrice du CRVA à droite, et Pierre au milieu – Musée du Fruit