Face à la difficulté du monde entier de juguler la pandémie actuelle, mais aussi le risque posé par l’anéantissement de la biodiversité, à savoir une multiplication des zoonoses (maladies d’origine animale transmises à l’homme), médecins, épidémiologistes, vétérinaires et chercheurs de tous horizons s’unissent pour le clamer : « Une gouvernance de la santé basée sur le concept One Health est plus que jamais nécessaire pour gérer les maladies émergentes ». Derrière ce nom anglais, un concept simple et évident : la protection de la santé de l’Humain dépend de celle des animaux et de l’ensemble des écosystèmes : santé humaine, animale et environnementale sont étroitement liées. Alors que les institutions sont trop lentes face à la mutation des agents pathogènes, partout dans le monde, des initiatives sont à l’œuvre pour appliquer le concept One Health : une seule Terre, une seule Santé.
Une seule santé
La pandémie causée par le SARS-CoV-2 a surpris les gouvernements du monde entier, et notamment ceux des pays riches qui n’ont pas l’habitude de faire face à de telles épidémies. Cette crise sanitaire a mis en exergue la vulnérabilité de nos sociétés face à l’émergence d’un nouveau pathogène infectieux et hautement transmissible.
Pourtant, la communauté scientifique alertait la société civile depuis plusieurs années. En effet, le nombre de nouvelles maladies infectieuses augmente régulièrement depuis les années 1940. Jusqu’aux années 2000, ces événements auraient même plus que triplé.
Aujourd’hui, 60 % des maladies humaines existantes sont zoonotiques, autrement dit issues du monde animal, et 75 % des maladies émergentes le sont aussi.
« En 2017, le CNRS a réfléchi collectivement à la mise en place du concept One Health. On savait bien qu’on ne pouvait pas espérer vivre en bonne santé sur une planète dégradée. On connaissait les maladies chroniques liées à la pollution ou à nos modes de vies. Et puis beaucoup de maladies virales comme le SARS 2002, ZIKA, EBOLA, avaient récemment émergé et montré les liens entre santé animale, humaine et environnementale. On se doutait qu’une autre maladie émergente de ce genre arriverait sans savoir laquelle, où, ni quand. Ce qui nous a surpris c’est la rapidité de propagation de la pandémie actuelle, mais on avait bien identifié le problème des mobilités humaines comme étant extrêmement facilitateur. De même, chaque fois qu’on transporte des vecteurs, des animaux, et les pathogènes qu’ils emportent, on multiplie les risques de voir apparaitre et de propager des maladies. A la faveur de nos mobilités internationales, le virus s’est propagé très vite. » explique Delphine Destoumieux-Garzon, directrice de recherche au CNRS, pour La Relève et La Peste
Souvent, les virus, bactéries ou parasites passent d’un hôte sauvage à l’humain en transitant par des animaux domestiques, ou en étant transportés par des moustiques par exemple. Pour les savants du 19ème siècle, et en premier lieu Louis Pasteur, il était évident que les santés humaines, animales et des écosystèmes sont liées.
Mais le cloisonnement des disciplines scientifiques a supprimé les liens entre les différents corps de métier. C’est l’apparition de la fièvre du Nil occidental, en 1999 aux Etats-Unis, qui a remis au goût du jour l’évidence du concept.
