La Relève et La Peste écrit régulièrement sur les Zones A Défendre face aux grands projets inutiles et imposés, destructeurs de la nature et du bien commun au nom de la croissance économique et d’hypothétiques profits. Aujourd’hui, nous laissons la parole à un jeune engagé dans ces luttes, qui a passé de longs moments sur la ZAD du Carnet et était présent avec ses camarades le jour de l’expulsion. Leur objectif : défendre 110 ha de zone naturelle dont 51 ha de zones humides et les 116 espèces animales et végétales protégées présentes sur place. Il pose dans nos colonnes un regard lucide et vibrant d’espoir sur son expérience au sein de ce laboratoire d’expérimentation écologique et sociale.
Lutter pour respirer
L’atmosphère d’une zone de lutte, c’est comme une cocotte-minute le plus important c’est de relâcher la pression et ne pas exploser. Dans l’ensemble si je ne devais retenir qu’un mot de mon passage à la ZAD du Carnet, ce serait « espoir », un mot simple que chacun peut s’approprier.
« La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres » est une maxime des plus précieuses pour vivre en harmonie.
L’arrivée la plus cocasse qu’on m’ait racontée est celle de quelqu’un qui marchait, venant d’Allemagne qui a croisé la Guitoune (entrée) et qui, 6 mois plus tard n’était pas reparti. J’ai compris très rapidement pourquoi. Ici, on s’attache très vite aux gens, aux sons, aux paysages. Je me suis tout de suite senti chez moi, l’accueil fut très amical.
Ici, chacun.e a trouvé et est arrivé.e sur les lieux à sa façon : « Un ami m’en a parlé à la grande ourse. » « Par le bouche-à-oreille à Notre Dame Des Landes ou à la ZAD de Besançon. » « Dans une recyclerie, 3 personnes sont venues m’en parler. » « En vago. » « Sur un stand lors de l’événement « zad en vie » à NDDL. »
Les rencontres que j’ai pu faire en quelques semaines m’ont faites réaliser combien les « babylonnien.e.s » (citadins) peuvent se voiler la face au sujet de la nature, de l’écologie et de la biodiversité.
Le fait d’être présent se suffit à lui-même pour contenter un activiste car il est là pour soutenir une cause, faire valoir ses principes. Tant que nous respirons, buvons, mangeons et parlons nous actons quelque chose de constructif.
Notre simple présence était un symbole de désobéissance.
L’estuaire de la Loire est surchargé de centrales, d’usines et surtout de béton ! Alors pourquoi chercher, en plein bouleversement climatique à métamorphoser encore plus notre environnement ? Autrefois, le Carnet était une île, sauvage, naturelle, jusqu’aux années 1970 où un projet de centrale nucléaire a voulu s’y implanter et a été combattu et anéanti par des militants.
C’est l’héritage des combats de nos mères et pères qui se joue encore aujourd’hui.
Le paysage s’adapte encore des coups des pelleteuses qui avaient alors remblayé et réaménagé le cours du fleuve avec du sable.
La vie sur la ZAD
Le réveil est tôt chaque matin, peu importe l’heure où l’on se couche, parce qu’il y a toujours quelque chose à faire. Tous les jours, il y avait soit des ateliers pratiques et théoriques sur le droit et la nature principalement ; soit des agoras afin de s’organiser pour la construction des cabanes, des récups dans les poubelles des supermarchés, de la communication, l’accueil des nouveaux arrivants, et puis dans les derniers temps, de creuser la fosse et construire des barricades en vue de l’expulsion…
Les siestes étaient nécessaires car nous faisions aussi tous les soirs, à tour de rôle, la vigie de 00h-3h, 3h-6h, 6h-9h pour empêcher des « fachos » de venir nous agresser…
Un soir, des personnes ivres ont tenté de faire brûler un camion stationné sur le parking à l’entrée de la zone. Par chance une personne qui dormait dans le camion a entendu du bruit et fait fuir l’individu…
L’ambiance n’a jamais été parfaite comme nulle part ce n’est le cas, mais les instants restent gravés dans nos mémoires tant le climat est intense. A force de croire à l’expulsion imminente et la menace des extrémistes, chaque zadiste est atteint. C’est une guerre psychologique.
Même dans la communauté que nous formons, des tensions, accumulées par la radio zad (le téléphone arabe) font naitre des polémiques qui rongent les relations. Et provoquent même parfois des exclusions afin de rétablir une nécessaire justice sociale face aux comportements nocifs et dangereux.
Heureusement, quand on les interroge, les camarades ont tou.te.s une bonne idée pour mieux vivre ensemble :
« Faire le contraire de la démocratie française. C’est à dire écouter autant la minorité que la majorité quand nous avons les moyens de l’entendre et qu’elle n’empiète pas sur l’autre. »
« S’organiser autrement. » « S’autogérer, et c’est super chaud ! » « Réussir à voir autour de soi. » « Se former / réfléchir à la façon dont on communique ensemble. »
« Eradiquer les moustiques haha, non, sérieusement, plus de tolérance mais pas à outrance et être plus honnête et authentique. » « Se relaxer un peu plus. » « S’écouter. » « Ne pas faire à l’autre, ce que tu n’aimerais pas qu’on te fasse. »
Mais toutes les tensions n’ont que peu d’importance, car nous sommes au moins d’accord sur une seule et même chose ! La nature suffoque et c’est à notre génération de faire bouger les lois.
