« Souffrance animale et aberration économique » : dans une nouvelle enquête publiée mercredi 7 avril, l’association de défense des animaux L214 s’oppose à l’extension « démesurée » d’un élevage intensif de poulets de chair à Pihem, dans le Pas-de-Calais.
La maltraitance animale au sein de l’élevage intensif
Tournée en mars 2021, la vidéo accompagnant le dossier montre les conditions de vie effroyables de plus de 22 000 poulets destinés à la consommation humaine.
Dans un hangar de tôle ne laissant s’infiltrer aucun rayon de soleil, les volailles sont entassées à 21 par mètre carré (1 020 m2 au sol), sur une litière crasseuse, pleine d’excréments et de poussières, où elles doivent passer les trente jours et quelques qui les séparent de l’abattoir.
Durant cette courte vie, à cadence industrielle, les poulets sont nourris de soja, de maïs OGM et d’huiles acides, qui proviennent sans doute de l’agriculture intensive, riche en pesticides, en engrais de synthèse et susceptible de participer à la déforestation de pays étrangers comme le Brésil.
À ces produits de basse qualité sont ajoutés une batterie de médicaments, notamment plusieurs antibiotiques et des vaccins mélangés à l’eau de boisson des bêtes, ou encore des compléments alimentaires, fer, zinc, calcium, vitamines, censés remédier à leurs carences.
Nourris plus vite que ne l’exigerait leur croissance (une centaine de jours normalement), à fortiori dans des espaces où ils ne peuvent développer leur motricité, les animaux de cet élevage présentent de nombreuses pathologies.
La vidéo de L214 fait état par exemple de spécimens hypertrophiés qui, au bout de 30 jours, ont encore « des têtes de poussins sur des corps de poulets ».
Des volailles boitent ; d’autres ont les pattes brûlées par les particules fines, la poussière et les excréments de leurs litières (pododermatites) ; certaines ne parviennent même plus à se redresser, faute de muscles, et finissent par mourir de faim et de soif. Sur les 22 500 poussins déposés dans le hangar, L214 estime que 500 n’en sortiront pas vivants.
Malgré un modèle néfaste pour les animaux comme pour l’être humain, l’exploitant a récemment déposé à la préfecture une demande d’extension, qui prévoit de multiplier par cinq la taille et les capacités de son élevage.
Le projet consiste à ériger, sur des parcelles agricoles jouxtant l’exploitation actuelle, deux nouveaux bâtiments de 2 400 mètres carrés, ainsi qu’un petit hangar de compostage. Une telle extension permettrait à l’éleveur de produire en moyenne 825 000 poulets par an, contre 150 000 aujourd’hui, si l’on conçoit qu’une année comporte six à huit cycles d’élevage.
Un projet pharaonique à rebours des attentes sociétales
Soumis à enquête publique dans toutes les communes situées dans un rayon de trois kilomètres autour du site, le projet « a fait l’objet de nombreuses contestations de la part des riverains et des associations locales », indique L214 dans son communiqué.
La municipalité de Pihem, en particulier, a émis un avis défavorable en janvier dernier, arguant qu’une telle extension engendrerait « des nuisances sonores et olfactives : bruits des extracteurs, odeur d’ammoniaque, poussières et bactéries dans l’air, odeurs du compostage, passage des camions dans le hameau qui endommager[ont] [les] routes ».
Mais outre le fait que des terres agricoles seraient sacrifiées à l’élevage intensif, c’est surtout la « santé financière » de l’éleveur qui semble poser question : déficitaire en 2019 (– 6 900 euros), celui-ci envisage d’emprunter plus d’1,4 million d’euros sur douze ans, avec un remboursement mensuel s’établissant à 10 500 euros.
L’association L214 remarque que l’exploitant ne se versera un salaire que « de 9 600 euros par an, soit 800 euros par mois », en tout et pour tout. Avec un budget aussi serré, sa société pourra ainsi faire faillite à tout moment, dans les douze années suivant l’engagement du projet.
Si ce n’est l’éleveur, qui profitera de cette extension ?
« La banque, ici la BNP Paribas, et le groupe agro-industriel belge Spoormans », répond Sébastien Arsac, cofondateur et porte-parole de L214.
Spécialisée dans toutes les étapes de production de poulets de chair, Spoormans est l’entreprise qui fournit à l’exploitant aussi bien les poussins que leurs produits d’alimentation, et qui lui rachète les poulets lorsqu’ils sont parvenus à l’âge d’être consommés.
Comme l’indique la demande d’autorisation environnementale, à laquelle le groupe a d’ailleurs participé de près, c’est Spoormans « qui fixe les coûts et prix d’achat : coût d’achat des poussins, coût d’achat de l’aliment concentré et prix de vente des poulets de chair ».
Dans ce système par lequel il est poussé pas à pas à augmenter la taille de son exploitation, l’éleveur n’a aucune marge de manœuvre. Il est pieds et poings liés, dépendant des cours de la viande et des décisions d’un agro-industriel qui le force à infliger aux animaux des conditions de vie inacceptables, sans que son élevage devienne pour autant rentable. En milieu de chaîne, incapable de savoir ce que deviennent ses bêtes, l’éleveur est perdant sur toute la ligne.
Reconnaissant que « sur le plan technique, environnemental et financier, tel que développé dans le rapport d’enquête, le bilan du projet peut porter (…) un certain préjudice à l’intérêt général », le commissaire enquêteur, Vital Renond, a tout de même émis un avis favorable à la demande d’extension, le 24 mars dernier.
Mais il reste plusieurs inconnues au dossier : la mairie rendra-t-elle le site accessible ? L’exploitant pourra-t-il supporter les charges (sans revenus) des différentes phases de construction ?
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De plus, alors que la France peine toujours à gérer la crise sanitaire, un an après le premier confinement, ce type de méga-ferme pose de sérieux soucis de santé publique : nombreux problèmes de santé dus aux impacts des particules fines (dont la formation est favorisée par les émissions d’ammoniac), antibiorésistance conséquence de l’administration systématique d’antibiotiques aux animaux (narasin, amoxicilline, salinomycine), propagation de nouveaux pathogènes (zoonoses) due aux conditions d’élevage.
L214 pointe notamment qu’il est indiqué dans le dossier de l’éleveur : « Une épidémie ou un problème sanitaire pourraient survenir sur le site et causer d’importants dommages, si l’élevage n’était pas bien suivi sanitairement. Ainsi, la conduite de l’élevage doit être irréprochable » (p. 196).
En France, 80 % des animaux de consommation sont élevés dans ce type d’usines à chair. Pourtant, selon un sondage YouGov effectué en 2019, près de 90 % des Français sont opposés aux élevages intensifs, ceux dans lesquels sont amassés des animaux qui n’ont aucun accès à l’extérieur.
Au nom d’un certain consensus sur les conditions d’élevage, une pétition portée par L214 et plusieurs autres associations (Aives, Flandres Au nom de la terre, PHEA) appelle donc la préfecture du Pas-de-Calais à refuser cette extension.