Avec La Révolution du potager, la militante anarcha-féministe Béné propose une nouvelle façon de cultiver la radicalité écologique par de nouveaux modes d’action. Plutôt que l’écologie de la carte bleue, elle prône l’urgence de rompre avec la dichotomie entre nature et culture, et encourage à remettre les mains dans la terre. Entretien autour de l’engagement et de des joies et des défis du grand dehors.
LR&LP : Sur quoi et pourquoi tentez-vous d’agir en ce moment (sachant que le moment peut avoir duré et durer encore longtemps) ?
Béné : Je fais partie du collectif Stop Carnet qui lutte contre un projet de zone industrielle de 110 ha en bord de Loire et plus globalement je lutte contre toutes formes de violences systémiques (écologiques, racistes, sexistes, spécistes, validistes…) et pour un monde digne et soutenable pour tous et toutes !
LR&LP : Qu’est-ce qui vous a amené aux joies (et aux difficultés) du jardin ?
Mes parents ont toujours beaucoup jardiné et ont eu un potager très tôt, et mes grands-parents étaient paysan.ne.s. Cultiver un potager est donc un héritage familial en plus d’un plaisir et une nécessité écologique pour moi !
LR&LP : Quelle est la genèse de ce livre ? Était-ce d’abord pour vous un moyen de rejoindre et convaincre de nouvelles personnes ou surtout de poser sur le papier la somme de connaissances que vous avez assimilée depuis plusieurs années ?
J’ai été contactée par la maison d’édition La Plagepour écrire un livre sur le potager au fil des saisons, accompagné de recettes végétariennes aux légumes de saison. Honorée par ce projet, j’ai fait de mon mieux pour donner au potager et à l’alimentation végétale un angle politique.
L’idée était surtout de transmettre ma passion pour l’écologie, le monde animal et végétal et donner des clés de compréhension sur l’écologie systémique et politique.
Globalement, je souhaitais faire évoluer l’imaginaire des lecteurs et lectrices sur la radicalité écologique et sur l’écologie individuelle et collective, en leur montrant qu’il y avait de nombreux modes d’actions pour s’emparer de l’écologie, à différentes échelles et en fonction de ses moyens.
LR&LP : Si on retrouve des conseils, des recettes, des façons de faire et de bonnes pratiques pour apprendre à cultiver et entretenir son jardin, ce livre témoigne aussi de vos engagements de militante. Peut-on vous décrire comme une ecoféministe? Quels sont les combats que vous menez et pour quelle raison ?
J’ai toujours eu du mal à me revendiquer éco-feministe. Ce terme est galvaudé particulièrement depuis quelques mois et récupéré politiquement à toutes les sauces. Cela dit, je me revendique de l’éco-féminisme radical, celui des Bombes Atomiques de Bure ou du camp de femmes de Greenham Common.
Je me sens hermétique à l’éco-féminisme spirituel, que je respecte évidemment par ailleurs. Comme la notion est encore floue et récupérée par des partis politiques ou des méthodes avec lesquelles j’ai peu d’affinités, je préfère me voir comme anarcha-féministe ou éco-anarchiste (rires).
Mes sensibilités prioritaires sont l’écologie et le féminisme. Les deux sont fortement liées puisque les femmes font partie des premières victimes du dérèglement climatique et qu’on exploite les femmes comme on exploite “la nature”. Plus globalement, je me bats contre tous les rapports de domination en essayant de prendre part à la construction d’alternatives politiques.
LR&LP : Plutôt que de pratiquer l’écologie de la carte bleue, vous nous proposez de faire la révolution par le potager. Qu’entendez-vous par là et pourquoi continuez-vous d’y croire ?
À travers le potager, je propose en effet que chacune et chacun se saisisse des enjeux liés au dérèglement climatique et à l’effondrement de la biodiversité. Je suis convaincue que comprendre comment fonctionne la culture de fruits et légumes, de quoi notre sol a besoin pour nous nourrir, donner des clés de compréhension des aberrations écologiques de notre monde à travers des focus sur les engrais de synthèse, l’artificialisation des sols, l’élevage intensif, etc., peut donner envie aux personnes de militer concrètement et radicalement pour l’écologie.
Je ne suis pas optimiste mais j’aime à croire qu’en agissant collectivement, il y a toujours des espèces à sauver, des terres agricoles à sauvegarder, des dixièmes de degrés de réchauffement à gagner et donc des êtres humains et non-humains à protéger.
LR&LP : Qu’est-ce que le potager vous a appris ? Que retirez-vous, en plus d’une excellente nourriture, de cette vie de « grand dehors »?
Que la dichotomie “nature” et “culture” est complètement erronée. Que nous faisons partie de la nature, que si nous ne prenons pas soin du sol et de nos milieux vivants, l’espèce humaine se tire une balle dans le pied. Elle ne pourra plus se nourrir dignement, n’aura plus d’air respirable, plus d’eau potable. C’est d’ailleurs déjà le cas pour des millions de personnes déjà confrontées aux conséquences du dérèglement climatique et de l’effondrement de la biodiversité.
LR&LP : Alors que vous avez les deux mains et les pieds dans la terre, vous menez aussi un travail de fond sur les réseaux sociaux. Pourquoi être sur ces deux terrains ? Comment arrivez-vous à jongler entre ces deux « écosystèmes » et à garder le moral, alors que nous venons de traverser un été particulièrement concentré en drames climatiques de toutes sortes et que les réseaux sociaux exacerbent ?
Je ne garde pas du tout le moral. Je suis très fragilisée par les évènements de cet été, en plus du reste comme la montée du fascisme… Essayer d’informer sur les réseaux pour donner envie de lutter est selon moi nécessaire, pour ne pas laisser la place aux discours haineux ou fascisants anti-écologistes.
Je pense que l’information sur l’écologie loin des discours catastrophistes, qui peuvent résigner plutôt que d’inciter à agir, est vitale.
LR&LP : La période que nous traversons est très anxiogène et étouffante. À bien y regarder, rien ne peut laisser supposer que l’avenir sera plus encourageant. Avant de pouvoir toutes et tous retrouver la terre et faire pousser nos légumes (si nous le pouvons et le souhaitons), que vous semble-t-il urgent de mettre en place, au niveau individuel mais aussi collectif, pour sortir de l’ornière que la COVID a creusée plus profondément ?
Lutter contre les causes et les conséquences du dérèglement climatique, de l’effondrement de la biodiversité et contre les rapports de domination à échelle individuelle et collective est urgent et nécessaire.
Cela passe par la végétalisation de son alimentation et la lutte contre le modèle agro-industriel. Mais aussi par revoir sa mobilité et réduire drastiquement ses trajets en avion tout en luttant contre le tourisme de masse et les projets d’aéroports.
En bref, remettre en question son mode de vie et sa façon de consommer (si on a le privilège de pouvoir le faire) tout en luttant contre le capitalisme à échelle plus globale.
Il y a une palette d’actions très vaste dont on peut se saisir, tout en privilégiant l’action collective (au sein de collectifs écologistes, féministes, anti-racistes, etc.) pour changer radicalement le système. Cela permet d’agir avec un rapport de force incomparable à l’écologie individuelle et de s’émanciper en même temps.
Lorsqu’on se sent seul.e, que l’on ne sait plus quoi faire pour agir, le collectif est une soupape en plus d’être un moyen d’action dont on doit s’emparer au maximum pour faire la révolution !
LR&LP : Qu’est-ce qui vous fait vous lever le matin et qui continue de vous faire marcher la journée ? Une Musique, un livre, une peinture, un paysage, une personne…
Le chant des oiseaux le matin, les câlins de mes animaux, les bons petits plats, les fêtes entre ami.e.s, danser… Il y a plein de moments de joie dans la vie. C’est d’ailleurs parce que j’aime autant la vie que j’ai envie de la préserver !
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Propos recueillis par Matthieu Delaunay. Journaliste, auteur, voyageur au long cours, Matthieu Delaunay contribue régulièrement à La Relève et La Peste à travers des entretiens passionnants, vous pourrez le retrouver ici.