Créée en 2016 par la loi pour la reconquête de la biodiversité, l’Obligation Réelle Environnementale se développe peu à peu en France. Alors qu’elle pourrait constituer un outil majeur pour la protection de la biodiversité, son utilisation reste marginale. Retour sur les éléments qui ont mené à sa mise en place tardive, état des lieux des obstacles qu’elle rencontre et tour d’horizon de quelques-unes de ses applications.
Un outil pour les propriétaires fonciers
L’ORE permet à un propriétaire foncier de s’associer avec un organisme protecteur de la biodiversité dans le but de préserver le patrimoine naturel de ses terres.
A l’occasion d’une table ronde organisée par l’Université canadienne Laval, Gilles J. Martin détaille pourquoi il s’agit d’un outil très particulier dans le Droit français. Ce professeur de Droit émérite et chercheur au CNRS se pose comme un expert du sujet, puisqu’il a joué un rôle important dans l’adoption-même de l’ORE.
« Il s’agit d’un nouvel outil ajouté à la palette des outils existants, car il est mis en œuvre à l’initiative des acteurs de terrain que sont les propriétaires fonciers », commence-t-il.
L’ORE définit en effet, sur une base volontaire, le cadre qui va orienter leur comportement. Ensuite, cette protection se trouve attachée au terrain à protéger, non à la personne du propriétaire.
Autrement dit, elle « perdure même en cas de changement de propriétaire ».
Par ailleurs, l’ORE a été conçue comme un outil très souple, puisqu’elle s’adapte aux besoins concrets, afin de protéger la nature ordinaire.
Le professeur rappelle à ce propos que : « pour la nature extraordinaire, les sites dits remarquables, il existe des outils législatifs et réglementaires importants, des institutions comme les parcs nationaux ou régionaux, les réserves naturelles… Mais pour la nature moins remarquable, qui est toute aussi importante à mes yeux, il n’y avait que très peu d’outils. En l’espèce, il s’agissait de mettre en place un outil adaptable à ces besoins de terrain ».
Pourtant, révèle Gilles J. Martin, « l’adoption de cet outil a pris énormément de temps ». Près de 20 ans ont été nécessaires avant d’adopter cet instrument, et ce pour deux grandes raisons.
D’abord, l’idée a rencontré une résistance de la part des milieux agricoles, forestiers et cynégétiques. Ceux-ci soutenaient qu’il s’agissait d’un cheval de Troie, menaçant d’ouvrir la voie à d’autres outils plus contraignants, et qu’il fallait à tout prix éviter de mettre le doigt dans cet engrenage.
Le second grand frein était d’ordre culturel. Cet outil, puisqu’il devait être décidé par les propriétaires eux-mêmes, devait aller du bas vers le haut. La tradition juridique, avec son fonctionnement vertical, n’était pas habituée à ce genre de pratique.
En France, la norme vient d’en haut, elle est exprimée par l’État, théoriquement pour le bien commun. Dans ce schéma-là, le propriétaire privé ne peut se soucier de l’intérêt général, il n’est soi-disant préoccupé que par son intérêt particulier. Cette pensée a longtemps expliqué – et explique encore en partie l’absence de franc soutien de la part des pouvoirs publics.
Des succès français
Pourtant, peu à peu, l’outil vient répondre à des problématiques diverses. En France, grâce à sa souplesse, l’ORE est utilisée dans des situations extrêmement variées.
Sur la côte Ouest de la Corse par exemple, dans un petit village de Balagne, plusieurs propriétaires de jardins ont consenti une ORE à la commune. Par celle-ci, ils s’engagent à ne planter dans leur jardin que des espèces végétales originaires de Corse.
Ils ont également convenu de laisser serpenter au milieu des jardins un sentier botanique ouvert au public, dont les billets d’entrée sont au bénéfice de la commune. En contrepartie, la commune s’engage à leur fournir des graines provenant de Corse et à les aider à entretenir les murets délimitant les jardins.
Un autre exemple est celui de la famille Tanguy, en Vendée. Dans un article du Monde, ces propriétaires racontent pourquoi ils ont voulu sanctuariser leur patrimoine, résultat de près de quarante ans de labeur.
Les époux Tanguy ont signé une ORE d’une durée de 99 ans – durée maximale renouvelable – avec le Conservatoire d’espaces naturels des Pays de la Loire.
Ils se sont notamment engagés à ne pas utiliser de produits phytosanitaires, ne pas altérer les sols de leur terrain et préserver les mares et les prairies. Le conservatoire, de son côté, est tenu jusqu’en 2120 de contrôler le respect du contrat et assurer un suivi annuel de la flore et la faune.
« On ne fait pas ça pour nous, mais pour les générations de demain. Quoi de plus riche après tout ? Plutôt que de l’argent, nous leur léguons une nature préservée », témoignent les Tanguy.
Enfin, à Romainville, la signature d’une ORE a stoppé l’extension d’une base de loisir qui devait abîmer la forêt.
Les associations locales ont signé ce contrat avec la région Ile-de-France et la commune de Seine-Saint-Denis. Grâce à celui-ci, 20 hectares de ce refuge de biodiversité se trouvent sanctuarisés, et le projet de l’Ile de loisir – qui a déjà entamé en partie la forêt – ne peut se réaliser.
Malgré ces succès, l’ORE demeure relativement confidentielle.
Pour Guillaume Sainteny, maître de conférences à AgroParisTech, la clé se situe au niveau de la fiscalité : « tant qu’il n’y aura pas de vraie incitation fiscale, le dispositif ne décollera pas », soutient-il.
De son côté, Gilles J. Martin considère qu’un soutien plus fort de la part des pouvoirs publics serait crucial : « Dans la doctrine française où il y avait un certain nombre de réserves, on a aujourd’hui un courant de plus en plus fort qui vante les mérites de cet outil et regrette qu’il ne bénéficie pas du portage politique et administratif dont il a besoin ».