Après sept mois de lutte, les occupants de l’ancien foyer Sainte-Marie, à Rouen, ont été expulsés ce mardi 11 janvier par la police, en pleine trêve hivernale. Alors que la destruction de ce havre de paix se profile de plus en plus vite, les militants continuent de se mobiliser.
Ils s’y trouvaient depuis des mois, l’expulsion aura duré deux heures. Ce mardi 11 janvier, à huit heures du matin, plusieurs dizaines de policiers et de CRS ont finalement délogé les quelque quinze personnes qui sommeillaient encore dans les bâtiments du couvent Sainte-Marie, à Rouen.
Situé au cœur du quartier Saint-Nicaise, tout près du centre, cet ancien foyer de jeunes filles était occupé depuis la mi-juin par un groupe de militants et d’associatifs « sans droit ni titre », mais bien décidés à en empêcher la destruction.
Abandonnés en 2015, les bâtiments-dortoirs de la rue Joyeuse, dotés d’une petite chapelle, d’une bibliothèque et même d’un théâtre de poche ont été rebaptisés « Jardins Joyeux » par leurs occupants, en hommage au parc de 4 000 m² faisant de cet austère couvent « l’un des derniers poumons verts du centre-ville », comme l’écrivait Libération en décembre.
Un joyau bradé à des promoteurs
En 2018, la parcelle « Sainte-Marie », de 8 000 m² au total, a été acquise pour quatre millions d’euros par le promoteur caennais Sedelka-Europrom.
Spécialisée dans le neuf, cette société immobilière prévoit de substituer aux vieilles bâtisses et à la majeure partie des jardins un complexe de 121 logements « haut de gamme » et 110 places de stationnement.
Le tout pour « un chiffre d’affaires, après revente, d’environ vingt-cinq millions d’euros », commente Le Poulpe, média normand d’investigation.
La transaction s’annonce donc exceptionnelle, d’autant que de tels joyaux se font rares à Rouen, cette ville « minérale » où ne subsistent que 32 m² d’espaces verts par habitant, bien en deçà de la moyenne nationale, établie à 48 m².
Qu’à cela ne tienne : Saint-Nicaise est l’un des derniers quartiers populaires du centre, et son dédale de rues étroites et pittoresques cachant de nombreux jardins aussi anciens que ses églises attirent de plus en plus d’acheteurs, chassés du cœur de ville par une augmentation brutale des prix de l’immobilier ces dernières années.
La seconde ZAD de Saint-Nicaise
Ce quartier aux airs moyenâgeux n’en est pas à son coup d’essai. En 2016, la petite église Saint-Nicaise, inscrite aux monuments historiques, avait été sauvée de la vente à l’encan et la destruction par des manifestants du mouvement Nuit Debout.
De cette première zone à défendre (ZAD) victorieuse était née l’association La Boise de Saint-Nicaise, grâce à laquelle l’édifice désacralisé devrait devenir, dans les prochaines années, une brasserie-restaurant sans que sa structure n’en soit altérée.
À moins de 400 mètres de l’église, la rue de Joyeuse est devenue la seconde ZAD du quartier Saint-Nicaise.
Lorsque, en juin dernier, une poignée de militants ont pris possession de cette « enclave naturelle », ils n’étaient qu’une trentaine de frondeurs à se relayer. Sept mois plus tard, le foyer a été débarrassé de ses encombrants, pourvu de chambres, d’un potager, d’un poulailler, et le dossier Sainte-Marie a fait une entrée fracassante sur le devant de la scène.
Reportage après reportage, les ex-occupants bénéficient maintenant du soutien des riverains. Rejoints par une vingtaine d’associations, ils ont formé le collectif des Jardins Joyeux, qui demande à la mairie d’annuler la vente du couvent et de lui préférer « un schéma de reconversion profitable à l’ensemble du quartier ».
Fort d’une pétition signée par près de 30 000 personnes, le collectif souhaiterait en effet transformer Sainte-Marie en « mini-ferme urbaine » tournée vers la « redistribution alimentaire », le « maraîchage à petite échelle » et « l’autosuffisance énergétique ».
Côté dortoirs, leur projet consisterait à créer « un lieu d’hébergement sur le long terme pour des personnes en difficulté » au terme de « chantiers-écoles » qui seraient dirigés par « des associations de réhabilitation du patrimoine ».
Et pour joindre le geste à la parole, les occupants ont ouvert les portes de la rue Joyeuse à des familles et des résidents sans papiers, qui y ont trouvé pendant quelques mois un hébergement d’urgence, tandis que des naturalistes relevaient la présence, dans le jardin, de chouettes hulottes, d’orchidées sauvages et même d’un rouge-queue noir, oiseau migrateur protégé.
Course contre la montre
Le 29 octobre, saisie par les nouveaux propriétaires, la justice avait ordonné l’expulsion immédiate des occupants de Sainte-Marie. Deux mois plus tard, la cour d’appel de Rouen a ensuite décidé que ce jugement, confirmé, ne serait applicable qu’à compter du 10 janvier 2022. Un simple répit.
Sans grande surprise, le 11 janvier au petit matin, une horde de policiers se sont ainsi déployés sur place pour évacuer les lieux, remettant à la rue les locataires et arrêtant au passage huit personnes pour « entrave à la circulation ».
En fin d’après-midi, une cinquantaine de personnes ont investi l’hôtel de ville et improvisé une assemblée générale, qui n’a été levée qu’à 21 heures, lorsque le maire de Rouen, Nicolas Mayer-Rossignol (PS), a enfin accepté de rencontrer d’ici peu une délégation du mouvement.
D’autres manifestations sont prévues, alors que certains disent que les premiers coups de pelleteuse pourraient être donnés dans les prochains jours. La course contre la montre a commencé.