Pour de nombreux électeurs, le scrutin du 24 avril prochain s’est transformé en dilemme insoutenable : la peste ou le choléra. Entre la casse sociale et le racisme, entre l’ultralibéralisme et le repli national, que choisir ? Le barrage républicain n’est pas aussi évident qu’en 2017.
Après un quinquennat de répression, d’inégalités, de scandales, de ministres corrompus ou autoritaires, Emmanuel Macron n’est plus le candidat du progrès. C’est le représentant de la violence sous toutes ses formes. Face à lui, la présidente de l’ex-Front national, Marine Le Pen, jouit d’un avantage non négligeable : elle n’a jamais gouverné le pays.
Pourquoi dès lors ne pas lui donner sa chance, la laisser faire ses preuves ? se disent beaucoup de citoyens, dépités d’être pris une seconde fois en otage. Pourtant, rien n’est moins vrai.
Depuis que Marine Le Pen en a pris la tête, il y a onze ans, le Rassemblement national (RN) a montré plus d’une fois ce dont il est capable.
À l’Assemblée nationale, Marine Le Pen et son parti ont brillé par leur absentéisme et leur manque d’engagement : hormis quelques propositions de loi cosignées sur des thèmes de sécurité et d’immigration, la présidente du RN s’est la plupart du temps abstenue de voter, d’intervenir, de siéger, voire de soutenir les amendements qu’elle avait proposés.
Au Parlement européen, en revanche, les députés d’extrême-droite, plus actifs, ont eu l’occasion de s’exprimer sur des centaines de lois, de voter pour ou contre des milliers d’amendements. Possédant la majorité dans une quinzaine de villes, les maires RN ont également eu le temps de révéler la véritable nature de leur parti.
La conclusion est sans appel : Marine Le Pen n’a certes pas gouverné, mais elle n’est pas la nouvelle arrivante en politique en laquelle certains voudraient croire. Dans la droite ligne de son père, la présidente du RN cumule en réalité tous les désavantages de l’ultralibéralisme et de l’extrême droite. Son élection reviendrait donc à ajouter du Le Pen à du Macron. La preuve en quelques exemples clefs.
Au Parlement européen
Jusqu’à ce que quatre d’entre eux fassent défection pour rejoindre Éric Zemmour, le RN possédait vingt-trois députés européens à Strasbourg. Au cours de leur mandat actuel, soit depuis 2019, ces élus « dédiabolisés » n’ont cessé de voter contre les droits des femmes, les avancées sociales, la protection de la biodiversité et de l’environnement ou les dérives économiques.
En janvier 2020, le RN s’est par exemple opposé à une résolution du Parlement européen invitant les États membres « à prendre des mesures efficaces pour promouvoir l’égalité » salariale entre les hommes et les femmes, notamment dans les domaines où celles-ci sont sous-représentées.
À la fin de la même année, les députés français d’extrême-droite n’ont pas non plus condamné la nouvelle réglementation polonaise entérinant la quasi-illégalité de l’avortement dans ce pays d’Europe de l’Est.
Sans surprise, le parti de Marine Le Pen a aussi voté contre le verdissement de la prochaine Politique agricole commune (2023-2027), contre une proposition d’exclure les élevages intensifs des aides directes versées par l’Union européenne et contre « l’ensemble du texte européen “De la ferme à la table” », qui avait « pour objectif 25 % de bio sur la surface cultivée du continent dans les huit prochaines années », indique Mediapart.
D’une certaine manière, tous ces votes tendent à montrer comment la famille politique de Marine Le Pen gouvernerait, si elle entrait à l’Élysée. Les quelques bénéfices d’un Emmanuel Macron de droite, mais se voulant « en même temps » progressiste disparaîtraient du jour au lendemain.
À la place, nous entrerions dans un régime qui refuserait, comme les eurodéputés du RN en septembre 2020, de condamner l’empoisonnement d’Alexeï Navalny – seul opposant réel à la dictature de Vladimir Poutine – et qui ne soutiendrait plus, entre autres positions notables, « l’indépendance, la souveraineté et l’intégrité territoriale » de l’Ukraine face à la Russie.
Dans les villes
Depuis les élections municipales de 2020, une quinzaine de communes sont dirigées par des maires d’extrême droite. Parmi elles, Perpignan (Pyrénées-Orientales, la seule comptant plus de 100 000 habitants), Fréjus (Var), Bruay-La-Buissière (Pas-de-Calais), Moissac (Tarn-et-Garonne), Villers-Cotterêts (Aisne) ou encore Le Pontet (Vaucluse).
D’autres villes comme Mantes-la-Ville (Yvelines) et Le Luc (Var), conquises en 2014, ont été perdues en 2020.
Dans toutes les municipalités où le RN a obtenu une majorité, le constat est le même : à des discours proches du peuple pendant la campagne ont succédé des mesures libérales et antisociales.
Au Pontet, en 2014, le conseil à dominante Front national a par exemple voté la fin de la gratuité de la cantine scolaire pour les enfants des familles démunies, afin d’économiser 30 000 euros sur un budget municipal de 50 millions.
À Villers-Cotterêts, « la baisse des impôts locaux s’est traduite par une augmentation du tarif des cantines et des centres de loisirs pour les familles modestes, ou la fin de la gratuité des ateliers de la médiathèque », souligne l’association intersyndicale VISA, qui a réalisé un dossier sur les villes d’extrême-droite en 2020.
Même son de cloche à Cogolin (Var), Fréjus, Béziers (Hérault) et Beaucaire (Gard), où le budget des écoles et les subventions socio-éducatives ont été diminués, et le prix des repas en cantine augmentés.
Fin 2016, le maire (RN) de Hayange, en Moselle, a coupé le gaz et l’électricité au Secours populaire, qu’il voulait expulser de locaux municipaux occupés légalement depuis 2005.
« La mairie reprochait à l’association son caractère “politisé et promigrants”, explique le journal Basta, alors qu’elle vient en aide aux nécessiteux sans distinction d’origine. »
Bien que le courant ait été rétabli sur injonction du tribunal, un an plus tard, cet épisode démontre bien la manière dont le Rassemblement national gouverne et prévoit de gouverner. Si le projet de la droite française consiste à entraver ou pulvériser la plupart des avancées sociales, quel pourra donc être celui de l’extrême droite ?
Que ce soit les votes de ses députés au Parlement européen, le comportement de ses maires ou les exemples de ses homologues dans les autres pays d’Europe, tout indique que le Rassemblement national gouvernerait de façon violente, raciste, antisociale et antidémocratique. Y est-on préparé ?