En effet, la moyenne d’âge là-bas tournait autour des 25 ans. Plusieurs mineurs vivaient avec nous. Et c’est logique, réalisant les enjeux que constitue une zone humide, on ne peut pas rester indifférent.
Ce sentiment d’agir pour le vivant, pour la nature ne nous quittera jamais. Au travers des conversations avec certains personnages complètement atypiques en société mais faisant littéralement partie du décor sur la zad.
D’ailleurs, quand je leur ai demandé quelles sont leurs 3 préoccupations principales dans la vie, les camarades du Carnet avaient tous des avis divers, parfois prosaïques mais souvent soucieux d’apprendre à faire société avec le vivant dans son entier.
« Trouver un moyen de rouvrir une grande ourse (squat d’Angers), voyager en roulotte avec des copain.e.s, réussir mes études (fac de bio). » « Vivre, Créer, Combattre. » « Un épanouissement personnel, l’écologie, l’épanouissement de chacun.e. »
« La lutte sociale, la lutte humaine, lutter pour se retrouver. » « Mes enfants, mes relations, ma survie matérielle » « Le féminisme, les plantes sauvages, les relations humaines »
« Ne pas avoir de préoccupations ! » « Être heureux.se, Être là pour mes proches, Aider mon prochain. » « Boire, Manger, Dormir. »
Je me suis rendu compte d’une richesse culturelle immense, certaines personnes parlaient breton, écrivaient, rappaient, dansaient. Le partage était requis pour pouvoir apprécier les moments collectifs, car chaque être a déjà questionné son entre-soi.
On parle moins pour répondre, mais plus pour écouter.
Et tout peut vite changer en peu de temps, les initiatives sont prises par des groupes affinitaires ou des individus. Ce sont ceux qui restent qui prennent les décisions pérennes. Toutefois il n’y a ni chefs, ni groupe plus important que les autres. Seul la Legal team qui veillait sur nous pouvait être considérée comme référente.
Grâce à elle, toutes les questions juridiques étaient éclaircies. Il y a eu tout de même deux interpellations relatives à des fait annexes : le procès impliquant un camarade du Carnet suite à une interpellation pendant l’expulsion s’est déroulé le 12 avril dernier.
La sentence est tombée : 18 mois de prison ferme pour avoir brisé la vitre d’une voiture d’un.e commandant.e de la gendarmerie de Pornic (44). Une mobilisation de soutien s’est tenue devant le palais de justice de Saint-Nazaire, et dans la fin de journée nous avons subi une intervention musclée de la BAC qui a embarqué un.e camarade, alors que nous nous étions dispersés. Elle s’est fait.e jugé.e en comparution immédiate, 6 mois de sursis et une interdiction du département de la Loire Atlantique pendant 2 ans…
Plusieurs zones en mixité choisie ou non-mixité ont été établies afin que tout le monde puisse avoir son intimité. Ces lieux sont nécessaires pour l’épanouissement de chacun.e, et pouvoir parler librement des stigmatisations ressenties offre la possibilité d’avancer sur ces problèmes entre concerné.e.s et sans risque de jugement.
L’écriture inclusive et la remise en question de nos enseignements étaient au cœur des débats. Ceci pour une seule raison : en critiquant la société qui nous a éduqué, on ne doit pas subir son conditionnement bien que nous soyons aliénés au Système.
Depuis l’expulsion de la ZAD du Carnet, l’état d’esprit général n’a pas changé ! Nous sommes toujours déterminé.e.s à lutter pour nos droits. Les Zones À Défendre sont éphémères, mais elles sont nombreuses.
Je ne veux pas vous convaincre en imposant le point de vue que la ZAD c’est nul, bien, important ou intéressant. Ni vous rassurer car il y a des risques partout. Mais il serait absurde de ne pas être curieux dans ce monde où l’honnêteté n’est qu’une vertu dépassée.
Là-bas, rien que le chant des oiseaux suffit pour s’émerveiller, le vol d’une cigogne, d’un héron cendré. S’endormir avec la comptine des grenouilles, se faire réveiller par les premières lueurs du soleil. Aller remplir des bidons d’eau pour que tout le monde ait à boire.
Tout se mérite, sauf le partage. Venir c’est bien ! Rester c’est mieux !
JoyBoy
Plus d’infos de la ZAD du Carnet : Les habitant·e·s de la ZAD du Carnet ont été expulsé·e·s mardi 23 mars par un dispositif répressif important, mais la ZAD reste elle bien là et vivante avec ses 400 hectares de zone humide et sauvage, ainsi que tou·te·s ses habitant·e·s non humain·e·s !
Les zadistes organisent le week-end des 5 – 6 juin un week-end de mobilisation festive « afin d’enterrer définitivement le projet ». Programme et lieux de rendez-vous à venir prochainement sur les sites http://www.stopcarnet.fr et www.zadducarnet.org ainsi que sur les réseaux sociaux.