Le gouvernement vient de clôturer les Assises de la Forêt et du bois qui ont abouti à 300 propositions, notamment pour accompagner les forêts au changement climatique. Si les associations environnementales saluent quelques avancées, une revendication citoyenne majeure reste largement oubliée : la fin des coupes rases, qui représentent actuellement 87% des projets forestiers financés par l’État via le plan de relance. Vent debout contre cette pratique, le mouvement populaire répondant à l’Appel pour des Forêts Vivantes se dissémine dans toute la France pour lutter contre l’industrialisation de la forêt française.
La malforestation à la française
Les forêts françaises sont aujourd’hui en crise. Alors qu’elles couvrent un tiers du territoire national, elle se dégradent de plus en plus. Depuis 20 ans, la mortalité des peuplements forestiers s’aggrave et leur productivité globale diminue. C’est pourquoi le volet forêt du plan de relance français prévoit de planter 50 millions d’arbres en deux ans et adapter les forêts aux changements climatiques.
Seulement, le réchauffement climatique n’est pas le seul responsable de son dépérissement. Pour de nombreux acteurs de la filière et des associations environnementales, la forêt française souffre surtout de malforestation : les forêts anciennes et diverses sont remplacées par des monocultures.
« On dénonce l’intensification de l’industrialisation des forêts françaises depuis dix ans. Christian Delaballe, premier directeur général de l’ONF, disait déjà qu’il fallait créer une obsession de la productivité dans les années 70. Et depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, on a planté plus de 2 millions d’hectares de résineux. Cette intensification passe par le fait qu’il y ait de moins en moins de garde-forestiers à cause du démantèlement de l’ONF. On pousse l’institution à couper de plus en plus et résultat, les forêts deviennent des usines à bois. » explique Gaspard d’Allens, auteur du livre « Main Basse sur nos forêts », pour La Relève et La Peste
Cette industrialisation de la forêt française se traduit par la création d’énormes usines à biomasse pour faire de l’électricité, la sur-mécanisation qui participe à l’endettement des professionnels, le développement massif de monocultures de résineux, notamment du pin douglas, et le financement public des coupes rases.
Derrière l’effet d’annonce du gouvernement et ces « 50 millions d’arbres plantés », l’association Canopée a ainsi mené l’enquête pour voir comment sont réparties les aides pour la forêt dans le cadre du plan France 2030 lancé il y a deux ans. Publiées dans le rapport « Planté ! Le bilan caché du plan de relance forestier », leurs conclusions sont effarantes :
« 87 % des projets en forêts privées financés par le plan de relance sont des coupes rases suivies de plantations majoritairement en monoculture. Avec plus de 6 500 hectares, le Douglas est ainsi l’essence principale plantée avec le plan de relance alors qu’il n’est pas adapté au réchauffement climatique. » résume Canopée dans son rapport.
Pour réaliser cette enquête, l’association s’est basée sur une trentaine d’entretiens avec des professionnels de la filière forêt bois, des agents de l’ONF, des élus locaux ou des fonctionnaires. Canopée a ainsi obtenu ces données grâce à un document fuité de la Direction générale de la performance économique (DGPE) du ministère de l’Agriculture, mais non officiellement transmis.
« C’est pareil pour la liste des parcelles concernées par les financements publics. On ne sait pas où va l’argent alors que Julien De Normandie s’était engagé à le faire en décembre 2020. On voit donc bien que la logique gouvernementale ne prend pas en compte l’avis citoyen et scientifique. » explique Bruno Doucet, chargé de campagnes forêts françaises chez Canopée, pour La Relève et La Peste
Industrialisation contre sylviculture cohérente
De fait, l’engouement populaire pour la protection des forêts prend de plus en plus d’ampleur en France. En réponse à l’Appel pour des forêts vivantes, lancé en août 2021 par un rassemblement de membres de l’ONF, forestiers et professionnels du bois, collectifs citoyens et associations environnementales, une quarantaine d’actions ont eu lieu dans toute la France les 16 et 17 octobre 2021.
Leur objectif : faire front commun contre l’industrialisation des forêts et rassembler les acteurs qui défendent une autre approche de la forêt en « re-territorialisant » les luttes climatiques.
Ils veulent changer de paradigme : mettre en place une sylviculture proche de la nature. Un premier rassemblement qui a eu un certain écho puisque le gouvernement a lancé les Assises de la forêt et du bois au même moment.
