Les pêcheurs du fleuve de l’Adour constatent depuis quelques années une évolution inquiétante : la plupart des saumons dans ces eaux ont disparus. Indignés, les associations de pêcheurs sportifs ont coordonné leur voix avec celle des protecteurs de la biodiversité aquatique. Ensemble, ils mettent en cause la pêche côtière, responsable de cette décimation massive. Ils découvrent qu’à ce jour, les lois régulant la pêche littorale ne sont pas à la hauteur des enjeux de protection du cycle de vie de ces espèces. Cette lutte rejoint ainsi directement celle pour la protection des populations d’Anguilles, d’Esturgeons et de Dauphins dans les eaux Européennes (pour ne citer qu’elles). Le point commun entre toutes ces mobilisations ? Exiger un cadre légal criminalisant les styles de pêche qui interrompent directement le cycle de reproduction des espèces au nom d’un bénéfice direct. Sans ce changement dans les pratiques professionnelles, ces espèces disparaîtront, et avec elles, le métier de pêcheur.
Le marché noir du saumon
Depuis le début de l’année 2021, ce que les journaux locaux appellent la « guerre du saumon » est en cours. Les associations qui défendent l’espèce ont demandé à la région (Nouvelle Aquitaine) de verser 4 millions d’euros aux 17 pêcheurs professionnels pêchant aux filets dans les premières eaux de l’Adour pour qu’ils cessent leur activité en 2021. Après avoir d’abord refusé, la Région envisage à présent de leur verser la moitié de cette somme.
Cette négociation qui peut au premier abord paraître comme une broutille locale s’avère en fait cristalliser une urgence internationale : les technologies de pêche massive, et leurs modes d’application professionnels déciment aujourd’hui l’intégralité de la faune maritime.
C’est qu’en réalité, la plupart des saumons d’atlantiques disparaissent avant d’atteindre l’Adour. Ils sont captés en pleine mer par les « filets droit maillants », qui remontent le plus près possible de la surface pour augmenter les prises en bord de côte.
Ces filets accueillent en tout illégalité les saumons, dauphins et oiseaux plongeurs qui circulent, justement, proche de la surface. Selon Philippe Garcia, directeur de la Défense des Milieux Aquatiques, deux rapports d’observation embarquée rapportent que ces filets capturent environ trois saumons par jour.
« Quand vous faites le calcul on arrive à une somme de 4 000, 4 500 saumons interceptés par des filets droits maillants dans la période de Juin-Juillet tous les ans. Et c’est plus que ce qui rentre dans l’Adour. Ces dossiers ont été classifiés. » a-t-il témoigné pour La Relève et La Peste.
Cela veut dire que l’interdiction de pêcher au pied de l’Adour ne cherche qu’à réparer les pots cassés : le dommage est fait bien avant que les pêcheurs fluviaux n’interviennent. Néanmoins, les pêcheurs du fleuve, autorisés à attraper et vendre le saumon, rachètent parfois ces prises illégales et les revendent comme s’il s’agissait de leurs propres prises. Une situation économique dramatique, qui fait naître un profit à partir de la destruction consciente de l’espèce.
Derrière la sauvegarde des espèces maritimes, la sauvegarde de notre eau
Mais ce n’est pas que pour conserver l’espèce que les pêcheurs amateurs et les défenseurs de milieux aquatiques se mobilisent – c’est aussi pour entretenir la qualité de notre eau sur le long terme.
« Le saumon est un symbole, mais ce n’est pas une finalité. La finalité, c’est de protéger la vie qui est garantie par l’eau. Nous, les humains, on en fait partie. » explique Philippe Garcia pour La Relève et La Peste.
En effet, le saumon est une « espèce parapluie », c’est-à-dire une espèce dont la protection protège simultanément diverses autres espèces dans son écosystème. Ou plutôt, dans le cas du saumon, dans ses écosystèmes, puisque ce poisson traverse de nombreux milieux différents au cours de sa vie, des rivières jusqu’à l’océan, servant de nourriture tant aux loutres, qu’aux requins, qu’aux lamproies, (pour ne citer qu’eux).