« Le concept One Health est né au moment où il y avait la fièvre du Nil occidental. Les oiseaux du Bronx ont commencé à mourir, la ville de New-York n’a pas réagi jusqu’au moment où les oiseaux de Central Park ont commencé à mourir aussi puis à toucher les humains ! Finalement, on a compris qu’un virus a été apporté par des populations d’oiseaux sauvages d’Afrique et qu’il s’était adapté aux populations d’oiseaux américaines. A l’heure actuelle, il continue de faire des morts chaque année. Cela a été une vraie prise de conscience pour les chercheurs car il mettait à la fois en danger la conservation des animaux et la santé humaine. L’idée a pris et c’est en 2012 que la FAO, l’OIE et l’OMS ont créé la tripartite One Health au Vietnam. Santé animale, humaine et environnementale sont intimement liées, il est donc primordial de travailler l’interdisciplinarité et l’inter-sectorialité pour faire face aux maladies infectieuses issues des animaux, les zoonoses. » explique l’épidémiologiste Serge Morand pour La Relève et La Peste
Pour le virus du Nil occidental, ce sont les oiseaux qui servent de réservoir. Lorsque des moustiques sucent le sang des volatiles pour se nourrir, ils absorbent alors le virus qu’ils transmettent à l’humain lors de leurs piqûres.
Des exemples de mise en œuvre
Si les institutions n’ont pas su prévenir la pandémie actuelle, des réseaux interdisciplinaires créés par des organismes de recherche ont tout de même eu quelques beaux succès en appliquant l’approche One Health à une échelle territoriale.
Le réseau CaribVET, animé par le Cirad depuis la Guadeloupe, regroupe ainsi les directions des services vétérinaires de 33 pays et territoires ainsi que les organisations internationales et régionales et les organismes de recherche et université de la zone.
Ensemble, ces différents organismes ont réussi à éviter l’entrée de l’influenza aviaire en 2016 dans les Caraïbes via un système d’alerte précoce et un renforcement de la vigilance aux frontières.
« Quant au réseau One Health-Océan Indien, il a appuyé le contrôle des épizooties de fièvre aphteuse déclarée à Rodrigues-Maurice et de Fièvre de la Vallée du Rift, maladie transmissible à l’être humain, à Mayotte en 2019. Cette dernière crise a été gérée en relation étroite avec les acteurs de la santé. Ce réseau effectue aujourd’hui un travail de fond sur l’antibiorésistance, autre enjeu de santé publique majeur. » explique Thierry Lefrançois, directeur du département Systèmes biologiques du Cirad
Selon l’OMS, l’antibiorésistance pourrait causer, d’ici 2050, près de 10 millions de morts par an, en plus d’entraîner un ralentissement de la production d’aliments d’origine animale de 3 à 8 % chaque année.
« J’ai toujours placé l’approche One Health au cœur de mes recherches. Pour la résistance aux antibiotiques, on doit aussi s’intéresser aux animaux, je pense que la crise va vraiment questionner la prévention à l’origine des nouvelles maladies infectieuses chez l’humain. On est arrivés à un moment de bascule de notre façon permanente à vouloir s’extraire de cette nature. Cela détruit les milieux naturels qui régulent les transmissions d’agents pathogènes. » explique Gwenaël Vourc’h, Directrice adjointe de l’UMR EPIA, DR INRAE, pour La Relève et La Peste
Actuellement, les scientifiques surveillent attentivement l’évolution du MERS-CoV, un coronavirus qui provoque le syndrome respiratoire du Moyen-Orient, une maladie mortelle pour l’être humain.
Depuis sa première identification chez l’humain en 2012 en Arabie saoudite, le MERS-COV a infecté plus de 2 500 personnes et causé la mort de plus de 800 d’entre elles. Avec un taux de létalité chez l’humain de presque 40 %, et sans traitement ni vaccin disponible, cette maladie virale fait partie de la liste des maladies émergentes prioritaires établie par l’OMS, nous apprend le Cirad.
Heureusement, toutes les zoonoses « en puissance » ne donnent pas systématiquement lieu à des pandémies comme celle que nous connaissons actuellement. Mais les avions cloués au sol ou les vaccins ne sont pas une réponse suffisante pour limiter les pandémies.
Un rapport au monde différent
Les chercheurs ne sont pas les seuls à prévenir les risques liés aux maladies émergentes. Pour que les opérations soient couronnées de succès, l’implication et la compréhension des populations est primordial.
