Afin de limiter la propagation de la grippe aviaire, le gouvernement a drastiquement diminué la possibilité de faire de l’élevage en plein air depuis le 30 septembre. Face à la menace pour les petits élevages, les associations et syndicats paysans ont déposé trois recours devant le Conseil d’État pour obtenir une réglementation adaptée. Surtout, le monde paysan dénonce une décision sanitaire incohérente alors que la concentration d’un trop grand nombre d’animaux en intérieur aggrave le risque de propagation.
L’élevage paysan en danger
Le 30 septembre dernier, le ministère de l’Agriculture a prix deux arrêtés réduisant drastiquement les conditions dans lesquelles l’élevage en plein air est autorisé, afin de lutter contre la grippe aviaire.
Publiés dans la précipitation, les organisations paysannes n’ont pas eu le temps nécessaire pour émettre leurs recommandations afin de ne pas fragiliser les petits élevages. C’est pourquoi elles ont décidé d’attaquer les arrêtés auprès du Conseil d’Etat.
En effet, cette nouvelle réglementation sanitaire va à l’encontre de la décision de la plus haute juridiction administrative française de juin 2021 qui ordonne au gouvernement de mettre fin aux poules pondeuses en cage en respect de la loi française Agriculture et Alimentation de 2018.
« Par ces recours, nous défendons le choix des paysans de travailler en suivant les exigences de cahiers des charges de qualité, respectueux de l’environnement et des animaux, et le choix des consommateurs d’avoir accès à des produits issus de l’élevage en plein air », souligne Evelyne Boulongne de MIRAMAP.
Parmi les points particulièrement problématiques : les petites exploitations ne peuvent plus demander une dérogation pour sortir les poules, contrairement aux années précédentes. Elles sont désormais soumises au même régime que les élevages industriels, soit un confinement pendant la moitié de l’année, voire plus.
Pour avoir le droit de sortir leurs animaux sur des parcours extérieurs « réduits à peau de chagrin (0,5m² par volaille) », les éleveurs doivent faire constater par un vétérinaire la souffrance des gallinacées.
« C’est ubuesque, dénonce Jacques Caplat, secrétaire général d’Agir Pour l’Environnement (APE), pour pouvoir sortir les volailles dans des mini courettes, il va falloir qu’on attende qu’elles soient en souffrance ».
Et cette souffrance arrive très rapidement lorsque des volailles habituées au plein air se retrouvent enfermées : elles développent très vite des troubles du comportement, tels que des syndromes de stress ou de picage qui augmentent le risque de maladies et la mortalité.
Les petits éleveurs dénoncent des règles incohérentes qui les empêchent tout simplement de faire leur travail, conduisant à tromper les consommateurs soucieux du bien-être des animaux. De plus, cette soudaineté des changements de règles ne leur a pas laissé le temps matériel de s’adapter à ces nouvelles restrictions.
Résultat : ces mesures entraînent une baisse d’activité et de chiffre d’affaires de l’ordre de 50 %, qui pousse certains éleveurs et acteurs de la filière plein air à cesser leur activité.
Le ministère fixe également des règles de mouvement des personnes, d’habillement, ou encore de dépistage virologique.
Grippe aviaire : l’élevage industriel en cause
Ces trois derniers mois, 130 cas de grippe aviaire ont été détectés en Europe. Le ministre de l’Agriculture Julien Denormandie a décrété la France « en vigilance élevée » dès le 5 novembre, entraînant le confinement des volailles de tous les élevages, quels qui soient, pour une période qui devrait durer 6 mois.
Or, la Confédération paysanne accuse le gouvernement de se tromper de cible. A ses yeux, ce n’est pas l’élevage en plein air le principal facteur de risque, mais les élevages industriels qui entraient une concentration trop importante des animaux dans de petites surfaces. Un constat confirmé par des études épidémiologiques sur le sujet.
De fait, le premier cas de grippe aviaire a été confirmé le weekend dernier en France au sein d’un élevage industriel.
« Très étonnamment, la communication du Ministère n’indique pas la nature de cet élevage : 160 000 poules pondeuses élevées en bâtiment, dans une zone dense en échanges professionnels avec la Belgique, l’Allemagne et les Pays-Bas déjà contaminés dans leurs élevages industriels. » pointe du doigt la Confédération Paysanne
Ainsi, alors que la migration des oiseaux sauvages est souvent accusée d’être responsable de la propagation de l’influenza, les transports routiers d’oiseaux font beaucoup plus de dégâts.
A tel point qu’une législation particulière a été imposée en 2018 pour en limiter les risques et notamment éviter les pertes d’excréments, de litière, de plumes ou de duvets sur la route. Dans le Sud-Ouest, le virus a proliféré en 2020-2021. Sur 475 foyers détectés dans la région, seulement deux étaient causés à une transmission par un oiseau sauvage, donc imputables à l’élevage plein air.
« Ce n’est pas l’élevage en plein air traditionnel qui est facteur de risque mais les choix de la filière foie gras, qui a encouragé la concentration des animaux dans les bâtiments et sur les parcours dans le Sud-Ouest, et multiplié les transports en segmentant la filière », conclut Christophe Mesplède, du Modef des Landes.
Face aux dérives de l’agriculture industrielle, les paysans défendent une autre vision de l’agriculture : moins productiviste, plus respectueuse des besoins biologiques des animaux, en circuit court.
Ils ont lancé une pétition pour que le grand public les soutienne sur le maintien de l’élevage en plein air. Plutôt qu’un confinement inadapté, ils proposent d’autres solutions pour endiguer l’épidémie.
« Il y a des alternatives efficaces à la claustration et à la réduction des parcours. Que ce soit la solution vaccinale, la mise en place de filets et d’effaroucheurs ou l’extension de l’agroforesterie, ces solutions permettraient de respecter les besoins des animaux et les exigences des cahiers des charges », expliquent Carole Sanchez de Sauve qui poule et Denis Surgey de l’ANAFIC.
Face au « tapis rouge déployé par le Gouvernement » au modèle industriel et intensif, les syndicats paysans ont entamé des actions de solidarité et de résistance pour préserver un modèle qui répond aux exigences sociales, économiques et écologiques de nos sociétés modernes.
« Nous continuerons de défendre nos élevages, la qualité de nos produits et les emplois qu’ils créent. » concluent-ils de façon déterminée