Or, la conservation de la vie dans les eaux fluviales est essentielle à la conservation de la qualité de cette eau, pour nous et pour les autres espèces que nous valorisons en elle.
Les diverses formes de vie qui y habitent entretiennent en effet leurs conditions d’existences en « nettoyant » naturellement leur milieu, et leur diversité favorise ainsi différentes formes d’épuration.
La respiration de certains microorganismes, par exemple, transforme certains polluants chimiques en eau respirable. Entretenir la vie dans l’eau garantit, à long terme, de bénéficier de ce type épuration naturelle.
Un droit inadapté au rythme de reproduction des espèces
Face aux dangers qui pèse ainsi sur la qualité de l’eau, l’avenir de la pêche et la survie de la biodiversité, le droit européen tarde à se mettre à jour. Le problème est que ce droit est adapté à un style de pêche désuet, où il n’y avait que très peu de connaissances sur les écosystèmes et leurs limites, et où les pêcheurs pensaient qu’il y aurait toujours assez de jeunes poissons pour reproduire de nouvelles générations.
Sauf qu’aujourd’hui, scientifiques et pêcheurs ne peuvent que constater la fausseté de cette idée, ce qui devrait alarmer les législateurs.
Les nouvelles connaissances, largement reconnues dans les milieux marins, montrent que les côtes sont en fait de véritables nourriceries pour les espèces aquatiques. C’est là que les juvéniles de poissons naissent et grandissent, et c’est donc là, aussi, que résident les prises à venir de la pêche, les nouvelles générations. Or, ces espaces ne sont pas protégés, et la pêche massive et industrielle y a cours – les mailles des filets capturent ces juvéniles, empêchant à terme aux espèces de se reproduire correctement.
« On a tellement tanné les poissons, que maintenant la plupart des poissons sont petits. » explique Philippe Garcia pour La Relève et La Peste. « Alors on pêche régulièrement les petits poissons parce qu’ils ne restent plus qu’eux. Et puisqu’on raisonne en termes quantitatifs, en tonnes de poissons, on passe complétement à côté du problème qui est qualitatif, du type de poisson qu’on attrape. […] Pourtant les scientifiques expliquent que [si on laissait le temps aux nouvelles générations de se reproduire] les tonnages augmenteraient, alors qu’on prendrait moins de poissons, et que la charge de travail pour les pêcheurs baisserait considérablement. »
La solution que défend alors l’association de Défense des Milieux Aquatiques est de mettre en place ce qu’ils appellent des « Bandes Marines Littorales Sans Filets », c’est-à-dire des zones côtières où il est interdit de pêcher pour protéger les nourricières de poissons juvéniles.
Cela redonnerait le temps aux espèces pêchées d’atteindre leur pleine maturation. Pour que cela ait un effet significatif, il faudrait qu’il s’agisse d’une mesure d’ampleur, se jouant non pas seulement au niveau du droit Français, mais aussi Européen. Ces zones seraient alors mises en jachère au nom de la biodiversité et de l’avenir de la pêche.
A rebours de tels projets, le droit actuel autorise aujourd’hui la pêche dans ces zones, avec l’usage de ces filets dont les mailles attrapent les plus petits poissons, et qui remontent le plus haut possible, près de la surface.
Alors, les prétentions d’interdire la pêche d’espèces protégées (comme le saumon) dans ces régions-là ne sont que des coquilles vides ; elles n’interdisent pas la mise en place de tout ce qui a pour effet direct la pêche de ces espèces.
Une mise à jour de la loi sur ces questions s’impose donc ; aucun doute pour Philippe Garcia, l’urgence de la question aura nécessairement gain de cause sur le droit Européen – ce n’est qu’une question de temps et de visibilité publique.