« Je suis situé en Thaïlande, et je ne suis pas là pour faire leur « développement ». Ici, j’apprends en même temps que je recherche avec mes collègues Thaï. On est dans des pays où circulent de tout, on a eu de la dengue et du chikungunkya qui ont fait plus de morts que le covid-19. Mais ils ont une culture de la santé communautaire avec des volontaires de la santé dans chacun des villages de Thaïlande : 1 300 000 personnes qui recensent les choses qui vont pas et font remonter les problèmes de santé vers le dispensaire pour enrayer l’épidémie. En France, en 2020, on a rappelé aux gens l’importance de se laver les mains ! Cela montre bien toute la perte qu’on avait sur l’éducation de la santé. » donne en exemple Serge Morand pour La Relève et La Peste
Le changement climatique est aussi l’un des facteurs qui pourrait favoriser la propagation des vecteurs de zoonoses, notamment les insectes comme les moustiques, en favorisant leur remontée du Sud au Nord ou en modifiant les trajets d’espèces migratrices parfois elles-mêmes porteuses d’agents pathogènes.
« Une pandémie nous invite à réviser nos actes individuels et collectifs. En effet, quand on parle de maladie infectieuse, et là on a l’exemple sous les yeux, prévenir vaut mieux que guérir, car contrôler les microbes est extrêmement difficile. Prévenir, c’est évidemment agir sur le réchauffement climatique qui modifie les aires de répartition des microbes. C’est éviter de faire de l’élevage intensif qui peut favoriser la propagation des microbes chez des animaux dont les fonds génétiques sont semblables, avec des densités très grande. La course aux vaccins et au traitement ne suffit pas par rapport à ce qu’on pourrait faire en changeant nos moyens de production, de transport et nos rythmes de vie. Cette pandémie est une invitation à l’introspection pour nous en tant que personne et nous en tant que société occidentale. » explique Delphine Destoumieux-Garzon, directrice de recherche au CNRS, pour La Relève et La Peste
Les animaux ne sont pas non plus protégés du virus. Après les abattages massifs dans les élevages de visons, de nouvelles études ont mis en lumière que des variants du SARS-CoV-2 peuvent désormais infecter des chats et chiens de compagnie, et même des souris.
Selon les chercheurs, « ces résultats soulèvent des questions majeures sur le risque que des souris ou d’autres rongeurs, vivant à proximité de l’homme, puissent servir de réservoirs pour le SARS-CoV-2 dans des régions où circulent les variants sud-africain B.1.351 et brésilien P.1, ou d’autres variants ».
Pour de nombreux chercheurs du monde entier, prendre soin de la santé des humains, des animaux et des écosystèmes ne devrait pas être clivant car il n’y a pas d’idéologie de société derrière.
Face à la pandémie actuelle, les gouvernements semblent tout de même plus aptes à écouter les scientifiques. Cette prise de conscience des risques sanitaires a notamment permis la création de l’initiative PREZODE, lancée le 11 janvier 2021 lors du One Planet Summit consacré à la biodiversité, portée par plusieurs pays dont la France, l’Allemagne et les Pays-Bas. Dans ces trois pays, PREZODE regroupe déjà plus d’un millier de chercheurs. Cette initiative, qui se veut d’emblée globale, combinera projets de recherche et actions opérationnelles.
« La bonne nouvelle c’est que si on veut répondre à cette crise sanitaire et prendre en considération la prévention des zoonoses, ça répond aussi à la crise climatique et écologique. Car cela questionne notre mode de développement et de société, notre relation aux ressources naturelles, et l’importance de préserver la biodiversité. » sourit Gwenaël Vourc’h, Directrice adjointe de l’UMR EPIA, DR INRAE, pour La Relève et La Peste
Serge Morand en est convaincu : « Si on travaille la santé des écosystèmes finalement on a des socio-écosystèmes qui sont résilients, multifonctionnels, et vont permettre d’avoir une résilience sur la santé animale et les risques d’émergence. Tout ça nous permettrait d’aller vers un bien vivre ensemble. »