Depuis quelques étés, ça recommence. Les microalgues toxiques se répandent partout en France, de la Manche à la Méditerranée. Elles sont nocives pour les coquillages, les poissons et les écosystèmes marins, ainsi que les baigneurs, pêcheurs et consommateurs d’animaux de la mer. En cause : le réchauffement climatique, mais aussi les rejets d’azote dans la mer, causés par les activités humaines. Le collectif Vague Toxique pointe du doigt l’agriculture industrielle et la vétusté de certaines stations d’épuration.
De nos jours, plus de 5000 espèces de microalgues (qui composent le phytoplancton) sont identifiées à l’échelle mondiale. Si ces algues constituent la base de la chaîne alimentaire de l’océan et ont même fabriqué une part importante de l’oxygène que nous respirons aujourd’hui, 175 d’entre elles produisent des substances toxiques pour la biodiversité marine et les humains lors de phénomènes appelés « efflorescences » ou « blooms ».
Ces efflorescences peuvent consommer tout l’oxygène d’une zone maritime et colorent les eaux en rouge, orange ou vert, selon les espèces. Elles sont causées par un mélange de plusieurs facteurs : température et salinité de l’eau, disponibilité de la lumière et augmentation de la quantité de nutriments (azote, phosphore et silice) dans l’eau due aux activités humaines (rejets urbains, agricoles, industriels de phosphates et de nitrates) et/ou à des épisodes météorologiques.
Ainsi, en 2010 la tempête Xinthia avait charrié de grandes quantités de sels nutritifs dans l’eau, permettant à la microalgue toxique Pseudo-nitzschia de proliférer. L’ingestion de coquillages contaminés par cette algue ont provoqué des diarrhées, vomissements, et même des symptômes neurologiques : céphalées, confusion, désorientation, etc. Pendant deux ans, la pêche à la coquille Saint Jacques avait ainsi été interdite pour raisons sanitaires.
Depuis le début de l’été, certaines plages et zones de conchyliculture ont ainsi dû être fermées à cause de ces microalgues toxiques aux effets différents : troubles similaires à la gastro-entérite (algues Dinophysis), ou troubles neurologiques parfois graves (algues Alexandrium, Pseudo-nitzshia). La ciguatera, une intoxication alimentaire bien connue pour ses troubles digestifs, neurologiques ou cardiovasculaires, est causée par la microalgue nuisible (Gambierdiscus).
Deux d’entre elles sont particulièrement surveillées par les autorités. Dinophysis se transmet à l’humain par la consommation des coquillages qui broutent cette algue, et notamment la moule. Tandis qu’Oestropsis, qui ravage les côtes méditerranéennes et atlantiques depuis plusieurs années, peut affecter les humains au contact direct dans l’eau ou sur la plage par voie aérienne.
Sur la côte basque, un collectif de citoyens et médecins regroupés sous le nom de « Vague Toxique » fait un recensement régulier des types d’infection qui reviennent : gastro-entestinale, génito-urinaires, cutanées, brûlures ORL.
« On met un questionnaire en ligne pour que les gens renseignent leurs symptômes. Ils se traitent souvent avec de l’auto-médication, ce qui fait que l’Agence Régionale de Santé sous-estime complètement l’ampleur du phénomène. On a pu suivre le pic d’Ostréopsis grâce à cette méthode l’an dernier » explique Sylvie Peres Pierron, dermatologue à Biarritz, membre du Cade et co-fondatrice de Vague Toxique, pour La Relève et La Peste
Pour les membres du collectif Vague Toxique, la fermeture temporaire des plages et le recours à la douche ne sont que des mesures individuelles restrictives qui omettent la mise en place d’actions préventives de la collectivité.
« Nous dénonçons trois facteurs : industriels, agricoles et les rejets humains. Au Pays Basque, le panache de l’Adour draine vers l’Océan la chimie provenant d’industries près du fleuve, et les engrais d’azotes de la maïsiculture. La densification estivale de la population sans adapter et faire croître les stations d’épurations est aussi un facteur aggravant » pointe Sylvie Peres Pierron, dermatologue à Biarritz, membre du Cade et co-fondatrice de Vague Toxique, pour La Relève et La Peste
De fait, ce constat est bien connu des scientifiques. En 2017, les chercheurs de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) ont prélevé des carottes de sédiments de plusieurs mètres de longueur dans la rade de Brest puis ont analysé l’ADN préservé dans ces sédiments pour déterminer à quels organismes il appartient.
Dans ces sédiments, les chercheurs ont découvert une augmentation de l’abondance de micro-algues toxiques, comme le dinoflagellé Alexandrium minutum qui produit des toxines paralysantes à partir des années 1980. En cause : une pollution chronique avec des contaminants issus de l’agriculture industrielle
« Au cours du temps, le plancton n’a pas retrouvé la composition qui était la sienne au Moyen-Age, ce qui démontre l’irréversibilité des changements observés après l’effet cumulatif des pollutions de la guerre et de l’agriculture », précise l’étude publiée dans la revue scientifique américaine Current Biology.
Aujourd’hui, l’IFREMER continue ses recherches sur les microalgues toxiques grâce au réseau Réphy (pour réseau du phytoplancton) et a mis en place le programme de sciences participatives Phenomer pour que les citoyens puissent aider à mieux les détecter.
« En tant que baigneurs on est impactés par Ostréopsis mais d’autres algues comme le liga impactent énormément les pêcheurs. Depuis 20 ans, ils mettent en avant les rejets humains et notamment le rôle des nitrates dans sa prolifération. En France, nous en sommes encore à financer des études pour savoir ce qu’il faut faire alors que d’autres pays ont déjà la solution. Il est temps de regarder objectivement le problème de l’agriculture industrielle et des stations d’épuration » pointe Sylvie Peres Pierron, dermatologue à Biarritz, membre du Cade et co-fondatrice de Vague Toxique, pour La Relève et La Peste
La Suisse, par exemple, va équiper une partie de ses stations de traitements pour renforcer le niveau d’épuration et agir sur les micropolluants. De même, pour l’Allemagne qui a budgétisé un investissement de 1,2 milliard d’euros. L’Espagne recycle 15% de ses eaux usées à des fins industrielles et agricoles tandis que le taux dépasse les 90% en Israël pour économiser l’eau.
Dans ce domaine, la France est un mauvais élève avec moins d’1% de ses eaux usées réutilisées.
Parmi les mesures préconisées par le collectif : séparer le réseau d’eau pluvial du réseau d’eau usée, choisir des produits ménagers écologiques (savon saponification à froid, huiles végétales bio), garder l’eau sur les parcelles domestiques en faisant des cuves de rétention pour laver le linge et arroser.
« Quant aux collectivités, elles doivent gérer 70% du problème par des politiques qui favorisent l’essor de l’agriculture bio, et le renforcement des stations d’épuration pour qu’elles soient plus performantes » énumère Sylvie Peres Pierron
Pour le collectif, l’enjeu est de taille : l’estuaire de l’Adour fait partie des zones mortes qui ont décuplé depuis 1950. L’idée est d’empêcher que d’autres zones maritimes finissent elles aussi asphyxiées par les microalgues toxiques.
Crédit photo couv : Sylvain BALLU, Centre d’études et de valorisation des algues