Premier producteur européen de chanvre (presque 17 000 ha), la France se réconcilie -progressivement- avec une plante qui n’avait jamais vraiment quitté ses sols. Alors que ses fibres solides et robustes étaient utilisées pour assurer près de 70% de la production de papier et la majorité des voiles de bateau en 1800, elles ont été remplacées par des matières synthétiques au cours du 20ème siècle. Après près d’un demi-siècle de diabolisation et une pénalisation à l’échelle mondiale, l’amalgame répandu entre « ressource naturelle » et « drogue récréative » semble enfin s’estomper face au potentiel de cette plante qui a tout pour amorcer une révolution. Un reportage de Cécile Tonnerre.
Une culture ancestrale au service de la résilience des territoires
Depuis plus de 10 000 ans, les hommes cultivent le chanvre pour exploiter ses multiples propriétés. De la tige et son bois (chènevotte) aux feuilles en passant par la graine (chènevis), toutes les parties du chanvre procurent des matériaux et substances actives exploitables pour combler nos besoins primaires.
Alimentation, santé, bâtiment, textile, et même biomatériaux sont des domaines qui pourraient entreprendre une réelle transition écologique grâce à une production de chanvre relocalisée et la mise en place de filières spécifiques sur le territoire.
« Le chanvre nous forme à une vision holistique et arrive comme une vraie solution pour changer de paradigme. C’est LA plante qui offre des vraies solutions, de quoi arrêter de puiser dans le sable pour fabriquer du ciment, remplacer le plastique et arrêter de puiser du pétrole, mais aussi on arrête de se soigner avec des molécules qui nous causent des dommages énormes. » Vincent Lartizien, fondateur des Chanvres d’Aquitaine.
Aujourd’hui près d’un tiers de la production française de chanvre est centralisée par la coopérative « La Chanvrière » basée à Saint Lyé dans l’Aube. Première coopérative de chanvre en Europe, elle regroupe plus de 500 producteurs et dispose d’un outil industriel permettant de procéder au défibrage du chanvre ainsi qu’à la transformation du bois en paillage.
Avec une production de presque 100 000 tonnes de chanvre par an, la coopérative approvisionne plusieurs industries, notamment la papeterie, l’industrie automobile, le bâtiment, mais aussi la plasturgie. Depuis 1973, la coopérative agit en faveur d’un retour du chanvre dans l’agriculture française et le retour d’une image positive.
Mais son modèle de développement industriel tourné vers l’export est aux antipodes de la petite révolution qui s’opère à l’échelle dans le reste de la France.
De fait, pour la grande majorité des quelques 1400 producteurs de chanvre, le véritable sens réside dans un développement local de la filière. Avec une production en circuit court et en agriculture biologique, elle permettrait d’assurer une véritable résilience sur les territoires.
C’est la conviction de la jeune entreprise Hemp Act et de son fondateur Pierre Amadieu, paysan et écologiste. Depuis quelques années, il milite pour développer des équipements accessibles à tous les groupements de producteurs de chanvre textile. L’objectif : alimenter des micro-filières locales.
« Ce qui manque aujourd’hui, c’est la diffusion des équipements et des savoirs-faire pour que tout le territoire bénéficie d’une culture de chanvre bio et locale, plutôt qu’une grande production industrielle ».
Un combat qui a déjà bénéficié à plusieurs groupements en région Occitanie, et encourage le développement de la filière partout en France.
Une plante adaptée aux enjeux climatiques
Grâce à sa grande résistance aux maladies et aux nuisibles et ses faibles besoins en eau, le chanvre est la plante emblématique d’une agriculture écologique. Sans aucune utilisation de produits phytosanitaires ni insecticides ou fongicides, les plantes arrivent à maturité en 3 à 4 mois.
Comparée à son premier concurrent, le coton, troisième consommateur d’eau de la planète et gourmand en traitements à tous les stades de sa transformation, aucun doute que le chanvre constitue une alternative éthique et de qualité.
Par ailleurs reconnu pour sa capacité de séquestrer du carbone, le chanvre a également un rôle à jouer pour faire baisser les émissions de CO2 dans l’atmosphère. On estime qu’un hectare de chanvre peut absorber jusqu’à 15 tonnes de CO2.
Cet impact négatif en carbone, lié à sa croissance rapide, en fait un véritable catalyseur pour une agriculture durable.
Le chanvre se trouve également être une plante dépolluante, nettoyante et oxygénante, pour les sols. Dans des exploitations telles que celles des « chanvres de l’atlantique », des rotations sont effectuées tous les ans et les parcelles divisées pour créer un équilibre entre les espèces.