« Les Assises de la Forêt du gouvernement étaient un grand rendez-vous organisé avec tous les acteurs dans le but de comprendre pourquoi il y a des tensions entre les citoyens et la filière bois ; et dans cet objectif-là le gouvernement est passé à côté de la plaque en ignorant totalement les demandes autour des coupes rases. C’est le sujet tabou car la politique gouvernementale, comme le plan de relance, est travaillée conjointement entre le gouvernement et les grandes coopératives forestières. Ces grandes entreprises conseillent les propriétaires forestiers privés, leur proposent des opérations et facturent travaux et plantations d’où leur intérêt à préconiser de tout raser pour remplacer par une nouvelle plantation : la coupe rase est au centre de leur modèle économique. » décrypte Bruno Doucet, chargé de campagnes forêts françaises chez Canopée, pour La Relève et La Peste
Le gouvernement avait pourtant missionné la députée LREM Anne-Laure Catellot pour faire un rapport sur la forêt et filière bois française qui préconise d’interdire les coupes rases de plus de 2ha, sauf lors d’une impasse sanitaire (si la forêt est morte) en raison de leur impact délétère sur les écosystèmes notamment les sols et la biodiversité.
De la même façon, la Convention Citoyenne pour le Climat proposait d’interdire les coupes rases dans les vieilles forêts et au-delà de 0,5ha dans l’ensemble des autres forêts. Aucune de ces propositions n’a été retenue par le gouvernement.
Avancées notables tout de même, suite aux Assises de la forêt et du bois : pour toucher des aides, les propriétaires forestiers devront inclure plusieurs essences d’arbres dans leurs projets de renouvellement, au-delà de 4 ha de forêt (contre 10ha auparavant) et une bonification du taux d’aide sera mise en place pour ceux engagés dans des démarches de certification environnementale FSC ou PEFC.
Mais les labels sont contrôlés par la filière et ces avancées restent timides aux yeux des acteurs prônant une sylviculture plus douce, qui souhaiteraient que les moyens alloués au renouvellement forestier évitent entre autres la suppression des 500 postes prévue à l’ONF pour favoriser un meilleur suivi sur le terrain. Car l’argent est là, comme le liste l’État :
Entre 2021 et 2030, entre 1,1 et 1,4 milliard d’euros seront mobilisés en faveur du renouvellement forestier avec la poursuite de France Relance, à la prise de relais par France 2030 puis à la mise en place d’un financement pérenne dédié au renouvellement forestier de 100 à 150 millions d’euros chaque année à partir de 2024. Et plus de 400 millions d’euros nouvellement seront mobilisés avec France 2030 pour « développer une industrie du bois souveraine » promet le gouvernement.
« Le plan de relance est prolongé sur les 5 ans à venir donc on va encore avoir des subventions publiques pour les coupes rases. » déplore Bruno Doucet, chargé de campagnes forêts françaises chez Canopée, pour La Relève et La Peste
Autre grand regret des associations environnementales telles que la FNE : le fait que l’occasion n’ait pas été saisie de supprimer clairement l’utilisation en forêt des produits chimiques de synthèse, et de promouvoir leurs alternatives.
De quoi renforcer la détermination des membres ayant répondu à l’Appel pour des forêts vivantes : un troisième rassemblement massif est prévu juste après les élections présidentielles, afin d’imposer la question forestière dans les batailles législatives des cinq prochaines années. Comme un arbre prend son temps pour s’enraciner, les membres du mouvement n’ont pas peur du temps long.
« On sent que l’attrait pour l’arbre est en train de grandir grâce aux avancées scientifiques qui nous font découvrir leur intelligence et on commence à le regarder pour ce qu’il est. On est au seuil d’une révolution sur notre perception pour le végétal. Mais il ne faut pas oublier que l’arbre fait partie des forêts. L’amour des arbres doit conduire à un combat pour une forêt vivante et c’est un peu à cela que s’attache l’Appel des Forêts Vivantes. On invite tout le monde à sortir du bois. » conclut Gaspard d’Allens dans un sourire
Pour aller plus loin : « Nous avons financé le reboisement des forêts françaises pour se faire piller par l’étranger »
Crédit photo couv : Coupe rase dans la forêt Ermenonville, Oise – Mel22