Signé incognito juste avant le premier tour de l’élection présidentielle, le contrat entre l’État et SNCF Réseau, censé assurer l’entretien du réseau ferroviaire, a jeté le feu aux poudres, à tel point que des adversaires historiques s’allient pour dénoncer le scandale. Cheminots, syndicats, sénateurs, l’Autorité de Régulation des Transports (ART) et même les dirigeants de la SNCF sont unanimes : avec un sous-investissement annuel d’1 milliard d’euros pour la période 2021 – 2030, l’État français risque de supprimer définitivement les petites lignes ferroviaires, des milliers d’emplois et augmenter encore plus les prix des billets de train.
Les contrats État Réseau et Gares & Connexions structurent les liens entre l’État, propriétaire du réseau et des gares, et SNCF-Réseau et G&C, gestionnaires pour l’État de ces réseau et gares. Intitulé « développer l’usage du train », le dernier contrat de performance pour la période 2021-2030 avait été vertement critiqué pour son manque d’ambition.
En cause : « ce plan prévoit un investissement de 2,9 milliards par an afin de régénérer le rail, alors que l’ART et la Cour des comptes estiment qu’il faudrait a minima 3,5 milliards par an. Au final, ce sous-investissement ne permettra pas d’abaisser l’âge moyen de l’infrastructure, mais, pire, le réseau continuera son vieillissement (26.3 ans en 2019 à 28,4 prévu en 2030) » explique le Syndicat Sud-Rail dans un communiqué
De surcroît, la hausse exorbitante du coût des matières premières n’est pas prévue dans le budget de ce « contrat de performance ». Sans même parler de renouvellement des voies ferrées, leur simple entretien s’annonce donc compliqué. C’est l’avis de l’Autorité de régulation des transports, l’organisme chargé de faire le gendarme sur ce marché, qui prévenait déjà en février 2022 :
« Si le principe d’un assainissement de la situation financière du gestionnaire d’infrastructure ne fait pas débat après la reprise, par l’État, de 35 milliards d’euros de dette (…),le risque est d’entraîner SNCF Réseau dans une spirale de paupérisation industrielle où le sous-investissement conduirait à une dégradation du réseau, qui entraînerait à son tour une attrition du trafic et des ressources du gestionnaire d’infrastructure.
Même son de cloche chez les sénateurs ayant mené une commission d’enquête sur le sujet. Dès janvier 2022, ils accusaient le contrat réseau de ne pas permettre d’atteindre l’objectif de doublement de la part modale du fret ferroviaire d’ici 2030 (de 9 à 18%), pointant ainsi un « décalage » entre les discours gouvernementaux et les moyens réellement alloués au ferroviaire.
Pour le président de la commission sénatoriale, Jean-François Longeot, « c’est un aveu d’échec pour le transport ferroviaire que nous ne pouvons pas accepter. »
Ce contrat prévoit une augmentation des péages ferroviaires de 30 %, alors qu’ils sont déjà les plus chers d’Europe, creusant un peu plus l’écart entre la compétitivité de la route (moins chère) et celle du rail. Et qui va payer la facture de ce sous-investissement ?
« Cela va se traduire par une majoration minimum de 3,6 % par an du prix des sillons, donc une contribution toujours plus importante des opérateurs, les obligeant à augmenter les prix des billets, à supprimer les trains non rentables (souvent les trains de continuité territoriale) » prévient le Syndicat Sud-Rail
En plus des petites lignes ferroviaires, des milliers d’emplois cheminots sont également menacés. Face à la polémique, la finalisation et la signature du contrat avaient pris deux ans de retard, à tel point que tout le monde croyait qu’elle serait reportée après les élections présidentielles. La stupéfaction a donc été immense lorsque les organismes ont découvert qu’il a été signé en pleine période de réserve électorale, pile avant le premier tour des présidentielles, justifiant habilement que cela n’ait pas fait l’objet d’une communication officielle par le gouvernement.
Pourtant, de l’argent public pour le train, il y en a. En juillet 2021, le président Emmanuel annonçait la construction de quatre nouvelles lignes à grande vitesse entre Bordeaux, Toulouse et Biarritz, Perpignan et Montpellier, Nice et Marseille pour un montant total de 25 milliards d’euros.
Or, ces projets sont particulièrement décriés par les populations locales vivant sur leur tracé, qui ne veulent pas que leurs petites gares ferment « pour voir passer les TGV », permettant un gain de temps très relatif aux métropolitains. Un constat partagé par l’Union Européenne qui vient de refuser de financer l’une des « LGV françaises en devenir » la plus controversée : le Grand Projet ferroviaire du Sud-Ouest (GPSO) dont nous vous parlions dans cette enquête.
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Karima Delli, présidente de la Commission transports au Parlement européen, a ainsi déclaré : « Nous n’avons pas retenu le projet de nouvelle ligne à grande vitesse GPSO. Il nous a semblé que des alternatives, fondées sur les lignes existantes, permettraient de diminuer fortement l’empreinte environnementale du projet et seraient plus utiles à la mobilité quotidienne des habitants. »
Les français sont-ils condamnés au « tout-bagnole » ? La bataille pour le ferroviaire est loin d’être finie. L’émoi provoqué par ce contrat de performance État – SNCF est tel qu’entreprises privées du ferroviaire, syndicats et associations d’usagers unissent à présent leurs forces pour faire fléchir le gouvernement. Les débats au sein de la nouvelle Assemblée Nationale s’annoncent tumultueux.
Crédit photo couv : Photo Claude TRUONG-NGOC
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