« Nous avons vu les limites de la monoculture qui a tué nos sols et ne souhaitons pas reproduire ce modèle. Le chanvre est un gros consommateur d’azote, alors pour ramener de l’azote dans le sol, l’année suivante on plante des légumineuses. Pour l’instant le chanvre montre un vrai potentiel en association avec les variétés anciennes (quinoa, lentilles etc.) » nous explique Vincent Lartizien.
Sélection variétale et législations strictes
Pour l’instant, les 9 variétés de semences autorisées en France et commercialisées par Hemp -it sont surtout orientées pour la production alimentaire et textile. Depuis 1960, l’INRA met au point une sélection variétale pour limiter le taux de THC produit aux 0,2% autorisés par la loi et commercialiser des variétés majoritairement monoïques (hermaphrodites).
S’il satisfait une partie des chanvriers français, ce choix limité de variétés, pose quelques difficultés aux cultivateurs orientés vers le chanvre « bien-être », qui travaillent pour la plupart avec des variété dioïques (champs de plantes mâles et femelles).
Aux côtés des défenseurs du cannabis thérapeutique, ils militent pour autoriser un taux de THC légèrement plus élevé (0,3%) et permettre ainsi à d’autres variétés de pousser sur le sol français.
Emmanuel Ithurbide, cultivateur et créateur de la marque Ondo Pharm, juge que « le catalogue de variétés européennes est plus intéressant, avec quelques 90 semences, dont les taux en CBD et en substances actives sont plus importants ».
Comme lui, de nombreux entrepreneurs sont intéressés par les propriétés thérapeutiques des fleurs afin de développer des gammes de cosmétiques (crèmes, huiles, baumes) et médicinales (huiles, compléments alimentaires) à partir du chanvre.
« Le chanvre est naturellement riche en cannabidols (dont le CBD), essentiels à notre bien-être. Notre corps dispose d’un système endocanabidoïde. Tous les utilisateurs que je connais ont vu de véritables effets dans le soulagement de leur anxiété ou de douleurs chroniques et neuropathiques, mais aussi une véritable atténuation des effets secondaires de la chimio ou des douleurs menstruelles. » explique Frédéric Gié, expert et conférencier autour des bienfaits du chanvre sur la santé.
Faire changer l’industrie du textile : un enjeu d’actualité
S’il y a bien un point commun entre tous les cultivateurs et entrepreneurs dans le domaine du chanvre, c’est leur passion et leur conviction d’avoir affaire à une plante d’avenir, notamment en ce qui concerne le textile et la production « made in France ».
En Nouvelle Aquitaine, et en Occitanie, des « filières chanvre » sont en train de se constituer et rassemblent une grande variété d’acteurs, allant des micro-cultivateurs aux transformateurs. Leurs rencontres leur ont permis d’échanger sur des bonnes pratiques et d’amorcer une véritable dynamique locale.
Dans le cadre du projet de filière textile en Occitanie, la coopérative Virgicoop, implantée dans le Tarn, a ainsi pu mettre sur le marché des jeans 100% chanvre en partenariat avec une marque française : l’Atelier Tuffery. C’était sans compter du soutien de Hemp Act, dont les équipements pour le défibrage ont permis d’élaborer une fibre de qualité et produite localement.
Au-delà de la compétence en défibrage, l’usine de filature reste le principal maillon manquant pour l’essor de la filière en France.
La dernière usine de filature de chanvre et de lin a fermé ses portes en 1970 et depuis les artisans qui travaillent avec des fibres naturelles sont contraints de faire filer leur matière dans des pays européens comme la Roumanie.
Aujourd’hui, il y a un véritable enjeu à « retourner vers les matières naturelles » affirme également Vincent Lartizien, des chanvres de l’Atlantique.
« Le chanvre produit un textile antibactérien, résistant et thermorégulateur. En tant qu’ancien surfeur professionnel qui a longuement côtoyé l’industrie du surf, mon pari c’est de proposer d’ici quelques années, du textile à l’industrie du surfwear, et de dire « vous voulez créer des vrais vêtements de surf ? et bien regardez, on a une plante qui pousse chez nous en 4 mois, qui fait du bien au sol, qui est en bio, qui file du boulot aux gens. Et vous ferez du bien à l’ensemble de la planète en l’utilisant ». Alors oui peut être que les vêtements seront un peu plus chers mais ils vont durer 3 fois plus longtemps donc au final ils couteront moins cher. »
Entre relocalisation des savoirs-faire et des instruments, les dés sont jetés et les projets de filières progressent rapidement. Le travail consiste maintenant à poursuivre la déconstruction des préjugés qui entourent cette plante et encourager l’essor de cette plante révolutionnaire.
Crédit photo couv : La ferme médicale