C’est un déni de démocratie. Alors que le Conseil d’État a suspendu par deux fois la réforme de l’assurance-chômage, le gouvernement a publié son décret d’application seulement la veille de son entrée en vigueur ce vendredi 1er octobre. Par cette manœuvre déloyale, l’exécutif impose une fois de plus son programme néolibéral en s’assurant que les syndicats n’aient pas le temps de riposter. Le volet le plus impitoyable de la réforme de l’assurance-chômage va entraîner des baisses conséquentes des allocations et prévoit de durcir drastiquement les conditions d’ouverture et de rechargement des droits.
Un passage en force
Avec un décret paru jeudi 30 septembre au Journal officiel, la réforme du mode de calcul des allocations-chômage entre en vigueur ce vendredi 1er octobre. Ce faisant, le gouvernement coupe l’herbe sous le pied au Conseil d’État qui avait suspendu la réforme au début de l’été au nom des « incertitudes sur la situation économique » et de peur que cela paupérise une trop grande partie de la population.
Pas de quoi décourager la majorité présidentielle, qui porte cette réforme du chômage depuis 2017 et a décidé de la mettre en place quoi qu’il en coûte, quitte à désavouer la plus haute juridiction administrative du pays qui doit encore se prononcer sur le fond du texte.
Seulement trois semaines après la suspension du Conseil d’État, Emmanuel Macron avait ainsi promis lors d’un de ses discours, le 12 juillet 2021, que la réforme serait pleinement mise en œuvre le 1er octobre.
C’est une manœuvre politicienne qui est ici parfaitement assumée, étant donné qu’il est notoirement connu que les juges du Conseil d’État sont plus hésitants à retoucher un dispositif déjà entré en vigueur, surtout s’il a des conséquences financières.
Chose promise, chose due donc, au grand dam des syndicats sociaux qui sont farouchement opposés à cette réforme, ainsi que d’une centaine d’économistes, dont Thomas Piketty, qui dénoncent une mesure « inefficace, injuste et punitive ».
« Nous croyons profondément que cette réforme permettra de lutter contre les contrats courts payés de façon indue par l’assurance-chômage et qu’elle incitera à un arbitrage entre le travail et la non-activité en faveur de l’emploi, dès lors qu’il y en a, ce qui est le cas, affirmait en début de semaine le premier ministre Jean Castex dans Les Échos. Je n’ai pas d’objectif chiffré, mais je suis persuadé que les comportements vont changer. »
Pour prouver que la situation économique s’est redressée et qu’il est à présent dans son bon droit, le ministère du travail a même établi une note de conjoncture démontrant que le marché de l’emploi se porte mieux. Pourtant, le chômage n’a jamais connu de tels taux dans le pays.
« Le nombre de demandeurs d’emploi de longue durée est très important et a considérablement augmenté, de l’ordre de 10 % pendant cette crise. C’est un niveau qui ne peut pas être satisfaisant », reconnaît-on à Matignon dans un article de Mediapart.
Depuis plus d’un an, le nombre de personnes inscrites depuis trois ans ou plus à Pôle Emploi est passé au-dessus du million. Un phénomène sans précédent. Il y avait ainsi 3,545 millions de personnes inscrites en août 2021, pour 1 million d’offres disponibles sur le site de Pole Emploi…
Une baisse drastique des allocations
Précision importante : les chômeurs actuellement inscrits et indemnisés par Pôle emploi ne sont pas concernés par ce volet du 1er octobre. Leurs allocations ne changeront donc pas jusqu’à l’épuisement de leurs droits en cours.
Par contre, tout individu dont la fin de contrat, la procédure de licenciement ou le rechargement des droits intervient à partir du 1er octobre est concerné par cette réforme. Les principaux perdants de la réforme sont les précaires alternant petit boulot et période de chômage, soit près de 2,3 millions de personnes, mais aussi les jeunes.
Selon la dernière étude d’impact de l’Unédic (l’organisme gérant l’assurance-chômage), 1,15 million de personnes seraient pénalisées dès la première année. Leurs allocations diminueraient en moyenne de 17 %, et plus de 400 000 personnes subiraient une baisse de 40 %.
En tout, 41% des allocataires de l’assurance-chômage vont perdre en moyenne 13% de leurs revenus dans l’année à venir. La réforme devrait permettre de réaliser 2,3 milliards d’euros d’économies par an à l’État français.
Pour avoir droit au chômage, les demandeurs d’emploi devront justifier d’une période de six mois de travail, contrairement à quatre précédemment. Les périodes d’inactivité seront également comptées et ce, jusqu’à deux ans en arrière ce qui fera « mécaniquement baisser la moyenne obtenue » décrypte Médiapart.
« Pôle Emploi est parfaitement au fait de la violence de ce changement : en Île-de-France, l’organisme a passé commande de nouveaux dispositifs de sécurité pour gérer la colère des demandeurs d’emploi après cette nouvelle régression de leurs droits. » dénonce le sociologue Nicolas Framont
De fait, ce sont les successives réformes gouvernementales, dont Emmanuel Macron a été partie prenante, qui a grandement accéléré chez les entreprises le recours aux contrats courts.
Le nombre de jours non travaillés a tout de même été plafonné et ne peut pas excéder 43 % de la période totale. De la même façon, certaines périodes non-travaillées en raison de la pandémie ne seront pas prises en compte pour éviter une pénalisation excessive : entre le 1er mars et le 31 mai 2020, ainsi qu’entre le 30 octobre 2020 et le 30 juin 2021.
« La thèse que la dégradation des règles de l’assurance-chômage aurait des effets favorables sur l’emploi est un parti pris idéologique. L’effet d’une telle dégradation serait de contraindre les chômeurs à accepter n’importe quel emploi au plus vite, à bas salaire et aux mauvaises conditions de travail, au mépris de l’efficacité économique et sociale. Si le gouvernement désire réellement réduire l’utilisation des contrats courts, il doit supprimer les possibilités de proposer des contrats courts offertes par les lois successives. » dénoncent une centaine d’économistes dans une tribune publiée sur Le Monde
Maigre effort égalitaire, les hauts revenus sont aussi concernés par la réforme entrée en vigueur aujourd’hui. Ceux qui percevaient un salaire supérieur à 4 500 euros brut mensuels devraient voir leurs allocations diminuer de 30 % après six mois.
Face à ce passage en force, les cinq syndicats représentatifs ont déjà annoncé qu’ils attaqueraient le décret publié jeudi. Ils font front commun sur ce combat pour les droits sociaux, y compris la CFTC, qui n’avait pas déposé de recours en juin.
« Nous allons déposer les recours le plus tôt possible, dès la semaine prochaine, pour demander une nouvelle suspension, précise Denis Gravouil, responsable du dossier à la CGT. L’objectif est d’obtenir une audience en référé avant la fin du mois d’octobre, avant que les allocations liées au nouveau calcul ne soient versées. »
En cas d’avis négatif du Conseil d’État ou d’alternance à l’Élysée, la réforme pourrait ne jamais être totalement appliquée. Le combat est donc loin d’être fini pour les partenaires sociaux.
Crédit photo couv : Manifestation du 1er mai pour les travailleurs et la justice sociale à Paris. Par Fiora Garenzi / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP