La quarantième édition de la fête de la musique a été émaillée par une forte répression cette année. Pendant que le Président de la République invitait des DJs à célébrer « la musique électronique » sous les ors de l’Élysée, la jeunesse a été pourchassée dans les rues de plusieurs villes de France, alors qu’elle tentait de célébrer la musique gratuitement. Le weekend juste avant, à Redon, un jeune homme de 22 ans a même eu la main arrachée par une grenade suite à une intervention particulièrement violente des CRS. Ces derniers voulaient mettre un terme à une free party organisée en hommage à Steve Maia Caniço, un jeune homme décédé lors de la fête de la musique 2019, à la suite d’une intervention de police, sur les quais de la Loire à Nantes.
Une fête nationale sévèrement réprimée
La fête de la musique a été particulièrement éprouvante cette année, pour des jeunes gens déjà stressés par des mesures sanitaires difficiles et une crise sociale renforçant la précarité des populations les moins aisées.
Dans plusieurs villes de France, un jeu du chat et de la souris s’est engagé entre forces de l’ordre censées « réguler » les célébrations musicales et foule pouvant relâcher la pression après des mois de confinement et privations.
Sur les réseaux sociaux et les chaînes d’information, les images montrent ainsi d’immenses groupes de jeunes et moins jeunes, courant d’un endroit à l’autre pour échapper aux forces de l’ordre et à leurs gaz lacrymogènes.
Ce qui n’a pas abattu l’esprit festif des mélomanes pourchassés dans les rues de la capitale, comme en témoigne cette vidéo où ils scandent, ironiquement, « Merci Macron » en fuyant dans les rues.
Cette tirade second degré était un clin d’œil à Roland Garros où 5000 spectateurs présents pour la demi-finale entre Nadal et Djokovic avaient été autorisé à rester jusqu’à la fin de la rencontre malgré le couvre-feu, et avaient chanté « Merci Macron ».
Malgré la fin du couvre-feu, à Paris, la préfecture avait interdit les rassemblements extérieurs de plus de 10 personnes alors qu’en même temps, à l’Élysée, les dirigeants politiques et invités triés sur le volet profitaient de la musique électronique à un bien plus grand nombre de personnes.
Résultat des altercations : à Paris, 25 personnes ont été interpellées pour « violences volontaires sur personne dépositaire de l’autorité publique et outrage », et « vol et participation à un groupement en vue de commettre des violences ». 46 établissements ont reçu des procès-verbaux pour mise en demeure. Des heurts ont aussi éclaté avec la police à Grenoble, Annecy et Nantes où la répression a été particulièrement forte.
Scène de guerre à Redon
Cette différence de mesures et d’ambiance entre l’Élysée et les rues des villes a particulièrement choqué la population qui en a été victime et les médias qui en ont été témoins ; notamment suite à la répression hors-norme de Redon, en Bretagne, contre un teknival qui avait été lancé comme hommage à Steve Maia Caniço, le jeune nantais décédé, il y 2 ans, le jour de la fête de la musique.
« Non ce n’est pas une blague. Après avoir gazé, matraqué et tiré sur des centaines de jeunes venus danser dans un champ à Redon. Après avoir écrasé, broyé et déchiqueté les os et les chairs d’une foule venue écouter de la musique électronique. Après avoir le 21 juin 2019 à Nantes fait chuter une quinzaine de personnes dans la Loire le soir de la fête de la musique. Après avoir noyé Steve Maïa Caniço, le pouvoir organise une « rave party » au cœur de L’Élysée ce soir. Ceux-là même qui ordonnaient aux gendarmes la destruction du matériel sonore et envoyaient des dizaines de grenades explosives sur des fêtards « célèbrent l’électro ». C’est un crachat à la figure de tout le mouvement free que lance le président. Et les artistes qui participent à cette mascarade, à cet exercice de propagande se mettent au service du capital et d’un pouvoir autoritaire. Un gouvernement qui récupère cette culture underground et libre au point de la vider de tout son contenu subversif pour en faire un objet commercial. L’indécence et l’arrogance du pouvoir, c’est ça. C’est organiser une « Rave Party » alors qu’un jeune de 22 ans est à l’hôpital avec une main en moins pour avoir fait la fête hors de vos cadres, vos normes et votre obsession du contrôle. » a ainsi réagi le média indépendant Nantes Révoltée
A Redon, en Bretagne, un jeune homme de 22 ans a ainsi été mutilé à vie lorsqu’une grenade jetée par les forces de l’ordre lui a arraché la main. Le journaliste indépendant Clément Lanot a également été touché par un tir de LBD alors qu’il tentait de prévenir les autorités de la gravité de la blessure du fêtard.
Un énorme dispositif policier est en effet intervenu pour mettre fin à cette rave party : ils ont utilisé massivement des grenades lacrymogènes, ainsi que de nombreux tirs de LBD. Les matériels de son des festivaliers ont également été tous saisis et détruits « avec des tonfas, des haches et des masses », un acte complètement illégal.
Face à la gravité des faits perpétrés par les forces de l’ordre, le Préfet a affirmé à OuestFrance qu’il n’avait donné aucune consigne de ce genre. Les participants à la rave estiment le dommage à plus de 100 000 euros de matériel détruit. Mais les blessures physiques et psychiques seront sûrement les plus dures à panser pour les participants.
Sur place, Armand, membre de la Coordination nationale des sons a confié à France3 Régions : « En trente ans de tecknival, je n’ai jamais vu ça. Des blessés, il y en a plusieurs dizaines, explique-t-il, des traumatismes crâniens, des gens qui ont les mollets ouverts par des éclats de grenade. »
Même constat pour Léo, 21 ans, et sa copine Ludivine, âgée de 19 ans, qui sont revenus traumatisés de l’événement, ainsi qu’ils l’ont raconté à Charente Libre :
« Je revois encore toutes ces images, la main arrachée de ce gars à quelques mètres de moi et les gendarmes qui refusent de nous laisser passer pour aller chercher les secours. Je revois ces centaines de grenades lancées, ces gens comme moi qui en ont vomi, la tente piétinée de ma copine alors qu’elle aurait pu être dedans parce qu’ils ne regardaient même pas. »
Une enquête a immédiatement été ouverte et confiée à la section de recherches de Rennes. Elle doit permettre de déterminer les circonstances exactes et l’origine de ces blessures. Dans la nuit, cinq membres des forces de l’ordre ont été blessés, deux ont été conduits à l’hôpital. Mais le jeune homme ayant eu la main arrachée n’a pas été pris en charge par les forces de l’ordre. Il a dû être transporté à l’hôpital par quelques-uns de ses amis.
« Utilisation de grenades explosives de nuit, contre une foule de fêtards. Cet usage de la force est irresponsable. Il est urgent d’interdire ces grenades. Il est urgent de changer ce Maintien de l’ordre. Dans quel pays mutile-t-on des jeunes qui font la fête ? La France est le seul pays européen où ces grenades sont utilisées en Maintien de l’ordre, dans des conditions déplorables. Elles mutilent, tuent. Réduire ce qui s’est passé à Redon à un débat police/anti-police, freeparty/anti-freeparty est inepte : il faut interdire ces armes. » a réagi Anne-Sophie Simpere, chargée de Plaidoyer Libertés pour Amnesty International
Comble de l’histoire, c’était justement pour rendre hommage à Steve, un jeune « teufeur » tué lors d’une charge de la police durant la fête de la police il y a deux ans, à Nantes, que se déroulait cet événement musical pirate.
Steve Maia Caniço, une mort toujours non élucidée
Deux ans après sa noyade tragique à Nantes lors de la Fête de la musique, l’enquête a établi que Steve Maia Caniço était tombé dans la Loire « dans le temps de l’intervention de la police ». Un constat évident pour les nombreux participants et proches du défunt qui n’ont eu de cesse de réclamer justice et vérité depuis le triste événement.
Face aux nombreuses manifestations en son hommage, les autorités ont décidé cette année de bouclier entièrement le quai où le jeune nantais a trouvé la mort pour trois jours. Cette année, seules la mère de Steve Maia Canico et l’une de ses sœurs ont finalement pu se rendre devant la fresque hommage pour se recueillir après le départ du cortège de la marche blanche.
Pour Amnesty International, « ce drame est emblématique d’une dérive dans le maintien de l’ordre en France ».
Une mort toujours non élucidée, deux ans après les faits. Le collectif Maskarade a ainsi expliqué qu’ils avaient décidé de s’installer dans les alentours de Rennes pour dénoncer la politique du procureur de la République, chargé de l’enquête sur la mort de Steve Maia Caniço et de la rave du Nouvel an à Lieuron.
« Sa gestion des dossiers est l’exemple même d’une politique anti-jeunes et anti-fête. Une vision d’une société orwelienne que nous combattrons toujours avec cette même soif de vie, de joie et de liberté. Nous ne sommes pas la cause du problème, seulement une réaction à l’injustice et nous n’existerions pas si le choix avait été fait d’accompagner au lieu de réprimer et de mutiler ! »
Le collectif avait encouragé les participants à se faire tester en cette période de coronavirus. Cette année encore, s’il n’y a fort heureusement pas eu de mort à déplorer pour la fête de la musique, la jeunesse a été bien réprimée et le discours préfectoral officiel sur les « projectiles » lancés par quelques festivaliers ou jeunes en crise ne doit pas occulter la réalité, sans tomber dans l’angélisme : à Redon comme dans n’importe quelle ville de France, c’est une jeunesse étouffée qui a dû fuir face à une armée surentraînée.
« On se souviendra que presque deux ans jour pour jour après la mort de Steve, la seule réponse de la préfecture d’Ille et Vilaine aura été d’envoyer une armada de gendarmes surarmés pour réprimer la fête et la jeunesse. Qu’elle aura marqué dans sa chair un jeune homme puni pour avoir voulu danser. Chaque jour qui passe en France nous entraîne toujours plus loin dans l’obscurité. Il est temps de réagir. » conclut ainsi le média Nantes Révoltée
crédit photo couv : GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP